La mort de plus de 400 éléphants au Botswana reste un mystère

Depuis 2020, des centaines d'éléphants sont morts au Botswana. Des experts tentent de découvrir la cause de ces étranges décès qui ne semblent toucher que cette espèce, et s'inquiètent de voir une telle situation se reproduire dans cette région reculée.

De Jonathan Moens
Publication 3 juin 2022, 12:42 CEST
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Le delta de l'Okavango au Botswana, qui abrite 18 000 éléphants de savane, est considéré comme l'un des derniers grands refuges de l'espèce. Entre 2020 et 2021, au moins 450 éléphants de la région sont morts de causes inconnues. L'incertitude sur la raison de leur décès demeure.

PHOTOGRAPHIE DE Stefano De Luigi, VII, Redux

Au nord du célèbre delta de l’Okavango, au Botswana, le paysage était vert et luxuriant, et les pluies d’été commençaient à diminuer et l’air à se rafraîchir. Mais quelque chose n’allait pas. Des éléphants de savane, pesant jusqu’à sept tonnes chacun, trébuchaient, titubaient et tournaient en rond. Leurs lourdes pattes s’affaiblissaient tandis qu’ils luttaient pour faire un pas de plus. Un par un, ils s’effondraient, beaucoup tombant la poitrine en avant.

Le premier groupe de 44 éléphants est mort en mars 2020. À la mi-juin, des défenseurs de l’environnement avaient compté plus de 350 carcasses éparpillées dans cette région isolée d’environ 7 800 kilomètres carrés. Au mois de janvier suivant, le nombre de ces morts mystérieuses dépassait les 450.

Un éléphant de savane mort gît dans une zone humide du delta de l'Okavango. Avant leur mort, les éléphants affectés présentaient des comportements inhabituels : ils trébuchaient, titubaient et tournaient en rond. S'efforçant de marcher, la plupart s'effondraient, souvent la poitrine en avant, et mouraient.

PHOTOGRAPHIE DE Yang Mengxi Xinhua, eyevine, Redux

« Une odeur nauséabonde régnait », raconte Davango Martin, l’ancien directeur du Kadizora Camp, un hébergement touristique de la région. Il traversait le parc en voiture au début du mois de mai lorsqu’il a remarqué la puanteur et est tombé sur une carcasse d’éléphant étalée dans un fourré. « Elle était pourrie et elle n’avait pas été mangée, hormis par les asticots. »

Toute perte d’éléphants d’Afrique est alarmante. Selon les estimations, leur nombre est passé d’un million en 1979 à environ 415 000, en raison de décennies de braconnage pour leur ivoire, de la réduction de l’habitat et des confrontations avec les humains. Le Botswana, qui compte près de 130 000 éléphants, est considéré comme l’un de leurs derniers refuges : la mort mystérieuse de plusieurs centaines d’entre eux a donc fait la Une des journaux internationaux.

En septembre 2020, sous la pression internationale intense de défenseurs de l’environnement inquiets, les autorités du pays ont annoncé qu’elles avaient identifié la cause : des neurotoxines de cyanobactéries. Poisons libérés par les « algues bleues » qui se développent dans les eaux stagnantes et riches en nutriments, les neurotoxines de cyanobactéries attaquent le système nerveux si elles sont ingérées.

Cependant, une analyse de quatorze mois de documents et d’entretiens avec des enquêteurs réalisée par National Geographic a révélé qu’une grande partie des preuves ayant mené à ce diagnostic n’étaient pas fiables, et que le gouvernement du Botswana avait manqué des occasions cruciales de mener une enquête approfondie dans les temps.

Plusieurs experts extérieurs, ainsi que des responsables de laboratoires qui ont effectué des analyses pour le gouvernement, affirment que les tests portant sur les différentes causes possibles des décès n’ont pas été concluants et que les preuves ont été dégradées et mal traitées. Cette information est préoccupante car elle implique que ce qui a tué les éléphants pourrait à nouveau constituer une menace.

Dès le début, ces décès ont été mystérieux. Les défenses des animaux étaient intactes, ce qui exclut le braconnage. Les vautours et autres charognards qui se sont nourris de certaines des carcasses ne semblent pas être morts de maladie à leur tour, pas plus que les bovins et les zèbres qui s’abreuvaient aux mêmes points d’eau, ce qui rend la théorie de l’empoisonnement peu crédible. Enfin, le comportement étrange des éléphants ne correspondait à aucune maladie connue.

