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LISTE NOIRE

Scandale sexuel chez les évangélistes : séisme en terre ultraconservatrice américaine

Un rapport, mis en ligne dimanche, dévoile l’ampleur des agressions sexuelles passées sous silence au sein de la Convention baptiste du sud. De quoi fragiliser ce groupe religieux américain, fort de 13 millions de membres, dont le Parti républicain recherche activement le soutien depuis les années 2000.

La Convention baptiste du sud est le principal groupe protestant américain, comptant environ 13 millions de membres.
La Convention baptiste du sud est le principal groupe protestant américain, comptant environ 13 millions de membres. AP - Mark Humphrey
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C’est une liste qui va faire grand bruit aux États-Unis. Elle est censée contenir environ 700 noms de membres de la Convention baptiste du sud (SBC) - le plus important et influent groupe évangéliste chrétien du pays - soupçonnés depuis des années par leurs supérieurs d’agressions sexuelles.

L’existence d’une telle liste, longtemps niée par les pontes de la SBC, est l’une des principales révélations d’un rapport explosif, publié dimanche 22 mai. Un document qui, au fil de ses 300 pages, détaille les agressions sexuelles en série au sein de ce groupe et la manière dont la hiérarchie a ignoré, voire étouffé, les témoignages et plaintes depuis le début des années 2000.

"Ce n'est plus une crise, c'est l'apocalypse"

La décision de rendre publique cette liste, probablement jeudi 26 mai, représente le premier signe que les responsables de la Convention baptiste du sud prennent au sérieux non seulement les conclusions du rapport, mais aussi la réalité de l’ampleur du scandale.

Il faut dire que le rapport, commandé en 2021 à des enquêteurs indépendants, entre dans les moindres détails sans épargner personne. Il met même en cause un ancien président de la SBC, accusé d’agressions sexuelles.

“C’est tellement pire que ce à quoi je m’attendais”, a reconnu Ed Litton, l’actuel président de la Convention baptiste du sud. “Ce n’est plus une crise, c’est l’apocalypse. C’est tout le système qui est remis en cause”, a écrit Russell Moore, un prédicateur qui a quitté la SBC l’an dernier.

En effet, le rapport ne se contente pas d’énumérer le tragique décompte des cas d’agressions sexuelles, aussi bien contre des mineurs que contre des femmes. Sur ce point, les enquêteurs confirment pour l’essentiel les révélations faites en 2019 par le Houston Chronicle et le San Antonio Express-News.

“Ce qui est tout aussi alarmant, c’est la description des efforts entrepris depuis plus de vingt ans par des hauts responsables pour minimiser la parole des victimes et protéger à tout prix l’institution contre tout risque de poursuite”, résume Andrew Lewis, politologue à l’université de Cincinnati et spécialiste de l’engagement politique des groupes religieux.

August Boto, un influent ex-responsable du comité exécutif de la SBC qui est souvent cité dans le rapport, avait ainsi comparé dans un email les efforts des victimes pour attirer l’attention sur leur sort à “un complot satanique visant à nous distraire de notre mission d’évangélisation”.

“Ce rapport est terrifiant à lire. Peut-être qu’il est temps de tourner définitivement la page de la SBC”, a réagi Boz Tchividjian, un avocat qui représente des victimes d’agressions sexuelles, interrogé par le New York Times.

L’institution de référence dans le monde protestant américain

Difficile pour un observateur extérieur aux États-Unis de comprendre à quel point l’hypothèse d’une fin de la Convention baptiste du sud peut être, en soi, un tremblement de terre, non seulement religieux, mais aussi culturel et politique aux États-Unis.

Ce n’est, en effet, pas seulement un nouveau scandale sexuel qui s’abat sur un groupe religieux, comme cela avait pu être le cas avec l’Église catholique nord-américaine au début des années 2000.

Forte d’environ 13 millions de membres, la Convention baptiste du sud représente le principal courant du protestantisme, c’est-à-dire de la branche majoritaire du christianisme aux États-Unis. “Comme les autres groupes protestants, la SBC est très décentralisée avec des chapelles locales plutôt autonomes, mais elle a aussi un comité exécutif très structuré et puissant qui fait d’elle l’institution de référence dans le monde protestant américain”, résume Tobias Cremer, spécialiste des relations entre religion et politique à la Faculté de théologie d’Oxford.

