Bien-être

Dans le rétro : retour sur la variole, ce mal qui laissa bien des cicatrices dans l’Histoire

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Par Kevin Dero

Les symptômes sont connus : fièvre, malaises, fatigues, frissons, douleurs musculaires Et surtout ces vésicules, explosion d’éruptions cutanées. Impressionnants boutons, très nombreux, ils font penser à la varicelle.

A présent, 6 cas de "variole du singe" ont été détectés sur notre territoire. Par ailleurs " beaucoup moins paniquant que le nom que ça porte ", selon Charlotte Martin, infectiologue au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles, l’affection fait néanmoins couler beaucoup d’encre. Les scientifiques sont aux aguets et pensent qu’il y a peu de chances qu’elle fasse beaucoup de dégâts. Comme le précisent nos confrères de Libération, la maladie au nom trompeur – elle ne proviendrait pas de singes mais de rongeurs ou d’écureuils- est endémique en Afrique de l’Ouest et centrale. Apparue au début des années 70, il s’agit d’une une zoonose due à un virus appartenant à la même famille que celui de la variole dite "humaine". Cette dernière, elle, a été déclarée officiellement "éradiquée" en 1980.

Virus de la variole
Virus de la variole © Getty

Mais son nom claque dans l’imagination. Le mot " variole " résonne terriblement dans l’Histoire. Maladie intimement liée à l’espèce humaine, très contagieuse, la "variole humaine", aussi appelée "petite vérole", a depuis la nuit des temps fait frémir. On en a trouvé des traces sur des momies égyptiennes… Il s’agit-là d’une des maladies les plus meurtrières qui aient jamais existé, on estime qu’elle se circule depuis au moins 3000 ans.

Revenons sur son histoire…

Il existe de nombreux type de virus, il s'agit d'un groupe très hétérogène.
Il existe de nombreux type de virus, il s'agit d'un groupe très hétérogène. © Tous droits réservés

Temps immémoriaux

Elle remonterait à loin, cette " petite vérole ". On parle du néolithique. Vraisemblablement transmise à l’homme par des animaux, elle aurait muté en " variole humaine ". Ce que l’on sait, c’est qu’elle prospère dans les milieux densément peuplés (une circulation permanente serait possible à partir d’une population estimée à 200.000 habitants).

Des experts penchent pour une origine indienne ou moyen-orientale, notamment égyptienne. Des traces de la maladie ont été trouvées dans l’Egypte antique (des pharaons, comme Ramsès V, en serait mort). Via les voyages commerciaux, les contacts entre populations, conquêtes, guerres et autres croisades, cette maladie va ensuite faire le tour de la planète, apparaissant et disparaissant çà et là au cours des siècles. Chine, Arabie, Nouveau-Monde… Quand elle touchait une communauté, on estime souvent à maximum 30% le nombre de décès.

Trident avec la figure en bronze de Mariyammai, déesse de la variole (Inde Période Cola Tanjore Xe Siècle)
Détail d’un trident à l’effigie de la déesse de la variole Mariyammai (Inde, X-XIIe siècle)

Rome en ligne de mire

Appelée "peste antonine", il s’agit d’une des premières grandes épidémies bien documentée, et sûrement la première épidémie de variole en Occident. Bien que plusieurs vagues de peste (du latin "pestis", fléau) aient touché le monde romain auparavant, une énorme crise survint à la fin du IIe siècle, sous les règnes des empereurs Marc-Aurèle et Commode (issus de la dynastie des Antonins). Probablement survenue aussi lors de guerres en Orient (selon certaines sources, en Syrie), on assiste alors à une chute démographique et monétaire. Les chiffres de pertes humaines se situent dans une fourchette d’environ 10 à 30% d’une population estimée à 64 millions d’habitants. Rien n’est cependant prouvé quant à l’impact de la maladie sur le déclin de l’empire romain.

 

Pièces à l’effigie de l’empereur Marc-Aurèle
Pièces à l’effigie de l’empereur Marc-Aurèle © Tous droits réservés

Japon

Dans les années 735-737, le fléau toucha le Japon. Vraisemblablement arrivée par la Chine ou la Corée, elle fera des ravages. Un tiers de la population décédera, touchant notamment Nara, la capitale de l’époque, comptant 200.000 habitants. La société en sera bouleversée. La maladie reviendra par vague au cours des siècles suivants, avant qu’elle ne devienne endémique (et donc avec de moindres effets). C’est à cette période que l’on commença à répandre le " traitement rouge ". Pour lutter contre la maladie, s’habiller avec cette couleur, en peindre les murs de sa chambre serait bénéfique. On l’appellera plus tard érythrothérapie. La pratique, mise en doute, disparaîtra au début du XXe siècle.

