Pourquoi c'est important Ouïghours : l'UE pourrait bientôt interdire les produits issus du travail forcé

Une résolution visant à interdire l'importation de produits résultant du travail forcé doit être soumise au vote du Parlement européen, ce jeudi. Un texte qui vise, sans la nommer, la Chine, qui exporte des tonnes de marchandises issues du travail forcé des Ouïghours.
Anthony KACZMAREK - 09 juin 2022 à 07:49 - Temps de lecture :
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Certaines manufactures de coton du Xinjiang (Chine) sont suspectées d’employer des travailleurs forcés issus de la minorité ouïghoure. Photo Sipa/Mark SCHIEFELBEIN
Certaines manufactures de coton du Xinjiang (Chine) sont suspectées d’employer des travailleurs forcés issus de la minorité ouïghoure. Photo Sipa/Mark SCHIEFELBEIN

« Les droits de l’Homme ne sont pas à vendre, à aucun prix. » C'est par ces mots qu'Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, avait annoncé le 15 septembre dernier lors de son discours sur l'état de l'Union, sa volonté d'aboutir à l'interdiction sur le marché européen de la vente de produits « fabriqués au moyen du travail forcé ».

Réunis en séance plénière ce jeudi à Strasbourg, les eurodéputés vont voter sur un projet de résolution esquissant un système qu'ils souhaitent que la Commission adopte dès septembre prochain.

Que contient le projet de résolution ?

Le nouvel instrument proposé par les eurodéputés prévoit « d’interdire [sur le marché européen, NDLR] les produits issus du travail forcé provenant d’un site de production particulier, un importateur ou une entreprise particulière », mais aussi d'une région en cas de travail forcé sponsorisé par l'État.

Ainsi, les autorités de l'UE et les États pourront empêcher certains produits d'entrer sur le marché européen aux frontières de l'Union dès qu'ils « considèrent qu’il existe des preuves suffisantes que ces marchandises ont été fabriquées ou transportées dans le cadre d’un travail forcé ».

Le projet prévoit qu'en cas de contestation de la décision par l'importateur, c'est ce dernier qui devra prouver « que les marchandises n’ont pas été fabriquées ou transportées dans le cadre d’un travail forcé, ce qui peut alors conduire à la libération des marchandises ». Un véritable renversement de la charge de la preuve.

Préalablement au vote, les députés devraient interroger la Commission sur le périmètre de ce nouvel instrument, les plans d'action internationaux à mettre en place ainsi que ses modalités pratiques d'application. La Commission présentera ensuite le nouvel instrument en septembre.

L'exemple américain

Le cadre proposé par la résolution européenne existe déjà de l'autre côté de l'Atlantique. Aux États-Unis, la législation contre le travail forcé, le « Smoot-Hawley Tariff Act », date de 1930, et permet d'interdire l'importation de biens en cas de suspicion de travail forcé au cours de leur fabrication. Un texte appliqué depuis le 14 septembre 2020 à certaines importations en provenance du Xinjiang.

Le 23 décembre 2021, Joe Biden a signé le « Uyghur Forced Labor Prevention Act », une loi s'appliquant désormais à toutes les importations en provenance de la province du Xinjiang, avec une charge de la preuve renversée. C'est à l'importateur que revient désormais de fournir la preuve de l'absence de travail forcé dans la conception du produit.

C'est ce chemin américain que semblent donc emprunter les députés européens.

Un conflit larvé au sein de la Commission

Malgré la détermination d'Ursula von der Leyen, le projet pourrait capoter. Au sein-même de la Commission, son vice-président exécutif, le conservateur letton Valdis Dombrovskis, à la tête de la Direction Générale (DG) du commerce, a tout fait pour atténuer les mesures proposées par la présidente.

D'après nos confrères de Libération, Dombrovskis a longtemps jugé que ce projet contrevenait aux règles de l'OMC (Organisation mondiale du commerce), qui interdisent les mesures discriminatoires à l'encontre d'un pays ou d'une région en particulier.

Au départ, la DG commerce souhaitait inclure la notion de travail forcé dans une proposition de directive obligeant les entreprises à s'assurer de la conformité de leurs produits et de leurs activités avec les droits humains et l'environnement. Cela aurait pu aboutir à la saisie des produits non conformes, sans empêcher leur entrée sur le marché européen.

Ursula von der Leyen a donc pesé dans la balance pour que Valdis Dombrovskis travaille avec Thierry Breton, le commissaire français au marché intérieur, afin de trouver un texte de compromis pour septembre, qui devrait s'inspirer de la résolution des eurodéputés mise au vote ce jeudi.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a pesé dans la balance pour que cette résolution soit soumise au vote du Parlement européen. Photo Sipa/Jean-Francois BADIAS
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a pesé dans la balance pour que cette résolution soit soumise au vote du Parlement européen. Photo Sipa/Jean-Francois BADIAS

La Chine clairement dans le viseur

Selon la Commission européenne, environ 25 millions de personnes dans le monde se trouvent dans une situation de travail forcé.

Si la Chine n'a jamais été mentionnée par Ursula von der Leyen à ce propos, ni par la résolution des eurodéputés, le pays communiste est régulièrement pointé du doigt à propos de sa politique contre la minorité ouïghoure dans la province du Xinjiang.

De nombreuses ONG estiment que cette population est contrainte de travailler dans des usines textiles et des dans camps de travail, subissant des mauvais traitements. Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, évoquent un « génocide », alors que d'autres accusent Pékin d’avoir interné depuis 2017 plus d’un million d’entre eux dans des centres de rééducation politique.

Quelles entreprises sont concernées ?

En France, une enquête a été ouverte l'an dernier pour « recel de crimes contre l’humanité » à l'encontre d'Uniqlo France, le groupe japonais Fast Retailing, Inditex (qui détient les marques Zara, Bershka, Massimo Duti), SMCP (Sandro, Maje, de Fursac...) et le chausseur de sport Skechers. Ces marques sont accusées d’avoir profité du travail forcé de Ouïghours en Chine.

En 2020, plusieurs entreprises de prêt-à-porter comme le Suédois H&M, le Japonais Uniqlo, l’Américain Nike ou l’Allemand Adidas s'étaient pourtant engagées à boycotter le coton du Xinjiang, et avaient été en retour visées par des appels au boycott en Chine.

Le député européen Place publique Raphaël Glucksmann, très engagé dans la cause des Ouïghours, avait publié en janvier dernier une « liste de la honte » de plus de 70 marques « accusées de bénéficier du travail forcé » de la minorité ouïghoure en Chine. Parmi les marques citées : Apple, Bosch, Google, Nike, Nintendo, Volkswagen ou encore Victoria's Secret...

Capture d'écran Instagram @raphaelglucksmann
Capture d'écran Instagram @raphaelglucksmann

Alors que le marché intérieur européen est le deuxième marché au monde pour les exportations chinoises, ce nouvel instrument pourrait à coup sûr avoir un impact considérable dans les milieux économiques à Pékin ou Shanghai.

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