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    Des éléphants boivent dans un point d'eau dans le parc national de Chobe, à l'est du delta de l'Okavango. Pendant la saison sèche, les plaines inondables de l'Okavango se remplissent d'eau, attirant les animaux de toute la région.

    PHOTOGRAPHIE DE Sergi Reboredo, VW Pics, Getty Images

    Les éléphants sont morts dans des zones reculées et difficiles à atteindre, tout particulièrement pendant la pandémie de COVID-19, ce qui peut en partie expliquer pourquoi des mois se sont écoulés avant que le département de la Faune sauvage et des Parcs nationaux du Botswana n’envoie une équipe pour récupérer des échantillons de tissus sur les carcasses. Mais ce dernier a ignoré ou rejeté de multiples offres d’individus et d’organisations souhaitant rechercher des carcasses fraîches afin de collecter rapidement des échantillons, selon des experts qui avaient proposé leur assistance.

    « Nous avions la possibilité d’enquêter en profondeur sur la cause de cette mortalité et de gérer d’éventuels incidents futurs », déclare Erik Verreynne, vétérinaire et consultant en faune sauvage établi à Gaborone, la capitale du Botswana, qui n’a pas participé à l’enquête du gouvernement. « Mais malheureusement, nous sommes passés à côté. »

    Avec de nombreux autres vétérinaires, scientifiques et défenseurs de l’environnement, il a fait valoir que les neurotoxines de cyanobactéries n’étaient pas une explication logique de la mort des éléphants. Les nombreux autres animaux s’abreuvant aux mêmes points d’eau ne sont pas morts, à l’exception d’un unique cheval. De plus, les premiers décès sont survenus pendant la saison des pluies, lorsque l’eau emporte généralement les cyanobactéries. Enfin, certains éléphants ont été retrouvés dans des plaines inondables où, en général, les cyanobactéries ne se développent pas.

    Mmadi Reuben, vétérinaire au département de la Faune sauvage, a déclaré à National Geographic dans un e-mail que les enquêteurs du gouvernement ne s’étaient pas uniquement basés sur les échantillons des points d’eau et des tissus des éléphants. Ils ont rassemblé des informations provenant des résultats de laboratoire, des symptômes, d’analyses génétiques, des facteurs environnementaux, de la transmission de diverses maladies, etc. Le gouvernement affirme également avoir réussi à inverser les symptômes neurologiques d’un éléphant malade à l’aide d’un médicament qui agit sur le système nerveux et qui est couramment utilisé pour immobiliser les animaux, laissant penser qu’une neurotoxicité était en cause. 

    « Diagnostiquer un scénario aussi complexe ne devrait jamais être vu comme quelque chose qui est systématiquement déterminé par un unique scientifique de laboratoire qui utilise une seule série de résultats », déclare Reuben. Cela nécessite « une enquête dans laquelle différentes parties du puzzle sont assemblées jusqu’à ce qu’une image plus claire émerge ».

    S’il est possible que les neurotoxines de cyanobactéries soient la cause de ces décès, la plupart des experts qui ont été interrogés affirment que les preuves sont loin d’être concluantes. « Cela peut être un bon diagnostic clinique, mais ce n'est pas un diagnostic confirmé », déclare Val Beasley, professeur émérite de toxicologie vétérinaire, de faune et d’écologie à l’université de l’Illinois Urbana-Champaign, qui n’a pas participé à l’enquête.

    Cette carcasse d'éléphant en décomposition trouvée près d'un point d'eau est représentatif des près de 450 corps trouvés autour de l'Okavango. Leurs défenses étaient intactes, ce qui a permis d'exclure le braconnage comme cause du décès. Selon la théorie du gouvernement du Botswana, la mort des éléphants a probablement été causée par des neurotoxines libérées par des « algues bleues » dans les points d'eau de la région. Les autres animaux présents dans ces mêmes points d'eau n'ont toutefois pas été malades.

    PHOTOGRAPHIE DE Erik Verreynne

    Et si la cause était une nouvelle toxine de cyanobactérie que les scientifiques n’ont pas encore identifiée ? Ou de multiples toxines agissant de concert et de manière inattendue ? Et s’il s’agissait d’une maladie contagieuse inconnue ?

