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Un traitement efficace contre les covid sévères réservé aux Etats-Unis

Un anticorps monoclonal développé par l’entreprise Lilly est à ce jour le seul efficace pour neutraliser les variants BA.4 et 5 d’Omicron et éviter des formes graves de Covid-19. Mais l’entreprise ne prévoit pas de commercialiser son traitement en dehors des Etats-Unis

Un chercheur du laboratoire d'Eli Lilly à Indianapolis teste des anticorps contre le Covid-19. Le  bebtelovimab développé par la compagnie, le seul à rester efficace contre les sous-variants BA.4/BA.5 d'Omicron, est limité au marché américain.  — © DAVID MORRISON / AP
Un chercheur du laboratoire d'Eli Lilly à Indianapolis teste des anticorps contre le Covid-19. Le bebtelovimab développé par la compagnie, le seul à rester efficace contre les sous-variants BA.4/BA.5 d'Omicron, est limité au marché américain. — © DAVID MORRISON / AP

«Un scandale». C’est ainsi qu’Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, qualifie, sur Twitter, la décision des laboratoires Lilly. L’entreprise pharmaceutique américaine a développé l’unique anticorps monoclonal, le bebtelovimab, qui reste totalement efficace pour neutraliser les sous-variants BA.4 et BA.5 d’Omicron, comme l’a montré une récente étude menée par une équipe de l’Université Columbia et parue en prépublication sur le site BioRxiv. Problème: Lilly refuse de commercialiser son traitement en dehors des Etats-Unis, où 600 000 doses ont déjà été commandées.

Pourquoi c’est important? Parce que les sous-variants BA.4 et BA.5, plus transmissibles que leurs prédécesseurs, ont récemment connu une progression spectaculaire dans le monde, pour devenir dominants aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, mais aussi au Portugal, qui voit actuellement une hausse des cas confirmés, des hospitalisations et des décès liés au Covid-19. En Suisse, ces sous-variants représentent aujourd’hui près de 50% des nouvelles transmissions, selon Christian Althaus, épidémiologiste à l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Berne. Selon ce dernier, 65% de la population suisse a encore une immunité contre BA.5, mais 15% de la population pourrait être infectée par le nouvel arrivé d’ici à ces prochaines semaines.

Lire aussi: Dix questions pour comprendre le rebond du covid en Suisse

Par ailleurs, Omicron semble également avoir augmenté sa pathogénicité, à mesure de l’apparition de ses sous-variants. Selon une étude de l’Université de Tokyo, qui a évalué les caractéristiques des sous-variants BA.4 et BA.5, ces derniers se répliqueraient plus efficacement dans les cellules pulmonaires humaines. Chez les hamsters, les lésions pulmonaires seraient plus sévères lors d’une infection avec ces deux nouveaux sous-variants, en comparaison avec BA.2. D’où l’importance de posséder des traitements efficaces pour les personnes très à risque de faire des formes graves de la maladie ou chez les patients immunodéprimés.

Traitements tombés aux oubliettes

«La compagnie Lilly nous a dit qu’elle ne souhaitait pas partager son anticorps pour mener des études cliniques en Europe, ni commercialiser des doses, s’indigne Antoine Flahault. C’est très préoccupant, car nous n’aurons pas d’anticorps neutralisant efficace pour traiter les personnes infectées les plus à risque.» L’Office fédéral de la santé publique de son côté s’était déjà renseigné en février sur la possibilité d’approvisionnement en bebtelovimab auprès de Lilly, qui aurait répondu «ne pas avoir pour l’instant l’intention de rendre le médicament disponible en dehors des Etats-Unis». Des négociations sont en cours entre l’entreprise pharmaceutique et le gouvernement américain pour la fourniture de doses supplémentaires dans le cadre d’un accord d’achat modifié. Mais rien ailleurs.

Quelles sont les raisons de cette décision? Contactée, la société pharmaceutique, qui possède une antenne en Suisse, a laconiquement répondu qu’elle «continuait d’évaluer le besoin et la demande de [son] traitement sur d’autres marchés.» Des hypothèses émergent toutefois: «Lilly avait lancé une première génération d’anticorps monoclonaux dirigés contre le SARS-CoV-2, or ce traitement a très rapidement perdu en efficacité contre de nouveaux variants, explique Alexandra Calmy, infectiologue aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Est-il possible que l’entreprise ait été échaudée par cette expérience et ne souhaite plus s’investir autant dans ce champ thérapeutique? Il est très difficile pour nous, en tant que médecin, de ne pas disposer d’un médicament qui semble conserver une efficacité contre BA.4 et BA.5.»

