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L’endométriose, une maladie gynéco boostée par la pollution

Pourquoi tant de femmes souffrent-elles d’endométriose ? Depuis trente ans, des études suggèrent un lien entre cette maladie gynécologique et certains polluants chimiques.

Vous lisez « L’endométriose, une maladie gynécologique stimulée par la pollution ». La seconde partie de l’enquête est à lire ici.


Des douleurs insoutenables pendant les règles, des opérations à répétition, des difficultés à concevoir un enfant… À cause de pollutions environnementales très répandues aux pesticides, polychlorobiphényles (PCB) et dioxines ? C’est ce que suggèrent des études sur l’endométriose de plus en plus nombreuses dans le monde depuis les années 1990.

L’endométriose est une maladie gynécologique chronique qui touche une à deux femmes sur dix [1]. Après l’ovulation, pendant la deuxième phase du cycle menstruel, la muqueuse qui tapisse l’utérus s’épaissit pour accueillir un éventuel embryon. S’il n’y a pas eu fécondation, cet endomètre est évacué par le vagin lors des règles. Chez les femmes souffrant d’endométriose, ce processus naturel est grippé : une partie des tissus utérins migre, prolifère et saigne de manière anormale autour des ovaires, sur la paroi qui entoure les viscères voire sur certains organes comme la vessie et les intestins. Avec à la clé de très fortes douleurs pendant les règles et les rapports sexuels pénétratifs, et toutes sortes de troubles digestifs, urinaires et gynécologiques. L’endométriose provoque ainsi 21 000 hospitalisations chaque année et est la première cause d’infertilité en France. Elle ne se soigne pas, et les seuls traitements existants — prise d’hormones et opérations chirurgicales dans certains cas — visent seulement à enrayer tant bien que mal sa progression.

© Cécile Guillard/Reporterre

Dans les trente-quatre pages de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, lancée en février dernier par le ministre de la Santé d’alors Olivier Véran, une seule mention est faite de « facteurs environnementaux » dans l’apparition de la pathologie. Pourtant, depuis trente ans, les études qui suggèrent un lien entre cette maladie particulièrement invalidante et l’exposition à certains polluants chimiques s’empilent dans les bibliothèques des spécialistes. Marina Kvaskoff, épidémiologiste et chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), guette chaque nouvelle parution. « Récemment, une revue de la littérature a été réalisée à partir d’une cinquantaine d’études. Elle montre que l’exposition aux PCB [2] est associée à une augmentation de 70 % du risque d’endométriose, aux dioxines [3] à une augmentation de 65 % et aux pesticides organochlorés à une augmentation de 23 % », dit-elle à Reporterre. En 2020, une méta-analyse portant sur vingt-neuf études pointait déjà un lien entre endométriose et esters de phtalate [4], bisphénol A, polluants environnementaux organochlorés – dioxines, composés de type dioxine, pesticides organochlorés, PCB. En 2019, un corpus de trente études établissait un surrisque d’endométriose en cas d’exposition aux PCB, aux pesticides organochlorés et aux esters de phtalate… On peut remonter ainsi jusqu’en 1993, date à laquelle des chercheurs américains lançaient pour la première fois l’alerte sur des cas d’endométriose sévère sur des guenons exposées à la dioxine.

Le Dr Stéphane Ploteau, gynécologue au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes, a lui-même soutenu une thèse en 2016 sur le lien entre exposition aux polluants organiques persistants et endométriose. Il a prélevé du sang, de l’urine et de la graisse chez 68 patientes qu’il a opérées pour endométriose profonde et chez 45 patientes témoins qui ne souffraient pas de la maladie, et envoyé les échantillons pour analyse au Laberca, un laboratoire nantais spécialisé dans la détection des substances chimiques. Soixante-dix-huit polluants ont été passés au crible. « On a mis en évidence que certains contaminants étaient plus associés à l’endométriose profonde que d’autres, surtout quand il y avait des endométriomes – ce kyste ovarien de l’endométriose », explique-t-il à Reporterre. Il s’agissait là aussi de certains PCB, de certains pesticides organochlorés [5] mais aussi de retardateurs de flamme bromés. « La plupart de ces pesticides et retardateurs de flamme ont été interdits en Europe, depuis dix ans pour certains, mais on les retrouve toujours dans les organismes », déplore le médecin.

Certains polluants seraient des perturbateurs endocriniens

Les coupables de l’endométriose, ces redoutables polluants organiques persistants qui empoisonnent toujours notre environnement, les eaux de nos rivières et nos aliments, semblent donc tout trouvés. Mais les chercheuses et les chercheurs interrogés restent prudents. « Les études sont extrêmement hétérogènes par le nombre de cas inclus, les substances analysées et les échantillons testés, explique le Dr Ploteau. La majorité d’entre elles reposent sur des analyses de sang, qui ne reflètent pas le niveau réel d’exposition des patientes – seul le tissu adipeux le peut. » « On aurait besoin d’études s’intéressant à différents types de polluants dans la même population d’étude pour pouvoir faire des comparaisons », renchérit Dr Kvaskoff. D’autres facteurs, notamment génétiques, pourraient également être à l’origine de la maladie.

