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La terre meurt de soif : le cri d'alerte des paysans français

Caroline Fontaine , Mis à jour le

En France, toutes les régions sont frappées par le manque d'eau. Des paysans nous confient leur détresse.

DAVID BUISSON, 31 ans, éleveur à Laveyron (Drôme). Fin mai et déjà plus d’herbe à brouter : il doit donner du foin à ses vaches montbéliardes.
DAVID BUISSON, 31 ans, éleveur à Laveyron (Drôme). Fin mai et déjà plus d’herbe à brouter : il doit donner du foin à ses vaches montbéliardes. © Alvaro Canovas/Paris Match
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AURÉLIEN MOURIER, 42 ans, éleveur à Préaux (Ardèche). Cette rivière lui a longtemps permis d’abreuver ses vaches. Faute d’eau, et donc de fourrage, il a dû réduire son troupeau.
AURÉLIEN MOURIER, 42 ans, éleveur à Préaux (Ardèche). Cette rivière lui a longtemps permis d’abreuver ses vaches. Faute d’eau, et donc de fourrage, il a dû réduire son troupeau. © Alvaro Canovas/Paris Match
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PIERRE-LOUIS DANIAU, 31 ans, cultivateur à Saint-Ciers-sur-Bonnieure (Charente). Dans ses mains, deux qualités d’épis de blé : les premiers (à g.) ont été arrosés, contrairement aux autres. Quinze jours après la photo, la grêle a détruit en partie son champ.
PIERRE-LOUIS DANIAU, 31 ans, cultivateur à Saint-Ciers-sur-Bonnieure (Charente). Dans ses mains, deux qualités d’épis de blé : les premiers (à g.) ont été arrosés, contrairement aux autres. Quinze jours après la photo, la grêle a détruit en partie son champ. © Alvaro Canovas/Paris Match
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JEAN-LOUIS LEFAUCHEUX, 49 ans, éleveur à Sully-sur-Loire (Loiret). Il irrigue ses cultures grâce à une pompe branchée sur la Loire. Mais en cas de restriction, le fleuve doit en priorité rafraîchir les centrales nucléaires.
JEAN-LOUIS LEFAUCHEUX, 49 ans, éleveur à Sully-sur-Loire (Loiret). Il irrigue ses cultures grâce à une pompe branchée sur la Loire. Mais en cas de restriction, le fleuve doit en priorité rafraîchir les centrales nucléaires. © Alvaro Canovas/Paris Match
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GUILLAUME CHAMOULEAU, 41 ans, cultivateur, à Cellefrouin (Charente). Devant un bassin de rétention qu’il partage avec d’autres agriculteurs. Sans cet apport d’eau, aujourd’hui, il ne s’en sortirait pas.
GUILLAUME CHAMOULEAU, 41 ans, cultivateur, à Cellefrouin (Charente). Devant un bassin de rétention qu’il partage avec d’autres agriculteurs. Sans cet apport d’eau, aujourd’hui, il ne s’en sortirait pas. © Alvaro Canovas/Paris Match
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En Charente, le maïs de Guillaume Chamouleau ne pousse plus.
En Charente, le maïs de Guillaume Chamouleau ne pousse plus. © Alvaro Canovas/Paris Match
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Margot, 29 ans, n’a plus d’herbe pour nourrir son bétail.
Margot, 29 ans, n’a plus d’herbe pour nourrir son bétail. © Alvaro Canovas/Paris Match
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DAVID BUISSON, 31 ans, éleveur à Laveyron (Drôme). Fin mai et déjà plus d’herbe à brouter : il doit donner du foin à ses vaches montbéliardes.
DAVID BUISSON, 31 ans, éleveur à Laveyron (Drôme). Fin mai et déjà plus d’herbe à brouter : il doit donner du foin à ses vaches montbéliardes. © Alvaro Canovas/Paris Match
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AURÉLIEN MOURIER, 42 ans, éleveur à Préaux (Ardèche). Cette rivière lui a longtemps permis d’abreuver ses vaches. Faute d’eau, et donc de fourrage, il a dû réduire son troupeau.
AURÉLIEN MOURIER, 42 ans, éleveur à Préaux (Ardèche). Cette rivière lui a longtemps permis d’abreuver ses vaches. Faute d’eau, et donc de fourrage, il a dû réduire son troupeau. © Alvaro Canovas/Paris Match
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PIERRE-LOUIS DANIAU, 31 ans, cultivateur à Saint-Ciers-sur-Bonnieure (Charente). Dans ses mains, deux qualités d’épis de blé : les premiers (à g.) ont été arrosés, contrairement aux autres. Quinze jours après la photo, la grêle a détruit en partie son champ.
PIERRE-LOUIS DANIAU, 31 ans, cultivateur à Saint-Ciers-sur-Bonnieure (Charente). Dans ses mains, deux qualités d’épis de blé : les premiers (à g.) ont été arrosés, contrairement aux autres. Quinze jours après la photo, la grêle a détruit en partie son champ. © Alvaro Canovas/Paris Match
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JEAN-LOUIS LEFAUCHEUX, 49 ans, éleveur à Sully-sur-Loire (Loiret). Il irrigue ses cultures grâce à une pompe branchée sur la Loire. Mais en cas de restriction, le fleuve doit en priorité rafraîchir les centrales nucléaires.
JEAN-LOUIS LEFAUCHEUX, 49 ans, éleveur à Sully-sur-Loire (Loiret). Il irrigue ses cultures grâce à une pompe branchée sur la Loire. Mais en cas de restriction, le fleuve doit en priorité rafraîchir les centrales nucléaires. © Alvaro Canovas/Paris Match
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GUILLAUME CHAMOULEAU, 41 ans, cultivateur, à Cellefrouin (Charente). Devant un bassin de rétention qu’il partage avec d’autres agriculteurs. Sans cet apport d’eau, aujourd’hui, il ne s’en sortirait pas.
GUILLAUME CHAMOULEAU, 41 ans, cultivateur, à Cellefrouin (Charente). Devant un bassin de rétention qu’il partage avec d’autres agriculteurs. Sans cet apport d’eau, aujourd’hui, il ne s’en sortirait pas. © Alvaro Canovas/Paris Match
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En Charente, le maïs de Guillaume Chamouleau ne pousse plus.
En Charente, le maïs de Guillaume Chamouleau ne pousse plus. © Alvaro Canovas/Paris Match
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Margot, 29 ans, n’a plus d’herbe pour nourrir son bétail.
Margot, 29 ans, n’a plus d’herbe pour nourrir son bétail. © Alvaro Canovas/Paris Match
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Longtemps, il a regardé le ciel dans l’espoir que les nuages menaçants lui apportent cette pluie si nécessaire. Mais l’orage a filé vers les monts du Lyonnais sans s’arrêter sur ses prairies et ses tournesols. David Buisson incarne la sixième génération installée sur cette terre, désormais trop sèche, du nord de la Drôme. Avec son père, ils élèvent des bovins dont la viande est vendue à des bouchers locaux. Leurs vaches sont déjà au foin car l’herbe est brûlée, comme au mois d’août. « Normalement, elles en ont jusqu’à mi-hauteur du ventre », s’attriste ce syndiqué à la Confédération paysanne. Ils ont fait une croix sur 60 % de leur première coupe de fourrage et s’attendent à perdre leurs tournesols, soit la moitié de leur chiffre d’affaires. Pour les blés non irrigués, le rendement ne sera plus que de 2 tonnes par hectare au lieu de 5. Les relevés des stations météorologiques que les agriculteurs consultent sur leur téléphone sont sans appel : pas de pluies à l’horizon, mais une nouvelle vague de fortes chaleurs. Alors même que, selon Météo France, « les deux tiers du pays connaissent déjà des sols secs à très secs ». En cause, « le manque de pluie quasi continu depuis septembre 2021 », avec un « déficit mensuel de précipitations qui a atteint 30 % à 40 % en février et mars et 25 % en avril ».

