Yuri est né le 27 juillet 1998 à Mourmansk, dans l’extrême nord-ouest de la Russie. Avant d’être lieutenant dans l’armée russe, c’était un jeune homme de 23 ans qui filmait sa vie avec son téléphone. Cet appareil a terminé entre les mains de l’armée ukrainienne lorsqu’il a été capturé, au début du mois d’avril.

Les vidéos de ses amis, de ses soirées, de ses vacances, de ses interventions en Tchétchénie puis dans l’oblast de Donetsk, en Ukraine, ont été récupérées par Mikhaïl Tkach, chef du service des enquêtes du journal ukrainien Oukraïnska Pravda, qui les a utilisées pour un documentaire, L’Occupant, visionné plus de 3 millions de fois sur YouTube.

Comme le raconte Holod, site d’information russe indépendant, le journaliste a considéré que “la valeur sociale de ces vidéos dépassait les arguments éthiques contre leur publication”. Il a plongé dans l’intimité de ce prisonnier de guerre pour monter une vidéo de vingt-quatre minutes réalisée exclusivement à partir de ces images volées.

Montrer “la vérité de la guerre”

“Nous voulons vivre sans guerre, nous sommes les cadets du Kremlin, l’honneur et la fierté de tout le pays”, chantent les jeunes camarades de promotion dans la scène d’ouverture. Sur les fronts, les casques marqués d’un Z remplacent les chapeaux de diplômés et les bandages rouges de sang se substituent aux verres d’alcool dans les mains. Les traits de Yuri se tirent, il perd progressivement la notion des dates et des lieux.

Le film se clôt sur une scène de retraite désespérée ponctuée de “putain !” L’aviation ukrainienne bombarde la colonne de chars du cadet, qui trouve refuge dans un village dévasté. Caché dans une cabane, Yuri Shalaev filme l’arrivée de fantassins ukrainiens, quelques heures avant son arrestation.

Ce document exceptionnel plonge le spectateur au plus près de la guerre et du quotidien des soldats russes, à l’ère des smartphones et des réseaux sociaux. Glaçante et fascinante, la rencontre filmée du prisonnier de guerre avec le youtubeur ukrainien Volodymyr Zolkin complète ce “portrait en trois dimensions” d’un Russe désigné par Holod comme “le produit de vingt ans de domination politique par Poutine”.

Le portable de Yuri, dont le réalisateur a pu consulter les messages privés, est effectivement “un miroir de la propagande russe”, constate Mikhaïl Tkach, interviewé par Meduza, site d’information russophone basé en Lettonie. En publiant des images qui donnent à voir les rouages de l’engrenage guerrier, il affirme avoir voulu montrer “la vérité de la guerre”. “Je fais une vidéo”, explique le lieutenant à l’un de ses camarades dans le film. “Mais putain, pour faire quoi ?” demande l’autre. L’authenticité de son témoignage et le saisissement qu’il provoque répondent pour lui.