ENQUÊTEComment des candidats de téléréalité jouent avec l'argent de leurs abonnés

Arnaques aux produits financiers : Sur Instagram, des candidats de téléréalité jouent avec l'argent de leurs jeunes abonnés

ENQUÊTESur Instagram, les stars de téléréalité s'attaquent à un nouveau marché bien dangereux pour leur jeune public
Une adolescente regarde une vidéo sur Instagram (illustration).
Une adolescente regarde une vidéo sur Instagram (illustration). -  Haven Daley/AP/SIPA  / SIPA
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Les candidats de téléréalité sont abonnés aux arnaques en tout genre : produits de beauté, médecine parallèle ou appareils électroniques.
  • Mais cette fois, ils s’intéressent à un autre domaine tout aussi, voire plus, dangereux : les produits financiers.
  • Via Instagram, ils incitent leur jeune public à participer à des activités de trading, sans leur en informer des risques. Une pratique illégale, selon la loi.

«Salut mes petits investisseurs ». Coutumier des promotions en tout genre, le candidat de téléréalité Julien Bert a trouvé sa nouvelle activité : le trading. Sur ses vidéos, la star des réseaux promet à ses internautes de se faire facilement de l’argent « avec des investissements passifs ». L’idée ? Utiliser ce qu’on appelle « un robot trading », un outil automatisé, qui ne nécessite aucune intervention humaine. Jusqu’ici tout va bien. Mais l’histoire s’avère un peu plus complexe par la suite.

Tout commence lors d’une vidéo promotionnelle, publiée sur Instagram le 12 mars dernier. Sur les images, l’homme aux 2 millions de followers s’affiche au volant d’une belle voiture ou à l’intérieur de sa villa au dressing bien rempli. Tout ça pour annoncer quelques jours plus tard le lancement de son nouveau bijou, Wolf’s investment. Julien Bert appâte son auditeur ainsi : « ce n’est pas l’argent que tu vas gagner ou que tu pourrais gagner, mais c’est l’argent que tu es en train de perdre en regardant cette vidéo. Tu vas continuer à perdre si tu ne rejoins pas Wolf’s investment ».

Un public jeune et peu informé

Sur cette nouvelle vidéo, tournée au milieu d’une forêt et rythmée par des effets spéciaux bas de gamme, Julien Bert poursuit : « tu as 100 % de chance de gagner de l’argent avec moi. Je sais qu’en ce moment les temps sont durs pour tout le monde, c’est pour ça que je ne rigolerai pas avec ton argent. L’argent, croyez-moi, il est partout et il est bien réel, il suffit juste de me faire confiance ». À première vue, le discours est alléchant. Mais est-il seulement légal alors qu’il s’adresse à un public peu averti qui l’a connu à travers la téléréalité ?

Le compte Instagram de Julien Bert
Le compte Instagram de Julien Bert - 20 minutes

Cette pratique est en effet fortement réglementée par la loi Sapin II qui « a introduit en France un dispositif national d’interdiction de la publicité en ligne sur certains produits financiers considérés comme particulièrement risqués », éclaire l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ces derniers mois, l’AMF a d’ailleurs à de nombreuses reprises appelé à la vigilance sur l’appel aux investissements sur les réseaux sociaux. « Il convient de s’interroger sur les compétences en finance de ces personnes se présentant comme des experts, la sincérité et la nature désintéressée de ces prescriptions, dont le caractère rémunéré n’est pas toujours indiqué clairement », nous indique-t-elle.

Cela concerne en particulier les publics non-professionnels, visés par les influenceurs : « si un influenceur agit sur demande d’une plateforme de trading d’instruments financiers, celle-ci doit s’assurer que toute information publicitaire est identifiable en tant que telle, correcte, claire et non-trompeuse. »

« Une montée inquiétante »

Contactée par 20 minutes, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirme de son côté une « montée inquiétante » des pratiques commerciales trompeuses en ligne dans le domaine des services financiers, « notamment de la part des influenceurs ». Pendant l’été, la Direction générale de la concurrence avait d’ailleurs obligé l’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara à payer une amende de 20.000 euros « pour des pratiques commerciales trompeuses relatives à la promotion sur le réseau social Snapchat d’un site de formation au trading en ligne. » L’autorité de régulation affirme d’ailleurs faire des pratiques déloyales du marketing d’influence « un de ses axes de contrôle prioritaires pour l’année 2022 ».