    En l’absence de preuves irréfutables, les scientifiques sceptiques affirment qu’il est essentiel de continuer à chercher des réponses. Dans le cas contraire, des répercussions fatales pourraient avoir lieu, non seulement pour les éléphants, mais aussi pour tous les animaux sauvages de la région et de ses environs.

    « S’ils disposaient de davantage de connaissances et d’une meilleure sensibilisation, ils seraient peut-être en mesure de prévenir le problème non seulement chez les éléphants, mais aussi chez d'autres espèces sauvages appréciées, chez les animaux domestiques et chez les humains », déclare Beasley.

     

    RECUEILLIR ET ANALYSER LES PREUVES

    Selon Christine Gosden, généticienne médicale à l’université de Liverpool, au Royaume-Uni, qui n’a pas participé à l’enquête sur le Botswana, il est difficile de déterminer la cause des décès massifs d’animaux. Il a fallu aux États-Unis plus de vingt-cinq années, d’énormes sommes d’argent et des collaborations avec des experts internationaux pour que les scientifiques concluent que les pygargues à tête blanche mouraient à cause d’une souche non identifiée de neurotoxines de cyanobactéries.

    Pour établir la cause de la mort des éléphants, les enquêteurs ont recueilli et analysé des preuves, notamment des tissus provenant des organes des animaux touchés, de l’eau provenant de sources voisines et de la terre au fond des points d’eau, où l’on trouve parfois des cyanobactéries.

    Les enquêteurs du Botswana, qui disposent de peu de ressources financières, de conditions de voyage difficiles et d’une expertise limitée au niveau national, ont été désavantagés dès le départ. À la mi-mai 2020, l’équipe régionale du département de la Faune sauvage avait examiné les carcasses et prélevé des échantillons, mais le département n’a envoyé son équipe principale, établie à Gaborone et dirigée par Reuben, que six semaines plus tard.

    Un squelette d'éléphant, défenses intactes, gît près d'un autre point d'eau de l'Okavango. Comme de nombreux éléphants sont morts dans des zones reculées, et en raison des restrictions de voyage liées à la pandémie, il a fallu plusieurs mois au département de la Faune sauvage et des Parcs nationaux du Botswana pour récupérer des échantillons de tissus sur les carcasses. En conséquence, de nombreux échantillons n'étaient pas d'une qualité idéale pour les tests.

    PHOTOGRAPHIE DE Erik Verreynne

    À ce moment-là, de nombreux corps étaient déjà en décomposition et, depuis un avion, il était difficile d’identifier quelles étaient les carcasses les plus fraîches. « La majorité des échantillons collectés sur le terrain n’étaient pas de qualité idéale : ils étaient vieux », reconnaît Reuben. Mais il affirme qu’ils étaient de « qualité suffisante » pour effectuer des analyses spécifiques.

    Kabelo Senyatso, l’actuel directeur du département, qui ne tenait pas encore ce rôle au moment des décès, affirme que les vétérinaires du gouvernement dans la région surveillaient la situation et n’ont fait appel à l’équipe de la capitale que lorsqu’ils estimaient avoir besoin d’aide.

    Toutefois, Joseph Okori, qui a été le vétérinaire en chef du département entre 2005 et 2009, compte parmi les nombreux experts qui soupçonnent les hauts responsables de n’avoir commencé à prendre la situation au sérieux qu’une fois que l’attention du monde s’était portée la situation dans le pays.

     

    DES OFFRES D’ASSISTANCE IGNORÉES OU REFUSÉES

    Assez tôt, Éléphants sans frontières, une organisation de conservation établie au Botswana, a envoyé des rapports concernant les décès au département de la Faune sauvage, dont des coordonnées GPS et des photographies des carcasses des éléphants. Ceux-ci indiquent que l’organisation avait proposé de transporter du personnel du département de la Faune sauvage sur les lieux, de financer et de réaliser une étude aérienne de la zone, et d’aider à retirer les défenses des corps afin qu’elles ne tombent pas entre les mains des trafiquants d’ivoire. Mais le département n’a pas répondu, explique Keith Lindsay, chercheur pour la Amboseli Trust for Elephants, une organisation de recherche à but non lucratif établie au Kenya, qui collabore avec Éléphants sans frontières.

