Ukrainienne à Prague, « j’essaie d’oublier la langue du pays qui nous a agressés »

Violetta Knyazyeva

Ce vendredi marquera le 100e jour de l’invasion russe en Ukraine. Le 24 février dernier, Violetta Knyazyeva a quitté Kyiv avec sa fille sous les premières roquettes. Aujourd’hui employée dans le tourisme à Prague, Violetta suit avec angoisse la situation dans son pays où est resté son mari.

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Ukraine | Photo: Ministry of Internal Affairs of Ukraine/Wikimedia Commons,  CC BY 4.0 DEED

« Le 24 février, je me suis réveillée à 5h du matin avec des bruits bizarres que je n’avais jamais entendus avant. J’ai dit à mon mari que ça avait commencé. Il  m’a dit que ça devait être autre chose mais après avoir ouvert la fenêtre c’était clair de quoi il s’agissait. Mon mari, ma fille en pyjama, mon chat et moi nous sommes partis tout de suite dans la région des Carpathes, au Sud-Ouest, là où ma mère est née. »

« Nous n’y sommes restés que quelques jours car ils ont commencé à bombarder à Lviv et Ivano-Frankivsk. J’ai aussi commencé à recevoir des messages de gens qui subissaient les violences de soldats russes près de Kiev. J’ai pensé à ma fille de 12 ans et ai pris la décision de quitter le pays. »

« Ma mère, ma fille et moi sommes parties en laissant mon mari là-bas. Nous sommes passées en voiture par la Roumanie, puis la Hongrie, la Slovaquie et enfin Prague où habite ma meilleure amie. »

 « Je pense que l’invasion de 1968 fait que les Tchèques comprennent ce que nous, Ukrainiens, ressentons. » 

« Le mari de mon amie a trouvé des volontaires qui nous ont offert un mois à l’hôtel, ensuite ses collègues nous ont prêté leur résidence secondaire en banlieue. C’était génial, mais je ne voulais pas abuser donc j’ai commencé à chercher un logement. Ce n’a pas été facile mais j’ai fini par trouver. »

Photo illustrative: René Volfík,  iROZHLAS.cz

« Ma fille a pu être scolarisée en banlieue. Je remercie tout le monde parce qu’elle a été très bien accueillie et aujourd’hui elle adore l’école et ne veut pas en changer même si on déménage. Tout le monde a été très accueillant. »

« J’ai trouvé un emploi dans le tourisme, le domaine dans lequel je travaillais à Kyiv. »

« Mon mari continue de travailler, à distance. On a peur de voir comment la situation va évoluer, s’il va y avoir d’autres mobilisations… Il y a des hommes qui ne sont pas capables de tenir une arme et de tuer quelqu’un. »

« J’éteins parfois mon téléphone pour ne pas voir les atrocités de la guerre. »

« Quand la nuit il y a un grand bruit, comme un avion, un camion poubelle ou un bus, ma fille se réveille en sursaut et me demande si c’est à nouveau ce qu’on a vécu à Kyiv le premier jour de la guerre. Je ne veux pas que ma fille revive ça. »

Ukraine | Photo: Ministry of Internal Affairs of Ukraine/Wikimedia Commons,  CC BY 4.0 DEED

« Dans mon école, dans ma famille et avec mes amis on parlait russe mais depuis fin février j’évite d’employer la langue, même si je rêvais et pensais en russe. J’essaie désormais d’oublier la langue du pays qui nous a agressés. »

« J’ai voté à l’époque pour Volodymyr Zelensky parce que je voulais du changement. L’image qu’il donne aujourd’hui est impressionnante. Il est toujours sur place et communique quotidiennement, c’est l’image d’un homme qui fait son boulot. »

« Je n’ai pas vu à Prague d’altercations entre Russes et Ukrainiens. Mais je dois dire que quand des Russes entendent de l’ukrainien ou des signes distinctifs, je vois qu’ils baissent les yeux et arrêtent de parler en russe. Mais nous, nous ne sommes pas contre les Russes, il y a des humains partout. Le problème est que le pourcentage de Russes qui soutiennent la guerre est impressionnant. »

« Nazi »

« J’ai d’anciens amis russes qui m’ont traitée de nazi et pour lesquels tout ce qui se passe en Ukraine, y compris les viols commis par les soldats russes sont des faits que les Ukrainiens ont mérité, que c’est parce que les Ukrainiennes sont des filles faciles... »

« La perspective de vivre à côté les uns des autres est assez difficile, peut-être avec un mur, très grand. Je ne crois pas à une amitié entre les deux peuples. »