Homophobie

«Je me suis dit que je serais tué si quelqu’un savait»: un Qatari parle de son homosexualité à visage découvert, une première

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Désormais en exil aux Etats-Unis où il demande l’asile, le médecin Nas Mohamed s’est confié sur son homosexualité dans un interview à un quotidien britannique. Un geste inédit pour un ressortissant du Qatar.
par Samuel Ravier-Regnat
publié le 23 mai 2022 à 13h49

Ce sont des paroles accablantes, d’autant plus puissantes qu’elles sont sans précédent. Depuis San Francisco où il vit désormais en exil, le médecin qatari Nas Mohamed a rendu publique son homosexualité dans un entretien publié par le quotidien britannique The Independent. Une première pour un ressortissant de cet Emirat où les relations homosexuelles sont passibles de sept ans de prison. Son témoignage accroît encore davantage la pression sur le Qatar, qui accueillera à partir de novembre la Coupe du monde de football mais se voit accusé de violations multiples des droits humains.

Fin 2021, l’ONG Human Rights Watch avait recueilli les confidences de Mohammed, un Qatari incarcéré, insulté, harcelé et rasé en 2014 par des officiers de police en raison de son homosexualité. Mais celui-ci s’exprimait de manière anonyme, par peur de représailles. Nas Mohamed, qui a demandé l’asile aux Etats-Unis car il ne se sentait pas en sécurité au Qatar, a fait le choix inverse : «Je voudrais partager mon histoire avec mon nom, en tant que médecin et en tant que citoyen qatari qui a encore des parents et des frères et sœurs dans le pays. Ils doivent savoir que je suis l’un des leurs et que je ne suis aucun “agenda occidental”», comme Doha voudrait le faire croire, explique-t-il. Et il ajoute : «Utiliser des pseudos renforce l’idée que nous faisons quelque chose de mal dont nous devrions avoir honte.»

«Il est temps de nous donner des droits»

Depuis des mois, Doha jure que son Mondial sera «inclusif» et ouvert à tous sans discrimination. Mais ces promesses sont accueillies avec méfiance, plus encore depuis qu’une enquête publiée mi-mai par trois médias scandinaves est venue contredire le discours des organisateurs de la compétition. On y apprenait que plusieurs des hôtels recommandés par la Fédération internationale de football (Fifa) pour la Coupe du monde refusent d’accueillir les couples homosexuels, ou expriment des réserves en appelant les clients à ne pas afficher de «comportement sexuel». Un nouveau pavé dans la mare du Qatar, déjà mis en cause en raison des conditions de travail sur les chantiers des stades, où plusieurs milliers d’ouvriers auraient perdu la vie.

Nas Mohamed, qui fête ses 35 ans ce mois-ci, se souvient de la détresse qu’il a ressentie le jour où il a pris conscience de son orientation sexuelle, en boîte de nuit. «Je suis rentré chez moi et j’ai pleuré. J’ai pensé que ma vie était en crise. Je pensais que j’allais aller en enfer, que ma vie était fichue. […] Et puis j’ai pensé au risque que quelqu’un le découvre. Je me suis dit que je serais tué si quelqu’un savait», raconte-t-il. Car au Qatar, l’homosexualité n’expose pas seulement à un passage en prison mais aussi à une mise au ban des cercles familiaux et amicaux, et de la société en général.

Nas Mohamed en a fait l’expérience. Lorsqu’il s’est confié à ses parents, ils ont été «très contrariés». «Leur première réaction a été de chercher un traitement pour moi», déplore le jeune médecin qui a quitté le Qatar en 2011 et ne souhaite pas y retourner. Mais il espère que son témoignage pourra apporter de la «visibilité» à la cause LGBT dans l’émirat : «Il est temps de nous donner des droits, nous devons être reconnus et être honnêtes sur la façon dont nous sommes traités. Je pense que seuls les Qataris peuvent faire bouger les choses.»

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