    Le gouvernement du Botswana entretient des rapports tendus avec Éléphants sans frontières, que les critiques ont accusé de publier des données exagérées sur la mortalité des éléphants à des fins politiques. Mais Niall McCann, directeur de la conservation au sein de National Park Rescue, une organisation de conservation qui œuvre à la protection de la vie sauvage dans les parcs nationaux africains, affirme que le secret et la réticence à accepter une aide extérieure sont depuis longtemps caractéristiques du gouvernement du pays. Plusieurs experts ont refusé de faire des commentaires pour cet article, craignant qu’en critiquant la gestion du gouvernement, ils ne se voient retirer leur permis de recherche.

    Un troupeau d'éléphants de savane en bonne santé se rassemble à un point d'eau dans le delta de l'Okavango. Les scientifiques s'inquiètent d'une nouvelle mortalité, une crainte d'autant plus importante que beaucoup ne croient pas que la cause des décès de 2020-2021 ait été réellement identifiée.

    PHOTOGRAPHIE DE VW Pics, Getty Images

    La Botswana Wildlife Producers Association, un groupe représentant les éleveurs et les chasseurs professionnels, a également offert son aide en envoyant une équipe de vétérinaires et d’écologistes locaux pour aider à prélever des échantillons et à les préparer pour les analyses. Selon Verreynne, qui est membre de l’association, le département de la Faune sauvage a refusé, affirmant que la situation était sous contrôle.

    Okori, ancien vétérinaire en chef du service de la faune sauvage, dit avoir également proposé son aide. Il a contacté Cyril Taolo, alors directeur par intérim du département de la Faune sauvage, et dit avoir essuyé un refus. Taolo, qui ne fait plus partie du département, a refusé tout commentaire.

    « C’est ça qui est triste », dit Verreynne. « Nous n’avons jamais été en mesure de mener correctement cette enquête. »

    Le directeur actuel, Senyatso, a refusé de préciser les raisons pour lesquelles le département n’a pas accepté ces offres, mais il affirme que d’autres avaient été acceptées. L’une d’elles venait d’Ecoexist, un groupe de protection des éléphants établie au Botswana, qui a survolé la région en juillet 2020 à la recherche de carcasses fraîches.

    Le ministère de l’environnement du Botswana a annoncé fin juillet que l’enquête n’avait révélé aucune nouvelle mort d’éléphants, mais le rapport complet n’a jamais été rendu public. Ecoexist a adressé ses questions au département de la Faune sauvage. Senyatso a refusé de partager le rapport ou de détailler ses conclusions, affirmant que ce dernier était confidentiel.

     

    MÉSAVENTURES ET MAUVAISES COMMUNICATIONS

    Les premiers tests ont écarté l’anthrax, une maladie potentiellement mortelle causée par une bactérie présente naturellement dans le sol. Pour tester d’autres théories, y compris celle des maladies virales, les infections bactériennes et divers types de toxines, le gouvernement s’est tourné vers des experts internationaux disposant d’équipements spécialisés.

    Pour coordonner la distribution et l’analyse des échantillons, le département de la Faune sauvage a contacté Kathleen Alexander, professeure de conservation de la faune à Virginia Tech aux États-Unis. Alexander a cofondé CARACAL, un institut de recherche au Botswana qui a pu collaborer avec le gouvernement par le passé. Elle a consulté des experts à l’étranger et, par l’intermédiaire de CARACAL, a organisé les méthodes d’expédition, de test, et d’analyses des échantillons.

    Alexander soutient l’enquête et les conclusions du gouvernement, affirmant qu’elle n’a jamais vu « aucun autre gouvernement investir autant en ressources humaines et en argent pour s’assurer qu’un événement de mortalité massive chez des animaux sauvages fasse l’objet d’une enquête aussi complète ».

    Les laboratoires impliqués dans l’enquête reconnaissent toutefois que la qualité et la quantité des échantillons qu’ils ont reçus étaient faibles.

    Chris Foggin, vétérinaire au Victoria Falls Wildlife Trust, un groupe de conservation établi au Zimbabwe, a reçu des tissus à analyser, et a déclaré que certains échantillons étaient de si mauvaise qualité qu’ils étaient « inutiles ». D’autres échantillons, provenant d’un éléphant qui a dû être euthanasié car il présentait des symptômes, étaient de meilleure qualité, mais il n’est pas certain qu'ils soient représentatifs de la mortalité globale. Foggin reste sceptique quant au diagnostic officiel du gouvernement.

