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Variole du singe : cette vérité que les autorités sanitaires doivent aux hommes gays
©JAKUB PORZYCKI / NURPHOTO / AFP

Mise au point

La crainte de la stigmatisation ne doit pas conduire à reproduire les erreurs qui se sont révélées tragiques au moment du VIH

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : L’information selon laquelle la variole du singe circule de manière disproportionnée chez les populations d'hommes gays ou bis. Que savons nous exactement sur le sujet ?

Antoine Flahault : Le virus de la Variole du singe a été identifié la première fois en 1958 chez des primates contaminés dans une animalerie de Copenhague au Danemark, d’où son nom. Ce nom est un peu malheureux car en réalité ce virus n’entraîne pas la variole, maladie redoutable qui a été éradiquée de la planète en 1980 et ne vient pas non plus des singes, mais plutôt de petits rongeurs sauvages, notamment des écureuils que l’on retrouve dans des palmeraies d’Afrique équatoriale. Le virus a été identifié chez l’homme à partir de 1970, puis de plus en plus souvent une fois que la variole a été éradiquée (parce qu’on pouvait avant la confondre avec une forme bénigne de variole). La variole du singe survient en Afrique le plus souvent chez des enfants de moins de 16 ans, qui s’étaient contaminés auprès de rongeurs en milieu rural. Les chaînes de contaminations s’éteignaient alors assez rapidement, généralement après 6 ou 7 générations au maximum, en faisant un virus peu transmissible entre humains. La transmission par voie sexuelle n’est pas rapportée comme une voie habituelle de transmission de ce virus. La faible transmissibilité apparente explique en revanche qu’une forte promiscuité des corps soit nécessaire pour permettre la contamination, notamment par contact entre les vésicules d’une personne contaminée et la peau d’une personne saine. L’émergence de l’épisode actuel, préférentiellement dans la communauté homosexuelle masculine, peut donc s’expliquer par la promiscuité des comportements au sein de cette communauté, couplée à son interconnexion internationale et sa mobilité. Il est peu probable que le mode de transmission du virus ait changé, et la transmission par voie sexuelle ne doit pas jouer de rôle déterminant dans l’épisode actuel, même si on ne peut pas exclure totalement une participation de cette voie de contamination.


Certains craignent de stigmatiser les populations gays et bi en adressant des messages de santé publique qui leurs sont destinés, mais quels risques sanitaires prenons nous à ne pas mettre en place une communication et une action de santé publique qui alerte spécifiquement les populations concernées de ces risques accrus ?

Les communautés LGBT sont très souvent stigmatisées. Elles ont payé un tribut particulièrement lourd à la pandémie de VIH/Sida, en souffrant doublement, dans leur corps lorsqu’ils étaient contaminés et du fait de la stigmatisation sociale dont elles ont été alors les premières victimes. Il ne faut donc pas ignorer cette histoire récente à chaque fois qu’un phénomène épidémique atteint ces communautés et d’une manière générale à chaque fois qu’une minorité est ciblée lors de ce type de phénomène. Au début de la pandémie de Sida, les Haïtiens avaient été ostracisés tant aux USA qu’en Europe. Dans le cas du COVID-19 on se souvient aussi de réactions anti-chinoises initiales qui furent parfois très violentes. Dans le cas de la Variole du singe, il faut veiller à ne pas faire resurgir les démons de ce passé très récent. D’une part, répétons-le, il ne s’agit en rien d’une maladie liée à la sexualité et encore moins à l’homosexualité masculine. D’autre part, il ne s’agit pas d’une maladie chronique et irrémédiablement fatale comme pouvait l’être le Sida avant les traitements anti-rétroviraux. Il s’agit au contraire d’une maladie qui pour le moment semble d’une gravité voisine de celle de la varicelle, que l’on veut certes empêcher de voir se propager dans des populations naïves vis-à-vis de ce virus, mais qui n’est pas aujourd’hui source d’inquiétudes majeures de la part du corps médical.


Comment réussir à concilier l’impératif de santé publique tout en évitant de stigmatiser les personnes gays ou bis, comme ce fut le cas par exemple pendant l’épidémie de SIDA ?

Pendant une fenêtre de temps qui pourrait être assez courte, l’impératif de santé publique est de tenter d’empêcher aujourd’hui la propagation du virus de la Variole du singe dans le monde. Les gouvernements de tous les pays concernés peuvent encore, s’ils le décident, démanteler toutes les chaînes de transmission sur leur territoire. Pour ce faire, ils doivent alors proposer un test PCR pour ce virus à toutes les personnes présentant des lésions cutanées suspectes. Certains résultats s’avèreront peut-être des varicelles (qui surviennent parfois chez l’adulte) ou même des zona (dus aussi au virus de la varicelle), mais les cas positifs pour le virus de la Variole du singe devront être isolés pendant trois semaines, car c’est la durée présumée de la période contagieuse. L’isolement devrait être recommandé à l’hôpital, ce qui est encore faisable lorsque le nombre de cas est très limité comme actuellement. Il faut aussi rechercher tous les contacts rapprochés, en se rappelant que la transmission nécessite un contact physique direct avec la peau du malade, ou indirect avec ses vêtements ou ses draps. Il faut alors mettre en quarantaine les cas-contacts, pendant 21 jours (car c’est la durée de la période d’incubation). On peut aussi vacciner les contacts à risque dans les quatre premiers jours suivant le contact présumé avec le malade. Enfin, il faut éviter tout contact des personnes infectées avec des animaux de compagnie, pour ne pas risquer de constituer de nouveaux réservoirs animaux, puisqu’on se rappelle que les rongeurs sont le réservoir originel de ce virus. Vous pouvez constater qu’il n’est pas beaucoup question de sexualité dans toutes ces recommandations. Il n’est pas fait mention de communautés à risque particulier, ni d’usage du préservatif. Certes les travailleurs du sexe, hommes ou femmes, sont également à risque, à cause de la promiscuité des corps que leur travail entraîne. En réalité un couvent, une famille, un club de sport ou un pensionnat sont probablement tout aussi à risque et pourraient devenir les prochaines communautés ciblées par le virus s’il venait à se propager dans la population.

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