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Une nouvelle étude met en évidence des convergences entre propagande russe et désinformation autour du coronavirus

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Par Grégoire Ryckmans

L’analyse de canaux publics de la messagerie cryptée Telegram a mis en évidence la porosité entre la désinformation liée à la pandémie de Covid-19 et la propagande de guerre pro russe. Cette nouvelle étude s’inscrit dans la continuité de l’analyse d’un phénomène également mis en évidence côté francophone, que ce soit en France ou en Belgique.

Cette enquête menée par la VUB et le DisinfoLab dans le cadre du hub européen de lutte contre la désinformation EDMO Belux, met également en lumière la façon dont ce phénomène s’inscrit dans une tendance plus globale de convergence des récits sur ces deux sujets.

Des narratifs convergents

Dans la première partie de leur enquête, les chercheurs ont effectué une analyse comparative des éléments de désinformation sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine qui ont fait l’objet de vérifications des faits. Leur analyse a porté sur différents pays, langues et plateformes.

Les chercheurs ont pu mettre en évidence des schémas récurrents entre les récits conspirationnistes développés dans le cadre de la pandémie de Covid-19 et ceux qui ont émergé autour de l’invasion russe de l’Ukraine.

Une première analyse de la narration indique que le sentiment que "les choses (qu’il s’agisse de la guerre ou du virus) sont en train de devenir incontrôlables" a été observé dans les deux cas.

Maria Giovanna Sessa, chercheuse senior au DisinfoLab de l’UE et coauteure de l’étude, commente : "Les crises politiques et internationales peuvent servir de base à une crise de l’information. La guerre actuelle en Ukraine, qui fait suite à 'l’infodémie' autour du Covid-19, montre comment les narratifs de désinformation peuvent converger.".

Pour la chercheuse, les "affirmations fabriquées d’un génocide mené par les Ukrainiens" contre les populations russophones du Donbass rappellent "les accusations de crimes contre l’Humanité pour avoir prétendument fabriqué la pandémie et la production des vaccins anti Covid-19".

Une abondance de théories du complot

L’étude indique également que "le souvenir du régime nazi a conduit de nombreuses personnes à utiliser le terme de génocide de façon inappropriée". De l’argumentaire de Vladimir Poutine sur l’invasion russe, présentée comme une mission de "dénazification", à la mise sur un même pied du traitement des personnes non vaccinées et la persécution des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ces argumentaires se recoupent.

Les chercheurs pointent également le fait que ces dernières semaines, les théories du complot abondent. Elles trouvent un écho auprès de communautés spécifiques, qui sont susceptibles d’être convaincues qu’il existe, par exemple, des biolabs financés par les États-Unis en Ukraine chargé de développer des armes bactériologiques et que le Covid-19 a été fabriqué artificiellement dans un laboratoire de Wuhan. "La même mentalité conduit à la négation des faits et à la banalisation des victimes de la guerre ou du virus", indiquent les auteurs de la recherche.

Une récurrence dans l’argumentaire, avec des rebondissements

La seconde partie du rapport présente une analyse des éléments narratifs de 225 canaux Telegram publics néerlandophones, identifiés par les chercheurs comme étant en lien avec des communautés proches de l’extrême droite ou de thèses conspirationnistes.

Les chercheurs ont pu mettre en évidence des éléments récurrents dans les argumentaires sur le coronavirus ou la guerre en Russie dans ces groupes. Pour les auteurs de la recherche, cela suggère que le passage de l’adhésion aux théories conspirationnistes liées au coronavirus vers celles liées à la propagande de guerre est un point de pivot important dans un processus beaucoup plus long d’évolution narrative sur les réseaux sociaux.

En tant que tel, l’un des principaux résultats de cette étude est qu’afin de persister et se propager, la désinformation doit contenir des éléments prévisibles et récurrents. Avec, de temps à autre, des rebondissements et des innovations qui doivent être introduits afin de s’adapter à l’évolution d’événements extérieurs.

Pour Tom Willaert, coauteur de cette recherche et chercheur post-doctorant à la VUB, "ces résultats ne sont qu’une première étape. Notre recherche révèle que ces canaux publics se sont réorientés vers la propagande de guerre pro russe, et que ce changement est un point de pivot important dans un processus continu d’évolution narrative" de ces contenus.

Basculement de thèses "antivax" contre le Covid-19 vers un soutien à Poutine

Ces éléments observés dans des groupes néerlandophones actifs aux Pays-Bas et en Flandre ne sont pas isolés.

Une étude menée par l’institut de sondage français Ifop en collaboration avec la Fondation Reboot publié fin mars de cette année indiquait qu’une partie des personnes qui adhèrent aux théories antivaccins adhère également aux propos de Vladimir Poutine pour justifier la guerre en Ukraine.