Moyen-Age

Enluminure tirée de la Bible de Toggenburg, en Suisse, 1411.
Enluminure tirée de la Bible de Toggenburg, en Suisse, 1411. © Wikipédia

Au Moyen-Age, la distinction entre rougeole et variole est faite par des médecins arabes. La maladie touchera sporadiquement des régions d’Europe et l’Asie via le commerce ou les Croisades. L’Islande, elle, perdra le tiers de sa population en 1241.

Préparation de médicaments pour le traitement d’un patient atteint de variole, miniature du "Canon de la médecine", d' Avicenne (980-1037), manuscrit ottoman. (Turquie, XVIIe siècle)
Préparation de médicaments pour le traitement d’un patient atteint de variole, miniature du "Canon de la médecine", d' Avicenne (980-1037), manuscrit ottoman. (Turquie, XVIIe siècle) © De Agostini via Getty Images

Conquistadors exterminator

Tandis que la peste noire terrorisera les peuples et fera des ravages dantesques en Europe lors de la moitié du XIVe siècle, la variole, elle, connaîtra son heure de gloire lors de la conquête du " Nouveau Monde ". Elle partira avec les conquistadors et se répandra comme une traînée de poudre dans les Amériques. Un nouveau variant apparu aussi, et on estime que des dizaines de millions d’Amérindiens y ont laissé leurs peaux. Il se pourrait que les populations précolombiennes aient été confrontées à une maladie similaire, mais pas du tout avec cette intensité dans la virulence.

Les Antilles, l’empire Inca, les côtes brésiliennes… Ayant une plus faible immunité que les Européens et des coutumes plus propices à la contagion, ce fut une véritable boucherie pour les indigènes. L’Empire Aztèque comptait environ 18 millions d’habitants au XVe siècle. Un siècle plus tard, le chiffre serait tombé à… 1 million. Cortès et ses camarades amenèrent sur ces terres un cocktail détonnant : guerre, pillage, variole.

Gravure représentant la conquête de l’Empire aztèque
Gravure représentant la conquête de l’Empire aztèque © Getty

A l’assaut du monde

La "petite vérole"- à distinguer à l’époque de ce qu’on appelait " la grande (ou "grosse") vérole ", c’est-à-dire la syphilis — va aussi accompagner les Russes dans la conquête de la Sibérie, les Portugais en Afrique de l’Est, la colonisation de l’Amérique du Nord au XVIIe siècle (par les Néérlandais, Français, Anglais… qui la refileront aux Indiens), les Britanniques au Bengale et en Australie, les Néerlandais en Indonésie et en Afrique du Sud, sans parler du trafic d’esclaves et son " commerce triangulaire " infernal…

Bref, un Vieux-Continent, plus urbanisé que dans la plupart des colonies (rappelons qu’en Chine et au Japon, la maladie était endémique), où la maladie fait des ravages entre le XVIIe et le XXe siècle, surtout chez les enfants (les adultes étant davantage immunisés), et qui la dissémine à travers le monde dans des contrées et chez des populations qui n’y avaient pas encore été confrontées.

Des quarantaines sont imposées un peu partout afin d’éteindre les foyers épidémiques.

Européens dans un camp de quarantaine pour la variole à El Tor, Afrique du Nord, 1884.
Européens dans un camp de quarantaine pour la variole à El Tor, Afrique du Nord, 1884. © Oxford Science Archive / Heritage Images

Sans distinction de rang

Mais la variole fait toujours des ravages. Elle terrorise les populations, qui, désemparées, voient survenir le mal régulièrement dans les provinces. Les jeunes enfants sont particulièrement touchés. La maladie hante les esprits.

Nombreux sont les adultes qui, en ayant réchappé, garderont cependant toute leur vie durant des cicatrices bien visibles de la maladie, notamment au visage. Parmi les plus illustres, citons Beethoven, Danton, Mozart, Elisabeth I, Georges Washington, Robespierre, Abraham Lincoln, Mirabeau… Plus récemment, Staline l’avait aussi contractée enfant. Parmi ceux qui en sont morts, plus âgés, il y a Louis XV, le cartographe Cassini, Catherine de Médicis, Hugues Capet, le Grand Dauphin (héritier de Louis XIV) ou le jeune Joseph-Ferdinand de Bavière (héritier de la couronne d’Espagne).