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Aujourd’hui, on a les précipitations du Sahel

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Depuis seize ans, Aurélien Mourier est installé avec sa femme sur l’exploitation de son grand-père, au cœur de ce que l’on appelle encore l’Ardèche verte. Ils font un peu de veau mais surtout du fromage de chèvre – dont le fameux picodon. Il ne reste plus qu’une source sur les six qu’il connaissait enfant. Voilà deux mois que celle-ci est à sec. Dans son village, ces sept dernières années, il a manqué un tiers d’eau par rapport aux sept précédentes. « Aujourd’hui, on a les précipitations du Sahel », s’inquiète l’éleveur. Il assiste, impuissant, à la disparition de son monde, le nôtre, celui longtemps immuable avec ses saisons, ses semis et ses récoltes. « L’agriculture est un savoir-faire ancestral, transmis de génération en génération, dit-il. Avec, pour principe, un sol et un climat qui ne varient pas. Désormais, c’est comme si l’on était des pionniers en terre inconnue. » Au lieu de 100 tonnes de foin, il vient d’en rentrer 41. « Notre exploitation est basée sur l’autonomie, ajoute cet autre adhérent de la Confédération paysanne. Mais, depuis quelque temps, on achète des camions de foin. Sur certaines parcelles, l’herbe est trop rare pour que ce soit rentable de la récolter. »