Un statut particulier et influent dans une Amérique profonde encore très religieuse, qui fait de ces évangélistes une espèce très courtisée par le monde politique depuis longtemps. Et leur rôle n’a fait que croître dans l’arène politique. Les présidents démocrates Jimmy Carter et Bill Clinton se revendiquaient de la Convention baptiste du sud.

Mais depuis le début des années 2000, il est devenu de moins en moins opportun pour un responsable politique modéré ou libéral de clamer son appartenance à la SBC. Ces religieux portent dorénavant haut les couleurs des “évangélistes chrétiens ultra-conservateur blancs”, souligne Tobias Cremer.

Ce n’est pas non plus un groupe monolithique et les éléments les plus modérés font qu’il peut apparaître moins extrémiste que les petites chapelles évangélistes les plus enragées. Mais même les factions les moins à droite défendent des valeurs familiales - sur les questions d’avortement, de mariage homosexuel - qui sont irréconciliables avec le Parti démocrate.

Un glissement à droite qui a permis à la SBC de “devenir pendant longtemps les faiseurs de roi au parti républicain. John McCain, Mitt Romney ou encore George W. Bush ont tous cherché activement leur soutien en leur donnant des gages”, explique Tobias Cremer.

Plus modéré ou plus trumpien ?

En d’autres termes, celui qui contrôle la SBC a son mot à dire sur le programme du Parti républicain. C’est pourquoi le scandale sexuel qui ébranle cette institution “va avoir des conséquences politiques et sociales au niveau national”, assure Andrew Lewis.

Ces révélations interviennent, en effet, à un moment charnière de la vie de la Convention baptiste du sud. “C’est une institution en crise et en proie à une intense lutte de pouvoir depuis cinq ans”, explique Andrew Lewis.

La SBC n’est plus seulement le petit coin de paradis de l’Américain blanc qui suit aveuglément ce que lui dit son prédicateur. “Il y a un double mouvement à l’œuvre : d’un côté, un changement démographique lié à la sécularisation rapide de la population active blanche, ce qui fait qu’une partie importante des moins de 30 ans à la SBC sont maintenant issus des minorités ethniques”, note Tobias Cremer.

De l’autre, un nombre grandissant de membres quittent ce groupe parce qu’ils jugent que la direction est devenue trop politique et pas assez religieuse. En parallèle, “la plupart des nouveaux arrivants se disent évangélistes parce qu’ils associent ce mouvement à Donald Trump, qu'ils soutiennent”, note l’expert d’Oxford. Ces nouvelles ouailles font donc pencher la balance vers une plus grande politisation du SBC.

Face à ces changements, deux grandes factions tentent d’imposer leur vision du futur de la SBC. Les modérés, qui affirment qu’il faut tenir compte des changements démographiques et mettre de l’eau dans son vin sur des questions comme l’immigration ou la place des femmes dans l'organisation, affrontent les ultra-conservateurs, qui veulent rester aussi dogmatiques que possible.

Il se trouve que “ce sont les ultra-conservateurs qui ont été le plus opposés à l’enquête sur les scandales sexuels”, souligne Andrew Lewis.

Pour ce spécialiste, la publication du rapport constitue un sérieux revers pour cette faction extrémiste. La frange la plus modérée pourrait en profiter très rapidement, puisque des élections pour renouveler le comité exécutif doivent avoir lieu cet été.

Le Parti républicain pourrait alors vouloir leur plaire en se montrant plus ouvert sur certains thèmes comme l'immigration, ou les droits de la communauté LGBT.

Mais ce n'est qu'un scénario. L'autre est que "ce scandale accélère l'exode des membres du SBC et sape davantage l’influence que l’organisation peut avoir dans le monde politique”, extrapole Tobias Cremer. Auquel cas, il ne resterait au Parti républicain comme boussole idéologique que le seul candidat à avoir obtenu l’investiture du parti sans draguer les évangélistes : Donald Trump. Cette crise pourrait ainsi rendre les républicains encore plus “trumpo-dépendants” qu’ils ne le sont déjà.

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