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Lettre ouverte au président de la République française pour l’Afghanistan

OPINION. La France doit s’engager pour faire cesser la tyrannie politico-religieuse qui sévit en Afghanistan, écrit avec des mots forts le philosophe et auteur Daniel Salvatore Schiffer, qui a entraîné avec lui une cinquantaine de personnalités et d’intellectuels français, européens, afghans et iraniens, dont les écrivains Atiq Rahimi et Gilles Perrault, des activistes féministes, des artistes et des philosophes*

Un enfant joue avec son fusil en plastique dans un cimetière de Kaboul. 5 mai 2022. — © Ebrahim Noroozi / keystone-sda.ch
Un enfant joue avec son fusil en plastique dans un cimetière de Kaboul. 5 mai 2022. — © Ebrahim Noroozi / keystone-sda.ch

Monsieur le Président de la République française Emmanuel Macron

Un peuple tout entier – près de 40 millions de victimes innocentes – est en train, à l’heure où nous vous adressons ces lignes, de subir quotidiennement, dans une indifférence quasi générale au sein de nos démocraties modernes, les horreurs, indicibles, de la barbarie la plus rétrograde, inconcevable, par sa cruauté, à l’aune de la simple mais nécessaire Raison: cette Raison dont nous, enfants de l’illustre Siècle des Lumières, nous nous revendiquons.

Une dictature politico-religieuse

Ce pays en proie aujourd’hui à une violence sans nom, où le fanatisme religieux sert d’alibi idéologique au fascisme politique, est l’Afghanistan, qui, depuis la chute de sa capitale, Kaboul, le 15 août 2021, se voit désormais abandonné, victime d’un indécent silence par la plupart de nos médias occidentaux, aux sanguinaires mains des talibans: de fanatiques islamistes qui, prônant une obscurantiste charia en guise de seule loi, ont profité du désastreux retrait des troupes américaines pour y instaurer, au mépris de toute considération des droits de l’homme et du respect de toute liberté, la pire des tyrannies. Ces mêmes talibans n’ont, du reste, aucune légitimité politique, encore moins démocratique, puisqu’ils ont pris le pouvoir par la seule force des armes, sans la moindre consultation populaire, laquelle lui est notoirement, et en très grande majorité, hostile. Seul le peuple afghan, et surtout les femmes, privées aujourd’hui de leur existence même sous cette prison ambulante qu’est la burqa, connaît le tragique prix de pareille dictature!

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Les droits humains quotidiennement bafoués

Cette tyrannie politico-religieuse qu’exercent impunément, sous une impitoyable férule, les talibans sur le peuple d’Afghanistan, n’a aujourd’hui aucun équivalent dans le monde: les femmes y sont interdites de toute profession, du droit même de s’instruire à l’école; les homosexuels y sont pourchassés, kidnappés, mutilés, trucidés; les intellectuels et artistes y sont bâillonnés, battus, emprisonnés, torturés, jusqu’à ce que mort s’ensuive; les opposants, contraints de se cacher pour survivre, y sont persécutés, châtiés, avant d’être ensuite réduits à des ombres craintives et errant, sans plus d’identité réelle, aux confins de ce gigantesque oubli où l’indifférence du monde les a ainsi relégués; les malfaiteurs, ou considérés comme tels, y sont pendus, leur cadavre exhibé en place publique; la pauvreté, la misère et la famine y croissent sans aucune perspective d’amélioration des conditions de vie; des mères y sont parfois obligées de vendre leurs enfants dans l’espoir de les voir achetés par des familles plus aisées et donc capables de les nourrir; les jeunes filles, souvent prépubères, y sont mariées de force avec des hommes adultes; de jeunes garçons, n’ayant même pas atteint l’âge de l’adolescence, y sont violés de la façon la plus brutale qui soit; et nous pourrions allonger la douloureuse liste de ces terribles exactions, en tous points contraires, par leur indescriptible sauvagerie, à toute civilisation digne de ce nom, y compris celle de l’islam-même – cette grande et belle civilisation que nous ne confondons pas, la nuance conceptuelle est importante, avec l’islamisme, qui n’en est que l’abject, aveugle et criminel dévoiement totalitaire!