    Johan Steyl, pathologiste vétérinaire à l’université de Pretoria, en Afrique du Sud, a également reçu des échantillons de tissus. Bien qu’il ait refusé de donner des détails, invoquant le secret professionnel, les tests auraient permis d’exclure les toxines de cyanobactéries qui affectent le foie, selon un scientifique qui avait connaissance de ses conclusions, et qui a préféré garder l’anonymat car il n’était pas impliqué dans l’enquête. Ces tests ont également exclu l’encéphalomyocardite, une infection virale qui serait transmise par des rongeurs et qui a tué 64 éléphants dans le parc national Kruger d’Afrique du Sud au début des années 1990, selon Roy Bengis, ancien vétérinaire d’État en chef du parc.

    Aucun des deux laboratoires n’a trouvé de preuve directe que les neurotoxines de cyanobactéries aient affecté les éléphants. Pour cela, il faudrait analyser les tissus cérébraux des éléphants morts afin de détecter des dommages neurologiques, explique Gosden de l’université de Liverpool, mais « le cerveau se liquéfie très rapidement dans les températures du Botswana ».

    Sans tissu cérébral à analyser, la prochaine étape logique est d’analyser les cyanobactéries et les toxines qu’elles produisent dans l’eau et le sol.

    Alexander et CARACAL ont envoyé une quarantaine de ces échantillons aux Food and Drug Assurance Laboratories, également à Pretoria. Mais une série de mésaventures s’est ensuivie : plusieurs récipients en verre contenant les échantillons se sont brisés pendant le transport, et certains n’étaient pas correctement étiquetés et n’indiquaient donc pas la bonne source de chaque échantillon, selon Azel Swemmer, la directrice technique des laboratoires. En outre, les fonds disponibles ne permettaient de tester qu’un quart des échantillons, précise-t-elle.

    Mais, dans l’ensemble, l’effort s’est avéré plutôt vain : la principale théorie d’Alexander était que l’anatoxine-a, une neurotoxine puissante et rapide produite par les cyanobactéries, était responsable des décès, explique Swemmer. Mais les FDA Laboratories n’ont pas la capacité de tester ce type de neurotoxine produite par les cyanobactéries, un point qui semble ne pas avoir été compris lors des communications, selon les e-mails entre CARACAL et le laboratoire examinés par National Geographic.

    Pourtant, certains échantillons indiquaient la présence d’autres toxines de cyanobactéries. Swemmer n’a pas donné de détails sur les résultats spécifiques, invoquant le secret professionnel. Elle a toutefois précisé qu’il serait difficile de tirer des conclusions définitives, compte tenu du petit nombre d’échantillons et du manque de rigueur dans leur traitement.

    Alexander n’est pas d’accord avec l’évaluation de Swemmer. « Les échantillons ont été correctement transportés, et expédiés aussi vite que possible, activités qui sont particulièrement difficiles dans des endroits éloignés en plein milieu d’une pandémie », dit-elle.

     

    MALGRÉ DE NOUVELLES PREUVES, L’INCERTITUDE DEMEURE

    Même en l’absence de preuves démontrant la présence de neurotoxines de cyanobactéries dans les échantillons de tissus cérébraux et d’eau, Reuben affirme que d’autres possibilités ont été écartées. Selon lui, les étourdissements, la fatigue et la difficulté à marcher des éléphants étaient des facteurs importants indiquant que les neurotoxines étaient bien la cause de leur mort.

    Il reconnaît néanmoins que des questions restent sans réponse. Selon lui, le gouvernement examine de plus près « bon nombre des questions qui ont été soulevées au cours de l’enquête », et notamment celles qui concernent les raisons pour lesquelles les éléphants sont les seuls à avoir été touchés.

    À la Queen’s University de Belfast, en Irlande du Nord, une équipe multidisciplinaire de chercheurs a reçu une subvention en octobre 2020 pour travailler avec le département de la Faune sauvage et des chercheurs locaux afin de tenter d’en déterminer la cause. Le projet s’est terminé en décembre dernier, et Eric Morgan, épidémiologiste vétérinaire et responsable de l’initiative, affirme que les résultats n’étaient pas concluants.

