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Harcèlement sexuel chez les pompiers : «Ils me disaient, si les flics viennent, on te démolit»

Certaines ont raccroché la tenue, d’autres sont toujours en activité. Du nord au sud du département, nous avons recueilli les témoignages parfois édifiants de femmes, devenues sapeurs-pompiers. Victimes de harcèlement, d’agression ou de sexisme ambiant, elles racontent la difficulté de dénoncer ces faits dans un univers qui, bien qu’en cours de féminisation, reste majoritairement masculin.

Temps de lecture: 4 min

Véronique* n’est pas du genre à se laisser faire. Avec son caractère bien trempé, elle se définit comme «  une grande gueule » au tempérament solide. Pourtant, quelques années passées dans une caserne du bassin de la Sambre ont bien failli la « briser. »

À l’aube des années 2000, elle a déjà passé le cap de la trentaine mais décide quand même de réaliser l’un de ses vieux rêves : décrocher le concours de sapeur-pompier. « À l’époque, une femme pompier c’était pas commun, surtout dans l’Avesnois. »

La voilà donc enrôlée pour plusieurs mois de formation initiale. Dès le départ, Véronique est mise dans l’ambiance. Lors d’une manœuvre sur une échelle, son formateur lui colle ses deux mains aux fesses. « J’ai répondu du tac au tac en le giflant. Sur le coup, ça a fait rire les gars autour de nous. » Mais pas de quoi refroidir les ardeurs de son encadrant qui lui lâchera un peu plus tard : « S i je te mets pas dans mon lit avant la fin de la formation initiale, tu vas voir… »

Traînée sur plusieurs mètres

Véronique prend sur elle, tente de se faire «  toute petite ». Mais la dégradation des relations avec ses collègues va aller crescendo au tournant des années 2010. Brimades, insultes, humiliations. « Ils s’amusaient même à enlever des éléments de l’ambulance, comme les patchs du défibrillateur, lorsque j’étais responsable du matériel. Histoire de me piéger s’il y avait un problème sur une intervention. Ils disaient qu’ils m’auraient à l’usure. J’allais au travail la boule au ventre, je pleurais aux toilettes. »

« Ils me disaient, si les flics viennent, on te démolit »

Via plusieurs courriers que nous avons pu consulter, Véronique va dénoncer ces attaques au chef de centre. Pas de réaction. C’est donc une première plainte qui sera déposée au commissariat, puis une autre, et encore une autre. « Les policiers connaissaient bien les pompiers en question, ils ont eu le culot de me dire : c’est pas possible qu’ils puissent faire ça, ça ressemble pas aux hommes qu’on connaît. » Les procédures seront classées sans suite. Au sein de la caserne, c’est la double peine. « Certains avaient peur d’être interrogés. Ils me disaient, si les flics viennent, on te démolit. » Un soir, elle est sortie de son lit par un collègue. « Il m’a traînée par terre sur plusieurs mètres, dans le couloir. Personne n’a bougé, même quand il a déchiré mon polo. Un pompier a bien tenté de parler, mais on l’a vite dissuadé de le faire. »

« Un gamin, s’il leur plaît pas il est foutu. Alors, imaginez une gamine »

En tout, Véronique aura tenu une dizaine d’années. Avant de raccrocher la tenue pour de bon. « En moyenne, les femmes pompiers partent au bout de quelques années. Parce qu’elles fondent une famille, ou autre. Mais dans la majorité des cas, je pense qu’elles partent à cause de l’ambiance. J’en ai vu passer des jeunes qui ont pleuré dans mes bras. » Notamment Claire*, une jeune de 19 ans, dont le supérieur s’était introduit dans le lit une nuit de garde à la caserne de Jeumont. Claire avait trouvé le courage de dénoncer la tentative d’agression, non sans difficulté. « On a tout fait pour essayer d’étouffer cette affaire » avait plaidé son avocat lors de l’audience au tribunal d’Avesnes en 2014. Les juges avaient condamné le pompier à six mois de prison avec sursis.

« Être pompier m’a permis de sauver des vies, mais ça a bousillé la mienne »

Aujourd’hui, Véronique en est persuadée, « même quand le chef de centre est une femme, ça ne veut rien dire, il y a toujours un homme au-dessus… » L’annonce du suicide d’une sapeur volontaire en 2020 à Hautmont a secoué Véronique, qui avait prophétisé un drame en l’absence d’une prise de conscience. « Un gamin, s’il leur plaît pas, il est foutu. Alors imaginez une gamine, si peu qu’elle soit jolie… Il faut que ces abus cessent. Être pompier m’a permis de sauver des vies, mais ça a bousillé la mienne. Le suicide, j’y ai pensé plus d’une fois. »

*Le prénom a été modifié.

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