Un appel au réveil des consciences

Comment donc nos consciences pourraient-elles rester insensibles sans éprouver un sentiment de honte, face à un tel drame humain, devant pareilles abominations, que même l’esprit embrumé des nazis ne put, en ses délires les plus monstrueux, concevoir? Car, oui, l’Afghanistan est devenu aujourd’hui un vaste camp de concentration, où même les musulmans sont désormais pris en otages, jusqu’à se faire massacrer en leurs propres mosquées par les attentats kamikazes de cette obscure mouvance des talibans! Oui, en Afghanistan, ultime mais stratégique bastion de la lutte contre le terrorisme international, se commet à l’heure actuelle, en un silence assourdissant, un immense, incommensurable, crime contre l’humanité!

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Liberté, démocratie et humanisme: au nom de la civilisation

Ainsi, Monsieur le Président, est-ce au nom même, à l’inverse, de la civilisation, sans laquelle il n’est point de démocratie qui vaille, que nous, intellectuels pour qui l’humanisme tient lieu de principe universel, de valeur morale et de critère philosophique, nous vous demandons, instamment, d’intervenir au plus vite, sans plus attendre tant cette déplorable situation s’avère urgente, en faveur de ce peuple martyr qu’est le peuple afghan, en contribuant donc, sous l’égide des Nations unies (ONU) et avec le concours de l’Union européenne (UE), à mettre enfin un terme, par les moyens que vous jugerez les plus réalistes et estimerez les plus adéquats (dont un éventail de sanctions économiques, associées à l’interdiction de voyager à l’étranger, à l’encontre des leaders talibans), à ses innommables, insupportables, souffrances.

La France, patrie des droits de l’homme, modèle de démocratie en ce qu’elle a de plus noble et dont l’admirable devise, «liberté, égalité, fraternité», est inscrite au fronton de sa naissance républicaine, se verrait ainsi élevée, d’historique mémoire, à la hauteur de ce phare qu’elle est censée représenter aux yeux du monde moderne et contemporain!

Le danger du terrorisme islamiste

Ce serait aussi là une efficace manière, par son très louable sens de la compassion, de nous protéger par anticipation, nous qui avons déjà vécu les tragédies de Charlie Hebdo et du Bataclan, d’un possible terrorisme à venir, dont nous n’osons imaginer les terribles conséquences et que nous condamnons certes vigoureusement: il est de notoriété publique, ainsi que nous en avait déjà avertis feu le Commandant Massoud lors de ses différents passages au cœur de nos capitales européennes, que ces mêmes talibans sont de fait alliés, quoiqu’ils en disent derrière leurs démagogiques discours de façade, destinés seulement à nous amadouer afin d’en obtenir d’hypothétiques faveurs, avec cette nébuleuse qu’est, pour le malheur de notre humanité, Al Qaida et, plus globalement, Daesh ou l’Etat islamique!

Les signataires de la présente lettre se tiennent par ailleurs résolument debout, fidèles et déterminés, aux côtés de la vaillante Résistance afghane, qu’appela de ses vœux l’héroïque Commandant Massoud. Pour un Afghanistan libre, souverain, moderne, démocratique et pacifié, mais où se joue également l’avenir, sinon le sort, de l’humanité tout entière! Car ce combat est avant tout, sur un plan plus stratégique quant à l’ordre international, un combat pour la paix, la liberté, la démocratie – les droits de l’homme et de la femme, en général – mais aussi, non moins essentiellement, pour la sécurité de l’Europe elle-même. C’est dire si son véritable enjeu dépasse largement les seules frontières de l’Afghanistan: c’est un combat planétaire!

L’honneur de la France

Nous espérons donc, Monsieur le Président, que cet appel, que nous nous permettons de vous adresser ici, sera entendu. C’est là notre devoir moral, cet «impératif catégorique» si cher au grand Emmanuel Kant. Il en va là aussi de l’honneur de la France, et, dans son prestigieux sillage, de cette Union européenne qu’elle préside en ces jours!