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Sur les prairies, il s’est mis à semer de la luzerne, qui tient mieux les fortes chaleurs, et a planté un hectare en vigne. « Le seul végétal, précise-t-il, qui supporte le manque d’eau. » Désormais, avec un mètre carré d’herbe, il ne fabrique plus qu’un quart de picodon, contre un demi il y a peu. Il a réduit le cheptel de vaches – passé de 30 à 20 – et réfléchit à se séparer d’une partie des chèvres, faute de pouvoir les nourrir. Le fourrage manque partout et commence déjà à être introuvable à l’achat. Comment, alors, subvenir aux besoins des trois associés et des deux salariés de l’exploitation ? « Et comment atteindre l’autonomie alimentaire quand la moitié de la production de certaines régions est perdue ? s’interroge-t-il. Le déni, face à cette catastrophe annoncée depuis si longtemps, n’est plus une option. Mais l’adaptation est-elle encore possible ? On risque de devoir quitter des territoires entiers. »

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Les arbres meurent, les forêts sont méconnaissables

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Dans ces régions du Sud, la sécheresse a déjà tout bouleversé, jusqu’aux paysages. « Les arbres meurent, les forêts sont méconnaissables », déclare Aurélien. « L’eau est sous pression partout, dans les nappes, les rivières... On se bat jour et nuit pour sauver notre production. Le moral n’est pas bon », confirme Jean-Pierre Royannez, patron de la chambre d’agriculture de la Drôme. Les fraises arrivent toutes en même temps, les abricots et les pêches seront mûrs trop tôt, les cerises trop petites. « En 2020, se souvient Régis Gonnet, arboriculteur et viticulteur dans l’Ardèche, il faisait tellement chaud que les vignes brûlaient. » Dans des départements que l’on imaginait moins sensibles, la sécheresse frappe tout autant. Dans le Loiret, traversé par tant de cours d’eau, « on arrose à un moment inédit », s’inquiète Jean-Louis Lefaucheux, secrétaire général de la FDSEA 45. « Mais si j’arrête, je perds 20 % à 40 % de la production. Or, année après année, on arrose de plus en plus tôt et on arrose des cultures qui, auparavant, n’avaient pas besoin d’apport. » Son exploitation en système raisonné – polyculture et élevage – est à cheval sur la route d’Orléans. « Jeanne d’Arc est passée par là », assure-t-il en souriant.

Plus au sud, en Charente, Pierre-Louis Daniau cultive 170 hectares. Sur les 70 non irrigués, il manquera 40 % à 50 % de son rendement. Son blé a « grillé » : « la plante n’a plus la capacité de faire la photosynthèse et ne peut plus remplir les épis. La qualité des grains sera médiocre, avec un faible rendement. » Cette parcelle ne couvrira pas les charges engagées. Avec ce qu’il a déjà utilisé pour arroser, Pierre-Louis tient normalement jusqu’à la récolte, en juillet. Il a réduit ses entrants, conservé des haies, des bosquets, des bois qui font de l’ombre et retiennent l’eau, et planté des jachères mellifères qui régénèrent les sols. Mais, dit-il, « le blé, le colza, l’orge ne seront plus pour nos territoires. Le climat va se tropicaliser, avec une saison des pluies et une saison sèche ». Son père, président de la chambre d’agriculture de la Charente, confirme : « Avec la hausse des températures, l’évaporation augmentera et on aura besoin de plus d’eau. »

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Ici, depuis des générations, on tente d’apprivoiser cette ressource, condition désormais essentielle « pour s’en sortir », ajoute le fils. Non loin, Guillaume Chamouleau siège dans presque tout ce que le département et même la région comptent d’organismes de gestion de l’eau. Ce passionné a aussi mis en place de nombreux outils pour mieux la conserver. Sa consommation d’eau par hectare a baissé d’environ 30 % en dix ans. Malgré tout, il ne s’en sort que grâce à une rétention d’eau créée il y a vingt-cinq ans. Et encore… Partout, les récoltes ont été avancées – les foins ont ainsi pris un mois d’avance. Sur l’exploitation de vaches laitières dont Margot Yonnet gère la fabrication du fromage, la sécheresse a empêché les prairies de repousser. La baisse de qualité de leur foin et le changement de nourriture lié à l’achat de compléments engendrent une diminution de la production, de la qualité du lait et, donc, de sa transformation.

