Quelques heures avant l’annonce de sa mort, vendredi 17 juin, la voix de Jean-Louis Trintignant résonnait dans l’une des salles du Festival du film d’animation d’Annecy. Dans ce qui est le dernier de ses 180 rôles au cinéma, l’acteur a mis son timbre grave et caressant et sa diction élégante au service du projet d’adaptation en film d’animation par Michel Hazanavicius (The Artist,Coupez !) d’un livre de Jean-Claude Grumberg, La Plus Précieuse des Marchandises (Le Seuil, 2019).

Jean-Louis Trintignant est le narrateur de cette allégorie sur la Shoah, qui emprunte sa structure narrative au conte. Il était donc une fois un couple de bûcherons vivant au fond d’une forêt polonaise, alors que sévissait la « guerre mondiale ».

La bûcheronne se lamentait de ne pas avoir d’enfants. Un rêve qui devient réalité quand un jour, elle recueille « la plus précieuse des marchandises », tombée de l’un des trains qui ne cessent de traverser la forêt : un nouveau-né qu’elle veut garder à tout prix, contre l’avis de son mari…

Histoire empoisonnée

«Je m’étais promis de ne pas faire de film sur la Shoah pour des raisons intimes, car ma famille vient de cette histoire-là, a commencé par expliquer Michel Hazanavicius. Ce film ne sera pas obsédé par le devoir de mémoire, mais plutôt par le devoir de ne pas se complaire dans cette histoire empoisonnée. » Pour le cinéaste, faire un film sur la Shoah est important car «les derniers rescapés sont en train de disparaître et que l’on sort de l’ère du témoignage pour entrer dans celle de la fiction ».

Avec en tête, une responsabilité : comment évoquer la déportation en évitant d’être obscène. « Monter des hommes et des femmes en loques qui descendent d’un train, c’est la mise en scène des nazis. Il faut au contraire rendre leur dignité à des êtres qui en ont été dépouillés.»

Le conte permet, selon lui, de mettre à bonne distance l’horreur. «Jamais les mots juifs, Pologne ou Auschwitz ne sont prononcés, à la différence du livre.Le destin de ces personnages permettra d’effleurer la question des camps et de trouver de la lumière dans les ténèbres», estime Michel Hazanavicius qui a écrit l’adaptation avec Jean-Claude Grumberg, un ami de ses parents qu’il connaît depuis son enfance.

Le dernier film de Jean-Louis Trintignant sera un conte animé sur la Shoah

« Le réalisme du trait permet de faire le pont entre conte et réel »

L’animation permet aussi de créer une distance, « mais elle n’est pas suffisante, car elle s’atténue d’elle-même », selon le cinéaste qui est aussi un excellent dessinateur. «Je suis allé chercher une forme classique dans la représentation des animaux et des personnages et un style expressionniste pour les arbres. Le film fait un mouvement du conte vers le réel et le réalisme du trait permet de faire ce pont. » Inspiré par les premiers Disney, mais aussi par les estampes japonaises, il a cherché à assumer les codes du conte en jouant sur les effets d’ombres et de brouillard.

Signé Julien Grande, les très beaux décors projetés sur grand écran lors de la présentation, à la charnière entre peinture et l’illustration, s’inspirent des artistes naturalistes russes. Le dessin des animateurs, qui raconte à la fois l’ombre et la lumière, s’inspire de celui de Michel Hazanavicius mais aussi du tournage en prise de vue réelle réalisée en amont du travail sur l’animation piloté par l’excellent 3.0 Studio, qui avait travaillé sur La Tortue rouge et La fameuse invasion des ours en Sicile.

Le dernier film de Jean-Louis Trintignant sera un conte animé sur la Shoah

Un film muet ?

Très expressifs, les acteurs semblaient, dans les images montrées, pouvoir se dispenser de mots pour faire ressentir leurs émotions. La Plus Précieuse des Marchandises aurait-il pu dès lors être muet, comme le plus fameux des films de Michel Hazanavicius ? «Il y a très peu de dialogues dans le scénario, car moins on en dit, moins en montre, mieux l’histoire se raconte. Si on enlève le son, le film doit rester compréhensible. »

Le cinéaste a d’ailleurs choisi un casting de voix cinq étoiles : Dominique Blanc, Gérard Depardieu et Denis Podalydès, qui « arrivent à faire sonner des textes littéraires sans être ampoulés ». Pour les entendre, il faudra toutefois patienter jusqu’en 2024.