    Le fait que les éléphants aient cessé de mourir une fois les points d’eau asséchés suggère un agent pathogène d’origine hydrique. Une analyse par satellite de la région, publiée en novembre 2021, qui montre un pic sans précédent de prolifération de cyanobactéries dans la région de l’Okavango pendant les mois des décès des éléphants, apporte un soutien supplémentaire à cette théorie.

    Mais l’analyse par satellite ne montre ni la souche de cyanobactéries présente, ni les toxines qu’elles ont libérées (le cas échéant), ni la quantité à laquelle les éléphants ont pu être exposés, explique Keith Lindsay.

    Il s’agit tout de même de l’une des preuves les plus convaincantes de l’implication probable des cyanobactéries dans ces décès, pour Paul Oberholster, expert en cyanobactéries à l’université de l’État-Libre, à Bloemfontein, en Afrique du Sud, qui n’a pas participé à l’enquête.

    Les éléphants sont morts après une période de « renouvellement des eaux », le mélange saisonnier des eaux causé par les changements de vent et de température. Les vents qui ont soufflé sur le Botswana vers le mois d’octobre ont dû remuer les points d’eau chargés de déchets animaux, créant ainsi un environnement idéal pour le développement des cyanobactéries, explique Oberholster. Lorsque les températures se sont refroidies en mars, les cyanobactéries ont commencé à se décomposer, à libérer des toxines et à tuer les éléphants qui buvaient dans ces sources.

    Les éléphants ont peut-être été particulièrement exposés car les cyanobactéries décomposées peuvent rester en suspension dans l’eau suite au mélange, ou descendre à des profondeurs où les éléphants puisent l’eau lorsqu’ils boivent, ajoute-t-il. Cette idée correspond à la théorie initiale du département de la Faune sauvage du Botswana, à savoir que les éléphants, contrairement à d’autres animaux, boivent sous la surface, où ils peuvent donc ingérer les neurotoxines.

    Les éléphants peuvent occasionnellement aspirer l’eau de zones plus profondes lorsqu’ils s’éclaboussent et se roulent dans l’eau, poursuit Lindsey, mais pas lorsqu’ils boivent. De plus, d’habitude, les points d’eau ne subissent selon lui pas le même type de mélange saisonnier que les lacs et autres grands plans d’eau.

     

    PRÉPARATION ET SURVEILLANCE

    Si les cyanobactéries sont en cause, il n’est pas essentiel de déterminer la toxine exacte qu’elles ont libérée pour prévenir les décès futurs, explique Oberholster. Quoi qu’il en soit, les zones infestées de cyanobactéries doivent être clôturées et surveillées régulièrement, en particulier pendant les périodes de renouvellement.

    Mais l’immensité du delta de l’Okavango rend la surveillance de chaque source d’eau particulièrement compliquée. Il est difficile de se préparer à des scénarios aussi complexes, mais Alexander conseille de poursuivre les analyses afin de prévoir quels seront les sites potentiels de prolifération de algues, et de former des experts locaux qui pourraient réagir plus rapidement.

    Plusieurs experts sont encore préoccupés par le fait qu’une nouvelle mortalité pourrait survenir à tout moment, en particulier si les neurotoxines de cyanobactéries étaient bien les causes de cette situation. Le réchauffement des températures, les graves sécheresses et l’utilisation intensive d’engrais ont favorisé la prolifération des algues dans le monde entier.

    Selon Beasley, le gouvernement devrait se préparer, notamment en établissant des relations actives avec plusieurs laboratoires de toxicologie et en investissant dans des technologies, y compris des drones, des hélicoptères et des outils spécialisés destinés à percer le crâne d’un éléphant, par exemple.

    Pour Okori et d’autres, il est également crucial de constituer une équipe multidisciplinaire d’experts capables de se réunir rapidement en cas d’urgence.

    « Surtout lorsqu’il y a un ou deux décès, il faut les surveiller, car ce sont des indicateurs de changement dans l’environnement », explique Okori. Agir uniquement lorsque l’ampleur de la mortalité est énorme, comme il le soupçonne dans cette situation, est une stratégie dangereuse.

    Ce message « ne concerne pas seulement le Botswana », dit-il. « C’est un message pour nous tous ».

    Wildlife Watch est une série d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic au sujet de l'exploitation et du trafic illégal d'espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles ainsi qu'à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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