L’excuse du FBI

Mais du côté de Julien Bert, l’affaire ne s’arrête pas seulement à la simple communication d’un produit financier à risque. Depuis le début de notre enquête, les communications de Julien Bert sur son projet Wolf’s investment ont complètement disparu de sa page Instagram. Alors que sa nouvelle entreprise apparaissait dans sa bio, plus rien n’en fait référence désormais, il n’est plus que « cofondateur ». Cette disparition, et avec celle de l’argent investi par ses abonnés, a notamment été remarquée par le compte Instagram « Vos stars en réalité » – qui vise depuis plus deux ans à mettre en lumière les arnaques multiples des candidats de téléréalité. « Effectivement, les communications ont disparu et son équipe explique uniquement qu’ils se sont fait pirater », indique la fondatrice du compte Instagram.

Sur le compte « Vos stars en réalité », on retrouve des victimes des différents stratagèmes mis en place par Julien Bert et d’autres influenceurs. « J’ai cru naïvement que son projet était viable et que ça allait pouvoir m’apporter un peu d’argent », nous confie Mélanie*. « Étant méfiante, j’avais même posé des questions à son associé " Jérémy " sur Telegram et j’avais eu des réponses très convaincantes ». Au début, Mélanie, prudente, injecte 15 euros. Voyant un petit gain, elle rajoute une nouvelle somme plus importante. « Après quelques jours, la plateforme nous a indiqué que des hackers avaient pris le contrôle et que le site dédié était introuvable. Ils nous ont dit qu’eux aussi avaient perdu l’argent pour l’instant et que le FBI était en train de faire le nécessaire ». Sollicitée par 20 minutes, l’équipe de Julien Bert confirme « qu’une enquête était en cours » et se désigne comme « la première victime de ce hack ».

Nous en profitons donc pour l’interroger sur la dangerosité de faire de la promotion de produits financiers risqués sur des réseaux sociaux. En interne, on assure être conscient que la pratique est interdite par la loi, tout en assurant exercer une tout autre activité. « Si vous allez sur le canal Telegram, vous pouvez lire : "Ce que nous proposons sur ce canal n’est pas un conseil en investissement financier mais uniquement nos idées d’investissements personnels". Vous êtes libres de les suivre ou pas ». Quant à la disparition des communications sur le projet, l’équipe de Julien Bert assure que « rien n’a été retiré » et qu’il s’agissait uniquement « de storys éphémères » – ce qui ne correspond ni à nos observations, ni à celles du compte « Vos stars en réalité ».

« Les hommes mentent, pas les chiffres »

Un peu plus loin, sur la baie de Dubaï, les influenceurs sont aussi très friands des promotions diverses et variées sur les réseaux sociaux. Parmi eux, on retrouve le couple Blata qui a récemment lancé sa plateforme de trading via Telegram. Eux utilisent ce qu’on appelle « du copy trading » qui permet de reproduire à l’identique les positions prises par un trader plus expérimenté. Sur ses vidéos, tournées la plupart du temps au bord d’une piscine, Marc Blata le résume aussi facilement qu’avec ce triptyque : « Copier, coller, injecter ». Sauf que la pratique est bien plus risquée que ce que laisse entendre l’influenceur.

En 2019, l’Autorité des marchés financiers a par exemple décidé d’instaurer plusieurs outils sur ces plateformes pour alerter des risques, par exemple en indiquant le pourcentage de clients perdants sur ce type de produits. Un chiffre qui peut varier entre 70 et 80 %, soulignait la Directrice des relations avec les épargnants à l’AMF Claire Castanet, auprès de Boursorama. « La très grande majorité des investisseurs perd donc de l’argent en investissant dans ces produits », ajoutait alors l’experte.

