"Tout le monde avait peur" : Floyd Wigfield, le vétéran de Utah Beach

Floyd Wigfield, le 7 mai 2019 ©Radio France - Gregory Philipps
Floyd Wigfield, le 7 mai 2019 ©Radio France - Gregory Philipps
Floyd Wigfield, le 7 mai 2019 ©Radio France - Gregory Philipps
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Il a débarqué le matin du 6 juin 1944 sur Utah Beach, dans la Manche. En 2019, à l'âge de 101 ans, il revenait en Normandie pour la première fois. A bord d’Air Force One et à l’invitation du président des Etats-Unis. Et Floyd Wigfield se souvient "de tout".

Elle est encore aujourd'hui la plus grande opération militaire de tous les temps. L'opération Overlord était déclenchée le 6 juin 1944, et le soir même, plus de 160 000 hommes et 20 000 véhicules avaient débarqué en Normandie. Dans plusieurs villes symboles, comme Colleville-sur-Mer, auront lieu aujourd'hui des cérémonies auxquelles participeront notamment Emmanuel Macron et Donald Trump, réunis pour marquer le 75e anniversaire du D-Day. Quelques dizaines de vétérans américains ont fait le déplacement pour assister à ces cérémonies. Et parmi eux, Floyd Wigfield.

Il a 101 ans, il en avait 26 ce 6 juin 1944 quand il a débarqué au matin sur Utah Beach. Il assistera tout à l’heure aux commémorations, en tant qu’invité personnel du président des Etats-Unis. Gregory Philipps a rencontré ce vétéran chez lui, dans le Maryland.

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Floyd Wigfield avec sa femme dans les années 50
Floyd Wigfield avec sa femme dans les années 50
© Radio France - Gregory Philipps

Décoré de la Légion d'honneur le mois dernier

Dans sa maison de Cumberland, à deux heures à l’ouest de la capitale fédérale, Floyd Wigfield a quelques souvenirs posés sur le buffet du salon : une photo sépia de sa femme et lui prise trois ans après la guerre. Il y a aussi une coupure de presse datant d’avril dernier : on le voit dans le Bureau Ovale, à la Maison-Blanche, avec Donald Trump. Et enfin la Légion d’honneur qu’il a reçue le mois dernier lors d’une cérémonie à l’ambassade de France à Washington.

Floyd Wigfield lors de sa décoration de la Légion d'honneur, le mois dernier
Floyd Wigfield lors de sa décoration de la Légion d'honneur, le mois dernier
© Radio France - Gregory Philipps

C’est là, parmi cinq vétérans décorés ce jour-là, qu’on avait été frappé par le sourire quasi permanent du vieil homme, l’acuité de ses souvenirs, et sa grande humilité. Ce jour-là, on avait promis à Floyd qu’on irait le voir chez lui, avant qu’il ne décolle pour la Normandie.

Seul dans un pavillon, la mémoire intacte

Le voici donc, Floyd Wigfield, assis dans son living-room. Prêt à raconter son D-Day. Il a aujourd’hui 101 ans. Bien sûr, il entend un peu moins bien qu’avant, se déplace difficilement, mais il vit seul dans ce pavillon du Maryland. Et surtout, il se souvient parfaitement de ce matin du 6 juin 1944 quand il débarque sur Utah Beach avec la 4ème division d’infanterie des Etats-Unis :

Je me rappelle de tout. Jamais je n’oublierai ça ! Tout a commencé la veille au soir. Il y avait deux rangées, deux files de bateaux dans la Manche aussi loin que je pouvais voir, et qui attendaient le jour J pour le lendemain matin. Et au milieu de la nuit, ils ont commencé à traverser le Channel à destination des plages, où là ils pourraient décharger les hommes et le matériel. Après, ce que vous deviez faire à ce moment-là, c’était descendre par une échelle de cordes, avec l’équipement et tout le barda. Mais on a réussi. On l’a fait. On a débarqué sur Utah Beach.

Sa rencontre avec Donald Trump évoquée dans la presse
Sa rencontre avec Donald Trump évoquée dans la presse
© Radio France - Gregory Philipps

"Tout le monde avait peur"

Ce 6 juin 1944, Floyd Wigfield a 26 ans. Il est un peu plus âgé que beaucoup de ses camarades. Et 75 ans plus tard, il décrit avec minutie le courage qu’il faut pour se jeter hors du bateau, tout comme le sentiment de peur qui l’habite alors : "Est-ce que j’avais peur ? Mais tout le monde avait peur ! Evidemment que tout le monde était effrayé. Moi, je savais très bien ce qu’Hitler avait fait à son pays. Et je ne me serai jamais laissé faire prisonnier. J’aurais préféré qu’ils me tuent."

Quelques jours plus tard, Wigfield est blessé à Ozeville (Manche) à la tête et à l’épaule. Puis, en décembre 1944, il est à nouveau déployé, cette fois dans les Ardennes. Seconde blessure. Avant d’être enfin rapatrié aux États-Unis :

La guerre terminée, je  suis retourné à l’école. Pendant 18 mois. Pour devenir électricien. A l’époque, je parlais très peu du Débarquement. Mais je vous jure que lorsque je suis revenu au pays, mes blessures me faisaient atrocement souffrir. Des maux de tête terribles. J’avais l’impression  que mes oreilles sifflaient en permanence. En Normandie, la bombe était tombée si près de moi qu’elle a peut-être tué un camarade derrière moi. En vérité, je ne sais même pas. Car à ce moment précis, je me suis évanoui, pendant un moment.

Pour les commémorations du 75e anniversaire de l’opération Overlord, Floyd Wigfeld a été personnellement invité par le président américain Donald Trump, qui lui a proposé de voler avec lui en Europe à bord d’Air Force One. Le fils et le médecin de Floyd n’étaient pas très enthousiastes à l’idée d’un si long voyage pour le vieil homme. Mais il leur a expliqué : "Si vous ne voulez pas m’accompagner, eh bien pas grave. J’irai seul. C’est un grand honneur que l’on me fait."  Pour la première fois, le vétéran va donc revoir ces plages de Normandie. Et ces bunkers : "Est-ce qu’ils sont toujours là, s’interroge, rieur, le vieil homme ? Si oui, je vais sans doute pouvoir les voir. Et j’espère que cette fois sur cette plage personne ne me tirera dessus ! Et s’ils le font, eh bien…  je partirai en courant !"

73 000 Américains ont participé à ce D-Day le 6 juin 1944. Seules quelques dizaines d’anciens combattants américains, présents le jour du Débarquement, ont pu, comme Floyd Wigfield, faire cette année le voyage en France pour participer aux cérémonies.

© Visactu

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