Lire aussi: Covid-19: vers une nouvelle vague des variants BA.4 et BA.5 cet été?

Dans les faits, comme le rappelle Antoine Flahault, la plupart des anticorps monoclonaux mis sur le marché sont tombés aux oubliettes les uns après les autres, victimes collatérales des différents variants du SARS-CoV-2. «Dès que des mutations sur la protéine spike du virus apparaissent, on note une diminution dans l’activité des anticorps monoclonaux, ce qui nous oblige à constamment nous adapter dans nos décisions cliniques», pointe Oriol Manuel, médecin adjoint au Service des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Preuve de la fragilité de ces traitements: «L’anticorps monoclonal développé par Regeneron a été approuvé par Swissmedic (Institut suisse des produits thérapeutiques) le jour même où on a arrêté de l’utiliser en clinique, celui-ci était alors devenu totalement inefficace contre le variant Omicron», se rappelle le spécialiste.

Un antiviral comme lueur d’espoir

L’anticorps monoclonal de Lilly inaccessible, sur quoi les médecins se reposent-ils désormais pour prendre en charge les patients à risque de développer des formes graves du Covid-19? Les mauvaises nouvelles ne se suivant heureusement pas, Swissmedic a autorisé ce 15 juin, pour une durée limitée(près de 5 mois après l’Agence européenne du médicament (EMA) l’utilisation du Paxlovid, l’antiviral oral développé par Pfizer, dont les études cliniques ont montré une très bonne efficacité contre les hospitalisations. «Ce médicament semble mieux résister aux changements antigéniques du SARS-CoV-2, y compris ceux qui surviennent dans la famille Omicron, se réjouit Alexandra Calmy. Désormais, nous utilisons le Paxlovid en première ligne pour protéger les patients les plus fragiles des formes graves, ce qui signifie que nous ne sommes pas totalement démunis. C’est une lueur d’espoir.»

«Le fait que le Paxlovid ait été autorisé nous rassure, appuie de son côté Oriol Manuel. Pour l’heure, ce traitement est encore limité aux patients à très haut risque de faire des complications graves du Covid-19, mais des données issues d’autres pays nous montrent que l’on pourrait possiblement aussi l’utiliser chez davantage de patients.» Sa limitation? Des interactions possibles avec certains médicaments contre les pathologies cardiaques ou les immunosuppresseurs. «Cela demande d’avoir une discussion poussée sur les bénéfices-risques d’un tel traitement, détaille le médecin. Mais cela va tout de même beaucoup faciliter la prise en charge des patients à risque.»

Dans l’arsenal thérapeutique restant se trouve encore notamment l’antiviral Remdesivir qui s'administre par intraveineuse, mais dont le fabricant Gilead teste actuellement des formes orales dans des phases précoces d’essais cliniques. Ou encore l’Evusheld, une combinaison d’anticorps monoclonaux utilisée en prévention chez les personnes à haut risque de faire des complications, et peut-être bientôt en traitement précoce du Covid-19.

Dépendance industrielle

Face aux développements des médicaments antiviraux contre le Covid-19, à quoi serviront encore les anticorps monoclonaux? «Ils peuvent s’avérer utiles chez les patients très immunosupprimés, explique Oriol Manuel. L’antiviral diminue la charge virale dans l’organisme et évite les complications immédiates, mais les récidives ne sont pas exclues lorsque les patients ne présentent pas assez d’anticorps leur permettant de lutter contre une infection. Ces anticorps pourraient leur conférer une certaine immunité». «Au vu de la course contre les variants, on doit absolument disposer de traitements avec des mécanismes d’action différents, sinon on joue au loto», estime Alexandra Calmy.

L’exemple du bebtelovimab souligne aussi plus largement la question de l’indépendance de l’Europe concernant les traitements contre le Covid-19. «L’Europe va peut-être comprendre qu’elle a manqué d’audace et de prise de risque dans le développement de traitement contre le Covid-19, analyse Antoine Flahault. Il n’y a pas de programme de R&D ambitieux dans ce domaine-là.» Et l’épidémiologiste de rappeler que la meilleure stratégie pour faire face au rebond des infections et éviter une augmentation de la mortalité est de tester et de traiter.

«La prévention est aussi très importante surtout dans les EMS, où le masque devrait de nouveau être porté par le personnel de soin et les visiteurs, avance l’épidémiologiste genevois. La vaccination aussi permettrait de prévenir une hausse de la mortalité avec une quatrième dose bienvenue pour rebooster l’immunité de ceux dont la dose de rappel remonte à longtemps.»