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États-Unis Jane : le réseau clandestin d'aide à l'avortement retrouve la lumière 50 ans après

Le réseau « Jane », du nom dont les membres se désignent entre elles, a aidé des milliers de femmes aux États-Unis à mettre un terme à des grossesses non désirées. Pourtant Jane espérait en avoir fini avec la clandestinité en 1973.
La rédaction avec AFP - 05 juin 2022 à 18:01 | mis à jour le 05 juin 2022 à 18:38 - Temps de lecture :
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Heather Booth, Sheila Smith et Abby Praiser devant les affiches du documentaire dédié aux Janes. Photo Sipa/StarPix for HBOdoc/Marion CURTIS
Heather Booth, Sheila Smith et Abby Praiser devant les affiches du documentaire dédié aux Janes. Photo Sipa/StarPix for HBOdoc/Marion CURTIS

1965, à Chicago. Heather Booth étudie, lorsqu'un ami l'appelle pour lui demander son aide. Sa soeur enceinte, dit-il, n'est pas prête à devenir mère et se trouve dans un état « quasi suicidaire ». Grâce à ses contacts dans cette grande ville du nord des États-Unis, Heather Booth parvient à trouver un médecin prêt à pratiquer un avortement illégal. Une « bonne action » qu'elle ne pensait pas avoir à renouveler.

« Mais la nouvelle a dû se répandre », se souvient-elle un demi-siècle plus tard, désormais âgée de 76 ans, depuis sa maison de Washington.

« Les mauvaises lois vous forcent à agir de façon parfois un peu risquée »

De cette « bonne action » naît un réseau clandestin baptisé « Jane », du nom dont les membres se désignent entre elles, qui aide des milliers de femmes à mettre un terme à des grossesses non désirées, de façon sûre et sans jugement moral, jusqu'à pratiquer elles-mêmes 11 000 avortements.

Le 23 janvier 1973, lorsque la Cour suprême a rendu sa décision « Roe v. Wade » garantissant un droit constitutionnel à avorter, sept membres de Jane attendaient d'être jugées. L'une d'entre elles, Martha Scott, garde un air de défi lorsqu'elle se remémore, à 80 ans, - et alors que cet arrêt pourrait bientôt être annulé par la haute cour - sa décision d'enfreindre la loi.

« Nous faisions cette chose illégale car c'était important de le faire, car ça ne pouvait pas être fait légalement », explique-t-elle lors d'un appel vidéo depuis Chicago. « On était juste des dames du quartier », dit-elle, mais « les mauvaises lois vous forcent à agir de façon parfois un peu risquée ».

Désespérées, des femmes utilisaient de la soude ou se jetaient d'un toit

Ces deux femmes, qui figurent dans un prochain documentaire HBO, gardent de mauvais souvenirs de la période d'avant Roe. Certaines femmes désirant avorter « avalaient de la soude, certaines utilisaient des cintres », rappelle Heather Booth. D'autres « se blessaient, se jetaient dans les escaliers ou du haut d'un toit car elles n'étaient pas prêtes » à avoir un enfant.

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Privées d'alternatives légales, les femmes font alors appel à des praticiens hors-la-loi plus soucieux du profit engrangé que de la santé de leurs patientes. De plus en plus de femmes se mettent à contacter Heather Booth, qui doit à son tour demander de l'aide pour faire face à l'afflux des demandes.

Pour rester discrètes, ces militantes demandent aux femmes enceintes de laisser un message pour « Jane ». Le réseau était né.

Elles finissent par découvrir que le médecin auquel elles font appel pour les interruptions de grossesse n'est pas homologué. Certaines militantes, outrées, quittent le réseau. D'autres, explique Martha Scott, en déduisent que si un homme sans formation médicale pouvait réaliser les IVG, alors elles aussi.

Le réseau disparaît une fois l'avortement légal... jusqu'en 2022

En mai 1972, la police fait une descente dans un appartement utilisé par le réseau. « Ils n'arrêtaient pas de demander 'Où est le médecin ?', 'Où est le gars qui fait les avortements ?' », raconte Martha Scott, qui se trouvait dans l'une des chambres transformées en bloc opératoire.

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Elle et six autres militantes sont embarquées et incarcérées pour la nuit, avant d'être relâchées dans l'attente de leur procès, finalement annulé après la décision de la Cour suprême.

Le réseau « Jane », devenu inutile, disparaît lui aussi.

Mais un demi-siècle plus tard, leur mission pourrait retrouver tout son sens, alors que la haute Cour envisage, selon un document ayant fuité, d'annuler Roe v. Wade.

26 États américains prêts à interdire l'avortement

Si la nouvelle l'a rendue « furieuse », Martha Scott explique que ça ne l'a « pas surprise ». L'octogénaire s'y attendait, après la nomination de trois juges par Donald Trump, qui a donné une orientation résolument conservatrice à la Cour suprême.

Si cette décision se confirmait, les États seraient libres d'interdire l'avortement, et tant Heather Booth que Martha Scott estiment qu'une nouvelle génération de militantes devra reprendre le flambeau. « Il faut que nous utilisions tous les outils dont nous disposons », estime Heather Booth.

Pas moins de 26 États conservateurs, pour la plupart dans le centre et le sud du pays, sont prêts à interdire l'avortement purement et simplement dès que la Cour suprême abattra la dernière digue. Mais les autres, des « îlots dans la tempête » selon Heather Booth, devraient continuer à assurer ce droit, voire le renforcer comme l'Illinois ou la Californie.

« Les avortements ne s'arrêteront pas »

Et des médicaments permettent désormais d'avorter de manière sûre et, même s'ils seraient alors interdits dans ces États, pourraient y être envoyés par la poste.

Les deux militantes du réseau « Jane » espèrent donc que les États-Unis ne devront pas en revenir à la sombre période des avortements pratiqués dans des ruelles insalubres. « Les avortements ne s'arrêteront pas », dit Heather Booth, citant des données selon lesquelles une Américaine sur quatre a recours à l'IVG au cours de sa vie. « Ce n'est pas rare, et ça doit pouvoir être fait en toute sécurité. »