Salle de l’hôpital antivariolique de Hampstead, 1871.
Salle de l’hôpital antivariolique de Hampstead, 1871. © Oxford Science Archive / Heritage Images

Variolisation

Avant la découverte de la vaccination et sa mise à l’épreuve par Jenner, à la fin du XVIIIe siècle, on n’est pas resté forcément les bras ballants. On a notamment misé sur ce qu’on a appelé la " variolisation ". L’opération consistait à inoculer une forme peu virulente de la variole à un sujet sain. Bien qu’elle ne fut pas exempte de risque (on estime à 1 ou 2% le nombre de personnes qui développaient finalement la maladie), la technique s’avérait efficace. Les personnes piquées ne faisaient pas de formes graves.

Venant de Chine, la variolisation arrive en Europe au tout début du XVIIIe siècle. La première inoculation a lieu à Constantinople en 1701. Peu à peu – à pas de loup, car ce fut loin d’être un mouvement radical, tant l’ignorance et la suspicion étaient de mise notamment chez les médecins —, des personnalités de l’époque vont faire des exemples durant tout le siècle des Lumières. La femme de l’ambassadeur du Royaume-Uni à Constantinople, Cotton Matter, pasteur puritain, lors d’une épidémie à Boston en 1721… On teste d’abord sur des criminels, on tâtonne, on perfectionne le système puis, à force d’empirisme, la pratique se répand néanmoins dans les mœurs, notamment dans les élites… En 1762, Catherine II de Russie se la fait inoculer à elle et à son fils, déclenchant (vu la réussite de l’opération) une mode à la Cour de Saint-Pétersbourg…

Transport d’un corps lors de l’épidémie de variole au Cap
Transport d’un corps lors de l’épidémie de variole au Cap © Getty

Expériences en France

En France, il faut attendre pour qu’un médecin genevois, Théodore Tronchin ne commence sa croisade pour l’inoculation de la variole – maladie qu’il avait eue étant enfant —. Celui qui collabora à l’Encyclopédie, il fera l’opération sur les enfants de princes, tels ceux du Duc d’Orléans en 1756. Très attaché à la notion d’hygiène, le praticien, ami de Voltaire, fut un des médecins les plus respecté de son temps. La variolisation restera tout ce siècle très décriée, malgré des expériences parfois à grande échelle (un dixième de la population de la province de Franche-Comté a été " variolisé " en 20 ans, les armées napoléoniennes prennent la pratique dans leurs bagages…). Les querelles d’experts furent épiques.

Louis XVI, un pionnier

En 1774, le roi Louis XVI fit le pas et s’inocula la maladie. Fervent partisan de la méthode, le monarque, très friand de nouvelles découvertes et de progrès scientifiques, essayera de répandre et de généraliser la technique, sans toutefois y aboutir (seule l’aristocratie s’y adonnera vraiment).

Louis XVI donnant ses instructions à la Pérouse, en 1785.
Louis XVI donnant ses instructions à la Pérouse, en 1785. © Tous droits réservés

Edward Jenner

En 1796, deux noms, un propre et un commun vont rester dans l’Histoire. Le nom propre, c’est Edward Jenner. Médecin et physicien britannique, va inventer la " vaccination ". Et celle-ci est en rapport direct avec la variole. En effet, on avait remarqué à l’époque que les paysans qui avaient contracté la vaccine, une variole touchant les vaches mais bénigne pour l’être humain, semblaient protégés contre la variole. Edward Jenner va expérimenter le phénomène. Il va prélever du pus d’une fermière infectée par la vaccine et l’inoculer sur un enfant.

Edward Jenner 1800.
Edward Jenner (1749-1823), médecin anglais, vaccinant un enfant avec le sérum Cowpox (dessin de 1901)

La vaccination est née. Beaucoup moins aléatoire que la " variolisation " (dans ce cas, c’était la variole elle-même, d’un patient peu atteint, qui était inoculée), la découverte va faire sensation…

Edward Jenner en plein acte de vaccination sur James Philipps, un garçon de 8 ans, le 14 mai 1796 (tableau d’Ernest Board, 1920-1930)
Edward Jenner en plein acte de vaccination sur James Philipps, un garçon de 8 ans, le 14 mai 1796 (tableau d’Ernest Board, 1920-1930) © Tous droits réservés

