Selon le chef de l’investissement responsable de HSBC, le changement climatique est « une hérésie »

L’ÉDITO / Le 20 mai dernier, Stuart Kirk, chef mondial de l’investissement responsable à la division de gestion d’actifs d’HSBC, a tenu à rappeler dans le cadre d’une conférence organisée par le Financial Times que le changement climatique constituait « une hérésie  ». De quoi mettre sérieusement en doute la bonne foi d’une banque qui se présente pourtant comme la championne européenne de la finance durable.

Selon le chef de l'investissement responsable de HSBC, le changement climatique est « une hérésie »
Stuart Kirk, chef mondial de l’investissement responsable à la division de gestion d’actifs d’HSBC, lors de la conférence organisée par le Financial Times le 20 mai 2022 Capture d'écran Youtube

 

Il est fort probable que Stuart Kirk, chef mondial de l’investissement responsable à la division de gestion d’actifs d’HSBC, première banque européenne, regrettera longtemps le petit exposé auquel il s’est livré le 20 mai dernier devant tous les pontes de la finance mondiale. Invité à prendre la parole par le Financial Times dans le cadre d’un forum économique organisé par le quotidien britannique, Stuart Kirk s’est lancé dans l’arène pour présenter un joli PowerPoint intitulé « Pourquoi les investisseurs ne devraient pas être préoccupés par le risque climatique. » À ce stade de l’affaire, rien n’est encore dit. Certes, l’intitulé a de quoi dérouter, mais Stuart Kirk aurait pu s’arrêter là, avoir un petit sursaut de lucidité, se dire que son angle d’attaque n’était pas forcément le plus pertinent, reboutonner sa chemise, planquer son joli PowerPoint et aller gentiment se rasseoir. Mais non. Visiblement très en verve, il a rappelé à un auditoire mortifié que « le changement climatique n’était pas un risque dont nous devions nous inquiéter », qu’il s’agissait même « d’une hérésie ! ».

À peine deux minutes s’étaient écoulées depuis le début de sa présentation, et l’ambiance dans la salle devait déjà être aussi glaciale que dans une réunion de famille d’un film de Michael Haneke. Qu’importe, Stuart a continué. « Qu’est-ce que ça peut faire si Miami est six mètres sous l’eau dans cent ans ? Amsterdam est sous l’eau depuis des lustres, c’est un endroit très agréable. Nous nous adapterons ». Les habitants de Miami peuvent remercier Stuart pour cette belle leçon de pragmatisme. Mais ce qui nous intéresse le plus ici est probablement la conclusion de ce splendide étalage de cynisme : « Tout au long de mes vingt ans de carrière, j’ai toujours entendu un cinglé me parler de la fin du monde. »

« Tout au long de mes vingt ans de carrière, j’ai toujours entendu un cinglé me parler de la fin du monde. »
Stuart Kirk, chef mondial de l’investissement responsable à la division de gestion d’actifs d’HSBC, lors de la conférence organisée par le Financial Times le 20 mai 2022

Résumons donc la situation : le chef mondial de l’investissement responsable à la division de gestion d’actifs de HSBC, dont la mission principale est de faire en sorte que les investissements de la  banque soient fléchés en direction de projets alignés sur la stratégie zéro carbone du groupe, en a ras le bol d’être constamment environné de gens qui lui rappellent que la planète chauffe. Deux hypothèses face à cela. Soit Stuart Kirk n’était pas présent sur place : c’est son hologramme maléfique qui a dégainé le fatal Powerpoint à sa place. Soit – hypothèse la plus probable – Stuart Kirk est le cadre le plus honnête du top management de HSBC.

Signe des temps, cette honnêteté lui a cependant valu d’être suspendu depuis. Et, dans une tentative vaine mais louable de limiter le massacre, le directeur général de HSBC Holdings PLC, Noel Quinn, s’est fendu d’un communiqué sur Linkedin dans lequel il se désolidarise totalement des propos du chef mondial de l’investissement responsable d’HSBC et rappelle que l’ambition de la banque britannique « est d’être la première banque à soutenir l’économie mondiale dans la transition vers le zéro net ». C’est en tout cas le wording choisi par HSBC depuis octobre 2020, date à laquelle l’entreprise s’est effectivement fixé un objectif net zéro pour 2050 (ça fait loin, tout de même), sans préciser cependant les objectifs intermédiaires qui, à l’échelle de l’entreprise, devaient permettre ce grand basculement – détail qui, évidemment, a son importance.

Car il y a les mots, et il y a les chiffres. Outre le fait qu’il semble difficile de croire que la direction de HSBC ait pu ignorer que Stuart Kirk se moquait totalement du réchauffement climatique – le bonhomme a l’air de ne pas louper une occasion de le rappeler ! – HSBC a financé des entreprises de l’industrie fossile à hauteur de 87 milliards de dollars entre 2016 et 2019, ce qui en fait actuellement, selon le Rainforest Action Network, cité par Le Monde, la douzième banque la plus active au monde dans ce secteur – les trois premières étant  JPMorgan Chase, Wells Fargo et Citi, toutes trois américaines, et la deuxième en Europe. HSBC gagne encore quelques places supplémentaires dans le financement du charbon.

Citons une énième fois le GIEC qui, dans son dernier rapport, rappelle que, pour avoir encore une chance d’éviter la «  catastrophe climatique », la réduction des énergies fossiles constitue LA priorité absolue. C’est pourquoi les scientifiques du groupe d’experts enjoignent les décideurs du monde entier à abandonner le charbon d’ici 2050. Mais, dans un autre espace-temps, des banques telles que HBSC continuent de financer à hauteur de milliards d’euros ces mêmes énergies fossiles – autant de capitaux qui devraient prioritairement être fléchés en direction de la transition écologique. Les indications du GIEC sont pourtant claires : pour limiter le réchauffement à moins de 2 °C, les investissements annuels financiers en sa faveur devraient être de trois à six fois plus importants entre 2020 et 2030.

Petit signe d’espoir (tout de même !), le 11 janvier 2021, sous l’impulsion de l’ONG ShareAction, un groupe d’actionnaires a soumis une motion demandant à HSBC de présenter un plan annuel détaillé pour réduire ses financements des entreprises polluantes. Face à ce coup de pression inédit dans l’histoire de la banque britannique, HSBC a assuré quelques mois plus tard avoir l’intention de diminuer progressivement son soutien à l’industrie houillère – dans le monde développé d’ici 2030 et dans le monde en développement d’ici 2040. Mais ça, c’était avant les déclarations de notre cher Stuart…

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