En effet, l’étude menée en France indique que près d’un Français sur quatre (25%) "croit ainsi à la fois à au moins une des théories antivax et à au moins un des arguments justifiant la guerre en Ukraine".

"Une partie de ceux qui croyaient aux thèses antivaccins ont basculé vers un soutien à la politique de Poutine. On le voit dans le discours de certains influenceurs comme le rappeur Booba", décryptait François Kraus dans le Journal du dimanche en mars dernier.

Cette porosité entre les deux univers transparaît aussi dans un autre chiffre : 71% des personnes sondées et identifiées comme étant "antivax" par l’Ifop croient au narratif développé par Vladimir Poutine pour justifier la guerre en Ukraine alors que l’adhésion à la propagande russe est beaucoup plus faible (43%) chez les Français ne croyant à aucune de ces théories contre les vaccins.

Une réorientation du discours dans plusieurs sphères hostiles aux mesures anti Covid

D’autres observateurs des sphères francophones d’opposants aux mesures sanitaires et à la politique de vaccination contre le coronavirus ont identifié qu’un certain nombre d’entre elles avaient totalement réorienté leur discours.

En mars déjà, nos confrères du Monde avaient mis en évidence la proximité entre le "complotisme sur le Covid-19" et "la tentation du soutien à Vladimir Poutine".

Ils avaient notamment identifié comment dans cette communauté "covido sceptique", très présente sur les réseaux sociaux, la guerre en Ukraine est souvent vue comme une énième manipulation des masses. Nos confrères ont également mis en évidence la façon dont les éléments de propagande de Moscou ont trouvé des relais dans ces communautés.

"Au sein du mouvement protéiforme des opposants à la vaccination obligatoire, au port du masque ou au passe sanitaire, la guerre en Ukraine est bien souvent vue comme une manœuvre de diversion, destinée à justifier d’autres mesures liberticides", écrivaient nos confrères des Décodeurs du Monde.

Plus loin, ils mettaient en évidence un dénominateur commun, le sentiment de "résistance" : "Dans cette sphère militante où coexistent diverses sensibilités politiques, un sentiment fait l’unanimité : celui d’être des 'résistants' face aux manipulations des masses par les médias mainstream et le pouvoir. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la condamnation unanime de l’agression russe sur l’Ukraine ait été regardée avec scepticisme par des communautés qui se font une fierté de ne pas être 'des moutons' et d’exercer leur esprit critique."

Une désinformation présente sur plusieurs canaux et réseaux sociaux

Début avril, nos confrères du Soir analysaient également ce glissement narratif et la façon dont les critiques appuyées contre la gestion sanitaire du coronavirus par les autorités et certains médias avaient glissé vers la diffusion "de fausses informations de groupes pro russes du réseau Telegram, sur TikTok, Facebook, Instagram, LinkedIn ou YouTube".

Avec un exemple : celui d’une figure célèbre de ces mouvements opposés au narratif officiel sur le Covid-19, Silvano Trotta. Nos confrères du Soir indiquaient alors que "cet influenceur conspirationniste, célèbre pour ses discours taxant la pandémie de "fake news", s’est trouvé un nouveau dada : "la doxa du Kremlin". Avec pour preuve, notamment, cette publication : "Je rappelle à tous que les Russes n’attaquent pas les civils ukrainiens, uniquement les installations militaires."

Défiance à l’égard des politiques au pouvoir et des médias qualifiés de "maintream"

L’adhésion de certains de ces groupes, autrefois opposés aux mesures sanitaires et aujourd’hui soutiens de l’argumentaire pro Kremlin, ne surprend pas l’historienne et spécialiste des discours complotistes, Marie Peltier : "La propagande russe a abreuvé ces groupes pendant des années. RT (ndlr : Russia Today) a joué un rôle particulièrement important : cette chaîne a permis une structuration du mouvement antisystème, en se présentant comme une voie alternative", explique-t-elle au Figaro.

Ce discours "antisystème" a sensibilisé cette partie du public qui se montre défiant envers les institutions et les médias. Ce public, qui s’est structuré parfois autour d’autres mouvements comme celui des gilets jaunes et catalysé par l’interdiction des médias russes RT France et Sputnik dans l’UE, trouve aujourd’hui des espaces d’expression en dehors des plateformes traditionnelles comme Twitter, Facebook ou Youtube, accusées de censurer la diffusion de leurs idées.

Les canaux publics de la messagerie cryptée Telegram sont aujourd’hui devenus le réceptacle de ces communautés, rassemblées autour de la critique d’un "système politico-médiatique" jugé "corrompu".

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