Surtout, si ces études identifient un lien possible entre certains polluants et endométriose, elles ne permettent toujours pas de comprendre par quels mécanismes ils agissent sur la maladie. Plusieurs hypothèses sont sur les paillasses. L’une d’entre elle s’intéresse au rôle de perturbateur endocrinien de certains polluants organiques persistants. Le Pr Peter Von Theobald, gynécologue spécialiste de l’endométriose au CHU de Saint-Denis à La Réunion, s’est forgé une idée du problème au fil d’une revue de littérature réalisée pour un livre à paraître en juin. « Ces agents toxiques miment l’action des œstrogènes, ces hormones féminines qui provoquent l’épaississement de l’endomètre, explique-t-il à Reporterre. Mon idée – je n’ai aucune preuve – est que ces substances, en ayant le même effet qu’un surcroît d’hormones, ne provoquent pas la maladie mais la font flamber. » Ces polluants pourraient aussi avoir un effet néfaste sur le système immunitaire des patientes avec pour conséquence, là encore, une aggravation de la maladie. « À La Réunion, une des régions françaises les plus touchées par l’endométriose, certains traitements répandus contre la gale et les poux contiennent des produits qui ont des effets immunologiques, poursuit le professeur. Avec des cellules immunitaires moins nombreuses pour détruire l’endomètre qui n’est pas au bon endroit... » À tout cela, le Dr Ploteau ajoute un possible effet de stress oxydatif – un excès de radicaux libres issus de l’oxygène dans l’organisme, à l’origine de toute une palette de troubles parmi lesquels certaines inflammations, des maladies chroniques, etc. « Tous ces effets peuvent jouer sur différents stades de l’endométriose, depuis la survie de l’endomètre en dehors de l’utérus jusqu’à sa prolifération et la formation de lésions », récapitule le gynécologue.

© Cécile Guillard/Reporterre

Il reste du pain sur la planche avant de venir à bout de ces questions. Marina Kvaskoff place de grands espoirs dans le projet EndoxOmics-β, récemment lancé par le CHU de Nantes et le Laberca et coordonné par le Dr German Cano-Sancho. Objectif : s’attaquer au fameux « effet cocktail » des mélanges de polluants organiques persistants sur un panel élargi de femmes – 125 malades et 500 témoins issues d’une cohorte de 100 000 femmes. Pour cela, il s’agira de zoomer sur leurs conséquences sur les « voies métaboliques » – un des chaînons manquants entre la substance polluante et l’endométriose. « Ce projet va nous permettre d’aller vraiment plus loin dans la compréhension de la maladie », se réjouit la chercheuse. Les premiers résultats sont attendus dans trois ans.

« On a besoin d’un changement d’échelle, avec des études cliniques menées conjointement dans plusieurs centres »

Le programme de recherche ultime resterait une étude de très grande ampleur, sur des milliers de femmes suivies pendant de très longues années. C’est en tout cas ce que soutient le Dr Ploteau. « Il faut absolument qu’on sorte de nos études de cas témoins, trop petites et trop hétérogènes, menées de manière isolée dans nos centres respectifs, martèle le gynécologue. On a besoin d’un changement d’échelle, avec des études cliniques menées conjointement dans plusieurs centres sur de grandes cohortes pour obtenir une puissance statistique suffisante. »

Comment expliquer qu’on en soit encore à attendre ces programmes et ces résultats, trente ans après l’alerte des guenons malades pour avoir été exposées à la dioxine ? Contactée par Reporterre, Valérie Desplanches, cofondatrice et présidente de la toute jeune Fondation pour la recherche sur l’endométriose, n’est pas surprise. « Les premiers textes décrivant des dysménorrhées [douleurs au moment des règles] remontent à l’Égypte antique. Mais l’endométriose a toujours été sous-estimée du fait qu’elle touche au tabou des règles, et que la douleur des femmes n’a jamais été un sujet, observe-t-elle. Ajoutez à cela que jusqu’à récemment les médecins et les scientifiques étaient en très grande majorité des hommes, et vous comprendrez pourquoi il y a beaucoup plus d’études sur la prostate ! »

« La douleur des femmes n’a jamais été un sujet »

Pour autant, cette biologiste et ingénieure de formation reste optimiste. Notamment grâce à la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. « C’est la deuxième au monde après celle de l’Australie, souligne-t-elle. Elle parle de 20 millions d’euros sur quatre ans dédiés à la recherche, il faut voir comment ça va se mettre en place mais ce serait un bon début. » Autre raison d’espérer, l’intérêt croissant de jeunes chercheuses et chercheurs pour le sujet. « L’an dernier, quelques mois après la création de la fondation, nous avons reçu douze candidatures pour notre appel à projets ! Dès lors que des financements sont débloqués, les initiatives affluent. »

Il faut dire que les enjeux de santé publique sont de taille. « Cette maladie est une véritable saloperie, qui engendre des souffrances pendant toute une vie », insiste le Pr Von Theobald. Et son incidence — le nombre de nouveaux cas observés sur une période donnée — a augmenté ces dernières années, selon une étude parue en avril dernier. Enfin, les polluants organiques persistants – dioxine, PCB, pesticides organochlorés – qui la favorisent sont à l’origine de nombreuses autres maladies, de la reproduction notamment. « Ils peuvent entraîner des cryptorchidies (les testicules qui ne descendent pas) et des hypospadias (des malformations de la verge) chez les nouveau-nés, ainsi que des cancers du testicule, de la prostate et de l’ovaire, une baisse de qualité du sperme et des dérèglements hormonaux », énumère le Dr Ploteau. Des maladies qui seraient toutes en augmentation.

Lire la suite de cette enquête : Endométriose : ces femmes qui tentent de dépolluer leur environnement

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