Le cri de Wilhelm : l'histoire du son le plus connu du cinéma

A droite, Ben Burtt, l'ingénieur son qui a popularisé le cri de Wilhelm
A droite, Ben Burtt, l'ingénieur son qui a popularisé le cri de Wilhelm
Le cri Wilhelm : à l'origine d'un mème sonore
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Le cri de Wilhelm : l'histoire du son le plus connu du cinéma

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Enregistré au départ pour la bande-son d'un western des années 50, il est ensuite devenu une blague d'ingénieur du son. Voici l'histoire du cri le plus célèbre de l'histoire du cinéma.

Vous avez forcément déjà entendu ce cri présent dans des centaines de films. Voici comment une blague d’ingénieur du son est devenue le premier mème du cinéma et a annoncé l’avènement d’un nouveau genre de film… et de spectateur.

Laurent Jullier, théoricien du cinéma : "Quand des réalisateurs comme Tarantino utilisent le cri de Wilhelm, on a l'impression d'être devant des films faits pour être regardés entre amis, à la maison, tout en faisant des commentaires.

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Dans les années 1970, Ben Burtt, un jeune ingénieur du son embauché sur le tournage de La Guerre des étoiles, tombe par hasard, en fouillant dans les archives de la Warner, sur une vieille cassette audio.

Un cri cartoonesque

Sur la jaquette de cette cassette est écrit : “Bruit d’un homme mangé par un crocodile”. Intrigué et fasciné par ce cri, Ben Burtt l’utilise dans une scène de Star Wars où un soldat impérial tombe dans le vide. Grâce à ce jeune ingénieur du son et au film de George Lucas, ce cri étrange va être entendu au cinéma par des dizaines de millions de spectateurs.

Laurent Jullier : "Ce cri est fascinant parce qu’il est exagéré, il a un côté très cartoon. Il est assez mélodieux, c’est un hurlement moins déchirant que ce qu’on entend aujourd’hui dans des films gore. En outre, à l’époque, l’enregistrement était optique, c’est-à-dire que les hautes et les basses fréquences étaient lissées. C'est ce qui a donné à ce cri une douceur, un poli, un cachet analogique très difficile à retrouver aujourd'hui.

Ce hurlement est en réalité déjà apparu au cinéma. Sa première utilisation date d’un western de 1951 : Les Aventures du capitaine Wyatt. Enregistré par l’acteur Sheb Wooley en studio - où 6 prises ont été nécessaires pour trouver la bonne intonation - il a ensuite été inséré dans le film en post-production.

Avant Ben Burtt, ce cri atypique était déjà repris dans quelques films confidentiels de la Warner, dont La Charge sur la rivière rouge de 1953, où un soldat nommé Wilhelm reçoit une flèche dans la jambe. C'est en hommage à ce soldat que Ben Burtt l'a baptisé ainsi.

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Laurent Jullier : "Finalement Ben Burtt était fidèle à l’esprit de George Lucas, c’est-à-dire qu'on essaye de faire du neuf mais en recombinant, en remixant des éléments du passé."

Ben Burtt travaille sur les films de George Lucas et de Steven Spielberg. Il glisse le cri dans de nombreuses scènes, créant une intertextualité entre les univers des deux cinéastes… Ce lien entre ces deux mondes est renforcé par de nombreux clins d'œil à Star Wars dans Indiana Jones, comme le nom d'un night club dans Indiana Jones et le temple maudit du nom... d'Obi Wan (référence au Jedi Obi Wan Kenobi). Ben Burtt pousse le clin d'oeil jusqu’à inclure les autres versions de l’enregistrement du cri de Wilhelm, moins connues.

Laurent Jullier : "Ce genre de blague procède de ce qu’on appelle l'effet 'recognize and enjoy', c'est à dire que le spectateur se dit "Ah oui, j’ai reconnu, j’ai capté' et donc je me sens validé dans ma culture", c’est assez flatteur.

Le cinéma post-moderne ou l'industrialisation de la nostalgie

Le cri de Wilhelm devient la marque de fabrique de ce nouveau genre de film hollywoodien qui apparaît au début des années 1980, porté notamment par Steven Spielberg, George Lucas, Ron Howard et Richard Donner.

Ces films familiaux tranchent avec la noirceur du Nouvel Hollywood des années 1970 en surfant sur la nostalgie et en puisant des références dans l’âge d’or hollywoodien.

Laurent Jullier : "La post-modernité, c’est la conscience de venir après. On veut raconter une histoire avec une princesse à délivrer, qui se termine bien, avec un voyou comme Han solo qui change d’avis au dernier moment, qui revient aider les gentils, etc. mais on sait que ça a déjà été fait… et que ce n’est pas un drame. Spielberg et Lucas ont couru après leurs premiers émois de cinéphiles. Cette phrase de Nietzsche leur convient bien : 'Retrouvez le sérieux qu’on mettait enfant à jouer'".

Après la mort de Sheb Wooley, l’auteur du cri original, en 2003, Ben Burtt annonce arrêter d’utiliser l’enregistrement. Mais trop tard, le cri est devenu un mème, une blague méta dont abusent des dizaines d’autres cinéastes, réalisateurs de séries et même producteurs de jeux vidéo.

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