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L'acteur Jean-Louis Trintignant est mort

Jean-Louis Trintignant au festival de Cannes en 2017.

Jean-Louis Trintignant au festival de Cannes en 2017. - Laurent EMMANUEL - AFP

Le célèbre acteur d'Un homme et une femme et de Z est mort à l'âge de 91 ans.

Il n’a jamais rêvé de devenir acteur, n’avait pas de plan de carrière, mais a marqué l’histoire du cinéma. Acteur modeste et curieux, doté d’un physique de candide qui lui a permis d’incarner à merveille des personnages taiseux et ambigus, Jean-Louis Trintignant a porté plusieurs des films les plus emblématiques du 7e Art. Il est mort ce vendredi 17 juin à l'âge de 91 ans, a annoncé à l'AFP son épouse Mariane Hoepfner Trintignant dans un communiqué.

De Et Dieu… créa la femme (1956) à Amour (2012), en passant par Le Fanfaron (1962), Un homme et une femme (1966), Z (1969) ou encore Le Conformiste (1970), Jean-Louis Trintignant aura navigué dans tous les genres, interprété avec le même brio tous les registres, du tueur sanguinaire à l’amoureux transi.

Passionné d’automobiles, réalisateur frustré, acteur fétiche de Claude Lelouch et d’Alain Robbe-Grillet, amant de Brigitte Bardot et de Romy Schneider... Jean-Louis Trintignant a eu 1001 vies.

Né dans le Vaucluse le 11 décembre 1930, il grandit fasciné par la poésie et les exploits de ses oncles Louis et Maurice, deux coureurs automobiles. Si le cinéma ne l’attire pas spécialement, c’est le théâtre qui reçoit ses faveurs lorsqu’il découvre en 1949 Charles Dullin dans L'Avare de Molière. Subjugué, ce grand timide décide de monter à Paris pour suivre des cours de comédie.

Avec son accent du sud, Trintignant se fait remarquer, mais fait tout pour le gommer. Les débuts sont difficiles. Il se consacre au théâtre, où il joue Ionesco et George Bernard Shaw, et dédaigne le cinéma, bien qu’il rêve de devenir réalisateur.

En 1955, il succombe et accepte des rôles au cinéma, principalement pour des raisons alimentaires. Son physique de candide séduit et c’est ainsi qu’il décroche un rôle de premier plan dans Et Dieu… créa la femme de Roger Vadim, le film scandaleux de l’année 1956. Sur le tournage, il entame une relation très médiatisée avec Brigitte Bardot, mettant à rude épreuve sa timidité.

La fougue de Claude Lelouch

Sa carrière est lancée. Entre deux rôles d’amoureux transi dans des films oubliés, il découvre l’envers des superproductions sur le tournage d'Austerlitz (1960) d'Abel Gance. Tout au long de sa carrière, il se tiendra éloigné de ce genre de cinéma, privilégiant les premiers films et les réalisateurs dont il est proche.

Son premier grand rôle lui vient d’Italie. Dans Le Fanfaron de Dino Risi, classique de la comédie à l’italienne teintée de tragique, Trintignant s’impose à l’écran face au très charismatique Vittorio Gassman. Phénomène de société en 1962 en Italie, ce road movie ne rencontra pas le même succès en France.

En France, son visage devient familier grâce à Merveilleuse Angélique et Compartiment tueurs de Costa-Gavras en 1965. L’année suivante, il devient incontournable grâce à Un homme et une femme de Claude Lelouch. Méfiant à cause du rôle (encore celui d'un amoureux), Trintignant se laisse séduire par la fougue du jeune réalisateur. L’acteur, qui devait jouer au départ un médecin, obtient de changer son rôle en pilote automobile, lui permettant de réellement conduire une voiture de course dans la fameuse séquence au circuit de Montlhéry. Le succès mondial du film propulse Trintignant au rang de star.

Lui, pourtant, reste sur sa réserve et poursuit les expérimentations. On le retrouve en Italie comme en France, dans des comédies un peu érotiques et des thrillers. Il tourne sous la direction de sa compagne Nadine et se noue d’amitié avec le pape du Nouveau Roman Alain Robbe-Grillet, avec qui il fait Trans-Europ-Express (1967) et L'Homme qui ment (1968).

La même année, il joue le cowboy muet du Grand Silence de Sergio Corbucci, un western qui a la particularité de se dérouler en hiver. Le dénouement du film, d’une grande violence, a été imposé au réalisateur par Trintignant, qui ne souhaitait pas voir son personnage triompher. Échec à sa sortie, Le Grand Silence a depuis inspiré Django Unchained de Tarantino. Trintignant n'a, lui, jamais apprécié ce western spaghetti dont il rechignait à parler en interview.

Casser son image

En 1969, Trintignant renoue avec le succès international grâce à Z, le brûlot de Costa-Gavras sur la dictature des Colonels en Grèce. Il y incarne le rôle discret, mais essentiel, du juge d’instruction. Sa prestation impressionne au festival de Cannes où il reçoit le Prix d'interprétation masculine. La carrière du film est par la suite remarquable: en 1970, il décroche l'Oscar du meilleur film en langue étrangère et le Golden Globe du meilleur film étranger.