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Des solutions existent, mais il faut sortir du système productiviste, couper les têtes de toutes les idées reçues

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Dans les plaines céréalières, dans les élevages intensifs ou semi-intensifs, comme dans les petites exploitations, sans réserve d’eau, sans arrosage, le système, jusqu’alors viable, a cessé de l’être. D’autant plus qu’à cette sécheresse se sont ajoutées d’autres crises. L’agriculture est dépendante des énergies fossiles, et la mécanisation comme le pompage coûtent cher. David Buisson, l’éleveur de la Drôme, utilise 10 000 litres de carburant par an. De 90 centimes le litre, il est passé à 1,60 euro aujourd’hui. Cette nouvelle dépense, ajoutée à ses pertes dues à la sécheresse et au triplement du prix des engrais (fabriqués en partie avec du gaz russe), l’a obligé à renoncer à un appareil arrachant les mauvaises herbes sans désherbant. Un investissement qui aurait permis de régénérer ses sols, donc de mieux garder l’eau, mais dont, faute d’eau justement, il n’a plus les moyens. La guerre entre la Russie et l’Ukraine, le premier et le cinquième exportateurs de blé mondiaux, a entraîné une augmentation de son prix. Pas de quoi compenser les pertes des agriculteurs : certains ont déjà vendu leur production à l’ancien prix, autour de 200 euros la tonne, contre près de 400 euros aujourd’hui. « L’année 2017 est une cassure : elle a été marquée par une très forte accélération du réchauffement », détaille l’hydrologue Emma Haziza, fondatrice de Mayane, un centre de recherche dédié à l’adaptation climatique. « Nous n’y sommes pas préparés. Nos territoires deviennent arides et l’eau souterraine commence à être vulnérable. En 2019, une vingtaine de départements se sont retrouvés avec des problèmes d’approvisionnement en eau potable pour les populations. Il faut au moins deux à trois ans pour modifier un sol et optimiser l’utilisation de l’eau. Il nous reste donc très peu de temps pour repenser notre modèle agricole. » De quoi inquiéter Jean-Louis Lefaucheux et tant d’autres, qui essayent de s’adapter : « Un investissement s’effectue sur huit ou dix ans. C’est de l’artillerie lourde. Comment opérer un virage à 90 degrés ? »

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Semaine après semaine, dans des réunions de crise en préfecture, tous tapent du poing sur la table pour obtenir un arrêt des restrictions – elles touchent déjà 29 départements – et un meilleur accès à l’eau. Surtout, ils le voient bien, ils sont devenus, dans cette nouvelle guerre, « la variable d’ajustement ». « Ils sont responsables et victimes de ce modèle, confirme Emma Haziza. Des solutions existent, mais il faut sortir du système productiviste, couper les têtes de toutes les idées reçues. » Jean-Louis Lefaucheux peut encore puiser dans la Loire, mais jusqu’à quand ? « La priorité des priorités, c’est le refroidissement des centrales », détaille-t-il. En 2003, pour les protéger, il avait dû ponctuellement fermer ses pompes. L’arrosage de David Buisson est limité par un arrêté, mais, à côté, une usine de jus de fruit puise allègrement dans des forages. « Bientôt, il nous faudra consommer moins et apprendre à se passer de beaucoup de choses, rappelle Daniau fils. Mais on ne pourra pas vivre sans manger et boire. Or, maintenant, l’agriculture n’est la priorité pour personne. » Désormais, leur ministère est aussi celui de la « souveraineté alimentaire ». Dans les campagnes, on rit jaune.

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Demain, peut-être, il pleuvra à nouveau. Dans la Drôme, en Ardèche, dans tant d’autres coins en France, c’est déjà trop tard. Tout sera aspiré par la végétation en stress hydrique. Dans la vallée ardéchoise d’Aurélien Mourier, où une trentaine d’exploitations ont mis la clé sous la porte en cinquante ans, les dernières pourraient ne pas survivre à cette ultime sécheresse. « Seuls 30 % des agriculteurs sont assurés contre le risque climatique, constate Jean-Louis Lefaucheux. Mais avec une franchise de 25 %, cela permet juste d’éviter de boire la tasse. » En même temps que l’agriculture, les paysans ont inventé ce dicton : « Tant qu’une récolte n’est pas au grenier, elle n’est pas rentrée. » Jamais il n’a été aussi juste.

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