« L’ avenir sera féminin », titre en une le magazine danois Alt. Sur une photo « glamour », la nouvelle et l’ancienne première ministre, réunies dans le même gouvernement, posent en chemisiers colorés.

Elles sont désormais les « femmes puissantes » du « Château » (Borgen), où siègent les pouvoirs exécutifs et législatifs à Copenhague. « La première ministre Signe Kragh, 41 ans, parti travailliste, et la ministre des affaires étrangères Birgitte Nyborg, 53 ans, Nouveaux démocrates, se partagent le monde », lit à haute voix un conseiller politique. Le visage de l’aînée se crispe à l’évocation de son âge. Sa cadette se met, elle, en scène sur Instagram.

→ CRITIQUE. Borgen : À la reconquête du « Château »

Dans la saison 3 de Borgen, diffusée en 2013 sur Arte, Birgitte Nyborg (Sidse Babette Knudsen) se préparait à une victoire électorale avec son nouveau parti. Neuf ans plus tard, elle décroche le portefeuille convoité des affaires extérieures au sein d’une coalition soudée autour des enjeux sociaux et climatiques.

Rester fidèle à ses valeurs

Quelques jours plus tard, un gisement de pétrole est découvert au Groenland, territoire danois autonome. Alors que les gestionnaires canadiens de la mine et les autorités locales se félicitent de cette lucrative découverte, Birgitte Nyborg sollicite une interview télévisée. Elle rappelle que le Danemark, signataire de l’accord de Paris, a pris des engagements pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et fera prévaloir cet objectif dans l’intérêt des générations futures…

Peut-on conserver le pouvoir en restant fidèle à ses valeurs ? Ce questionnement demeure au cœur de l’excellente série danoise multiprimée, dont le retour ne décevra pas ses nombreux fans. Birgitte Nyborg, mère célibataire de grands enfants, en proie à la solitude et aux dérèglements hormonaux liés à la ménopause, surinvestit la vie politique jusqu’à l’ivresse. Elle n’est plus entourée de spin doctors ou de mentors, mais nomme ses hommes de main et contrôle sa communication.

Le monde a cependant changé. Et sa relation utilitariste avec les médias se heurte à une nouvelle pratique du journalisme, portée par Katrine Fonsmark (Birgitte Hjort Sorensen). L’ancienne présentatrice du journal télévisé, devenue cheffe de presse de Birgitte Nyborg dans la saison 3, dirige désormais le service de l’information de TV1 News. Plus question de dîners, de petits arrangements ou de sororité…

« Les séries télévisées ne sont pas un simple divertissement »

Le 13 avril 2022, les Danois retrouvaient avec exaltation leur série proposée en avant-première sur la chaîne publique DR1, avant une diffusion internationale sur Netflix, son coproducteur, le 2 juin. La saga du talentueux showrunner Adam Price (Ride Upon the Storm, Ragnarök) tient une place particulière dans leur cœur et dans l’histoire politique du pays.

→ PORTRAIT. Adam Price, de l’ombre à la lumière

L’ancienne ministre de l’économie Margrethe Vestager, la bête noire des Gafa à la Commission européenne, a inspiré le personnage de Birgitte Nyborg. Pendant la diffusion, Helle Thorning-Schmidt devenait, de 2011 à 2015, la première femme nommée à la tête du gouvernement. Quatre ans plus tard, une autre sociale-démocrate, Mette Frederiksen, 41 ans, briguait à son tour le poste de première ministre.

La fiction a-t-elle joué un rôle dans cette féminisation ? « Les séries télévisées ne sont pas un simple divertissement. Elles changent les mentalités, les représentations sociales. Elles préparent l’acceptation de certaines choses. Elles travaillent les imaginaires politiques », opine Virginie Martin, professeure chercheuse à la Kedge Business School. Dans Le Charme discret des séries (1), la politologue explique comment ces fictions, en s’adressant à notre intelligence émotionnelle, façonnent nos inconscients. « Très réaliste » dans sa représentation de la vie politique danoise, Borgen a pu, selon elle, remplir « une fonction visionnaire, sémaphorique de demain et après-demain ».

Une « probable » quatrième saison de Baron noir

« Borgen a été la première série politique à mettre en scène une femme au pouvoir, alors qu’elles apparaissaient jusqu’ici en position de seconde ou de conseillère », rappelle Frédérique Matonti, professeure de science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui a participé à l’ouvrage Séries politiques. Le pouvoir entre fiction et vérité (2). « À la différence d’autres séries décrivant un milieu machiavélique, Birgitte Nyborg passe ici son temps à devoir faire des choix moraux dans un régime parlementaire complexe propre au nord de l’Europe et qui oblige à la concession et aux accords. »

→ ENTRETIEN. Éric Benzekri : « Le “Baron noir” est aussi l’histoire d’une rédemption »

En cela, Borgen touchera plus difficilement un imaginaire français ancré dans un régime présidentiel très vertical qu’une quatrième saison de Baron noir, annoncée comme « probable », qui s’attellerait à donner une vision moins sacrificielle de la femme politique.

(1) Humensciences, 228 p., 16 €

(2) Sous la direction de Rémi Lefebvre et Emmanuel Taïeb, De Boeck Supérieur, 192 p., 26,50 €