Suspicions…

Sensation, mais cela n’empêchera pas les polémiques, levées de boucliers et autres suspicions. En 1853, la vaccination contre la variole devient obligatoire au Royaume-Uni. La contestation est à son comble. Comme quoi, l’Histoire a tendance à se répéter sous certains aspects… A la toute fin du XIXe siècle, une " clause de conscience " est écrite dans la loi britannique. On peut donc se soustraire à la vaccination dans une certaine mesure. En France, il faudra attendre 1902 pour qu’elle devienne obligatoire. Diverses tentatives ont échoué tout au long du siècle précédent, bien que l’acte soit devenu primordial pour de nombreuses personnes (ainsi les écoliers et étudiants sont obligés de se faire vacciner à partir de 1882…)

"La vaccine ou les merveilleux effets de la nouvelle inoculation", gravure de H. Humphrey, 1809
"La vaccine ou les merveilleux effets de la nouvelle inoculation", gravure de H. Humphrey, 1809 © Getty

Campagnes vaccinales

Victime de la variole (1890)

La première vaccination en France a, elle, eut lieu en 1800. Du " fluide vaccinal " est envoyé de Londres. En 1804, une " Société pour l’extinction de la petite vérole " est fondée à Paris. C’est le fameux docteur Guillotin qui la préside, et est chargé de promouvoir la vaccination sur tout le territoire. L’administration napoléonienne la promeut, des doses de vaccine sont envoyées vers les médecins des départements… En 1811, le Roi de Rome, fils de Napoléon, est vacciné. L’acte sera désormais aussi obligatoire dans l’armée. Des "campagnes" (pas seulement militaires donc, mais vaccinales) vont se mettre en branle.

Les autres pays, peu à peu, s’y mettent également. L’Espagne procède à la vaccination dans ses colonies (Amériques, Philippines…) au début du XIXe siècle ; l’Allemagne, confrontée à une épidémie au retour des soldats de la guerre franco-prussienne de 1870, la rend obligatoire 5 ans plus tard…

"Le nouveau manchon"
"Le nouveau manchon" © Getty

Piqûres salvatrices

La fin du XIXe siècle et le début du XXe ouvrent donc la voie à une véritable révolution dans le domaine de la médecine. Grâce à la vaccination, on peut espérer venir à bout des grandes épidémies qui ont fauché le monde depuis des générations. Pasteur met au point le vaccin contre la rage (1885), Calmette et Guérin le BCG (tuberculose, en 1920). S’ensuivent ceux contre la diphtérie (1923), le tétanos (1926), la coqueluche (1926), la grippe (1944), la polio (1954)…

Bien que des épidémies et pandémies aient toujours eu lieu, comme la terrible grippe espagnole (1918-1921) qui a fait de 20 à 50 millions de morts, des progrès sont réalisés tous les jours dans le domaine médical.

"Vaccination gratuite dans le grand hall du "Petit Journal"" en 1905
"Vaccination gratuite dans le grand hall du "Petit Journal"" en 1905 © Ann Ronan Picture Library / Heritage Images

Bien que des épidémies et pandémies aient toujours eu lieu, comme la terrible grippe espagnole (1918-1921) qui a fait de 20 à 50 millions de morts, des progrès sont réalisés tous les jours dans le domaine médical.

Mais la lutte pour venir à bout de la variole sera encore longue. 300 millions ( !) de morts seront encore à déplorer au XXe siècle. Ainsi, des épisodes peuvent encore survenir épisodiquement, comme lors de l’hiver 1954-55 à Vannes, en Bretagne, où la maladie fait 20 morts (récit à retrouver dans un article précédent).

Décision mondiale

En 1958, la variole faisait encore 2 millions de morts dans le monde. Il est décidé, par l’OMS (sur proposition soviétique) d’éradiquer la maladie de la surface du globe.

Les débuts furent tumultueux, des pays échouant dans la logistique et l’organisation, comme en Inde. Des conflits armés, des migrations de populations et des famines rendent les campagnes de vaccination de masse difficiles, comme dans la corne de l’Afrique. Mais cela va réussir.

Un médecin marque l’endroit où il va administrer le vaccin antivariolique à un militaire au Walter Reed Army Medical Center, à Washington, DC. L’endroit est marqué afin que les médecins puissent surveiller de près la réaction de la peau au vaccin immédiat
Un médecin marque l’endroit où il va administrer le vaccin antivariolique à un militaire au Walter Reed Army Medical Center, à Washington, DC. L’endroit est marqué afin que les médecins puissent surveiller de près la réaction de la peau au vaccin immédiat © Tous droits réservés

Le dernier cas recensé de variole dans le monde, contractée de manière naturelle, a été diagnostiqué en Somalie en 1977. Et le 8 mai 1980, la maladie a été déclarée " éradiquée " par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Il s’agit là de la première maladie éradiquée de l’Histoire.

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