Malgré le succès, Trintignant continue d’apparaître dans des premiers films et accepte des propositions risquées. Après Ma Nuit chez Maud (1969) de Rohmer, il casse son image en acceptant la proposition de Bernardo Bertolucci d’incarner un professeur de philosophie qui adhère par conformisme au fascisme. Il signe dans Le Conformiste (1970) une de ses meilleures prestations.

Lorsque Bertolucci lui propose de rempiler pour Le Dernier Tango à Paris, Trintignant refuse cependant, gêné par le niveau de nudité demandé par le réalisateur. En vogue, le comédien reçoit des propositions pour L'Aventure c'est l'aventure de Lelouch et César et Rosalie de Sautet, deux films au succès populaire garanti, mais il préfère décliner.

Dans les années 1970, Trintignant ne cesse de tourner. Il essaye d'oublier la mort de sa fille de neuf mois, Pauline, survenue à Rome en 1969 pendant le tournage du Conformiste. Tandis que le drame inspire à Nadine Trintignant Ça n’arrive qu’aux autres, qui marque la rencontre de Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni, Jean-Louis poursuit ses expérimentations cinématographiques.

Il alterne thrillers politiques (L’Attentat, sur l’affaire Ben Barka), polars où il se plaît à interpréter des tueurs pervers (Flic Story avec Alain Delon) et grands spectacles (Le Train avec Romy Schneider). Il continue aussi de collaborer avec Nadine Trintignant, Claude Lelouch ou encore Alain Robbe-Grillet.

Souvent à l’affiche de films graves, Trintignant est pourtant très drôle. Il profite du succès pour se lancer dans la réalisation. L’étonnant Une journée bien remplie (1973) et le moins réussi Le Maître-nageur (1979) témoignent d’un sens de l’humour très noir, mais leurs échecs au box-office dissuadent l’acteur de repasser derrière la caméra. L'échec au théâtre de Hamlet en 1971 est aussi une grande souffrance pour l'acteur qui avait alors attendu presque 15 ans pour revenir sur scène.

Le second drame de sa vie

Le début des années 80 est tout aussi prolifique pour l’acteur qui multiplie les apparitions à l'écran. Il retrouve Romy Schneider dans La Banquière, puis tourne deux fois avec le grand réalisateur italien Ettore Scola (La Terrasse, La Nuit de Varennes). Il fait ensuite le grand écart, enchaînant Le Grand Pardon, Vivement dimanche! de François Truffaut et plusieurs films de Claude Lelouch, dont Un homme et une femme: vingt ans déjà.

Après le succès de son retour au théâtre avec Deux sur la balançoire et un dernier tournage en Suisse, il décide en 1985 de prendre sa retraite et part s’installer à Uzès dans le Gard. Pendant quelques années, il se consacre à sa passion pour l’automobile et devient pilote. Mais le cinéma se rappelle à son bon souvenir et il accepte de jouer dans Bunker Palace Hôtel (1989), le premier film réalisé par le dessinateur Enki Bilal. Il en deviendra un précieux collaborateur, apparaissant dans Tykho Moon (1996) et Immortel, ad vitam (2003).

Les années 1990 sont moins prolifiques mais riches en découverte. Il joue dans Merci la vie de Bertrand Blier puis accepte sur l'insistance de sa fille Marie de participer à Trois Couleurs: Rouge de Krzysztof Kieślowski, qui rencontre un grand succès et lui vaut des critiques très élogieuses. Trintignant laisse ensuite sa chance à Jacques Audiard, qui réalise en 1994 son premier film, Regarde les hommes tomber. Ils se retrouveront deux ans plus tard dans Un héros très discret. Il participe aussi à La Cité des enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro.

En 2003, il est confronté au second drame de sa vie: la mort à Vilnius de sa fille Marie, battue à mort par Bertrand Cantat. Très proche de sa fille, avec qui il lisait sur scène les Poèmes à Lou de Guillaume Apollinaire, l’acteur commence progressivement à se retirer de la vie publique. Il délaisse le cinéma après Janis et John de son gendre Samuel Benchetrit et se contente de quelques apparitions au théâtre, toujours sous la houlette de Benchetrit.

S'il est sans cesse sollicité par le cinéma, seul Haneke parvient à le faire sortir de sa retraite pour Amour, succès critique et populaire qui lui permet de décrocher son premier César du meilleur acteur. Annonçant régulièrement sa retraite, Trintignant avait continué dans les dernières années de sa vie le théâtre et le cinéma.

Il avait accepté en 2016 une nouvelle proposition de Haneke (Happy end) et avait retrouvé en 2018 Anouk Aimée et Claude Lelouch pour le mélancolique Les Plus Belles Années d'une vie, présenté en mai 2019 au Festival de Cannes. Une performance crépusculaire saluée par la critique, où ce comédien à la fois grave et léger y évoquait une dernière fois ses passions pour la poésie et les voitures. Et son absence de regrets après une vie bien remplie.

Jérôme Lachasse