Alors pour convaincre ses auditeurs, Marc Blata utilise des expressions efficaces et un brin manipulatrices : « tu n’es pas plus bête qu’un autre », « tu dépends de personne » ou encore « les hommes mentent, pas les chiffres ». S’ajoute à cette recette un ingrédient bien réfléchi : l’utilisation simple et abordable de la plateforme de trading via Telegram. Pour s’inscrire, la seule condition est d’avoir accès à cette messagerie instantanée cryptée.

Un dépôt minimum très élevé

En tout, on retrouve près de 22.560 visiteurs sur ce compte Telegram. Outre les bilans hebdomadaires des produits financiers et des vidéos de Marc Blata, le compte invite ses utilisateurs à s’inscrire à la plateforme via un autre profil d’une femme dénommée « Léa » – qui n’est autre que sa compagne, Nadé Blata.

Un seul clic suffit. Auprès de ce compte, le futur apprenti trader peut désormais poser toutes ces questions avant de procéder à l’inscription. « C’est très simple, c’est comme quand tu déposes ton argent en banque. Eux, ils tradent avec, nous explique notre interlocutrice. Là, en l’occurrence, tu vas investir de 500 euros, c’est le minimum pour gagner de l’argent. Plus tu investis, plus tu vas gagner de l’argent. C’est du copier/coller pur, tu n’as même pas besoin de comprendre ».

Mais en reprenant les explications de « Léa », un élément reste particulièrement troublant : le dépôt légal est de 500 euros ; une somme astronomique pour le jeune public ciblé par les candidats de téléréalité qui n’est pas assez informé du risque de pertes. Nous faisant passer pour une étudiante, nous interrogeons le compte sur la possibilité d’investir moins. « C’est le capital minimum pour pouvoir prendre des bénéfices intéressants », répond Nadé Blata, qui ne manque pas de culpabiliser ceux qui trouvent la somme trop élevée. Voici le genre de messages reçus par certaines victimes que nous avons pu consulter : « si tu veux faire la transaction avec 200 euros, fais-le avec d’autres traders. Je mets ma main à couper que tu vas les perdre ».

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« Des dérives qui existaient depuis trop longtemps »

Alerté par plusieurs personnes en détresse, un collectif d’aide aux victimes du couple Blata s’est réuni depuis près de dix jours, principalement sur Twitter. Les témoignages se comptent par dizaine. Selon eux, l’influenceur n’en serait pas à sa première imposture. En 2019, il aurait par exemple déjà mis en place une tombola pour faire gagner un appartement à Dubaï, avant de l’annuler et ce alors que des transactions avaient déjà été passées. « On s’est dit que ce genre de dérives existaient depuis trop longtemps, qu’il fallait une entité pour rendre justice aux victimes qui n’avaient pas forcément le courage de dénoncer ces agissements », explique un de ses cofondateurs.

Car sur les réseaux sociaux, le couple de candidats de téléréalité met en valeur les gains remportés, sans vraiment participer au trading par la suite. « Eux sont rémunérés sur chaque versement. Une fois que vous avez fait votre dépôt, ils n’ont plus intérêt à ce que vous gagnez ou ce que vous perdiez. Ça reste un rabatteur pour une simple plateforme », croit savoir le collectif. En tout, ils toucheraient 600 dollars minimum à chaque acquisition, voire plus selon le nombre d’entrées.

Sur leur page Instagram, ce marketing trompeur est bien visible. A travers son quotidien luxueux, le couple fait croire à ses fans que c’est le trading qui lui a permis ce confort de vie… De quoi donner envie de s’enrichir avec eux. « Ils misent tout en s’adressant d’une part à des personnes n’ayant aucune compétence, aucun savoir dans ce domaine », avance le collectif d’aide aux victimes.

Sollicités par 20 minutes, Marc et Nadé Blata n’ont pas répondu à nos sollicitations. Le couple continue à profiter du vide juridique du réseau social Instagram, à la différence de Snapchat – dédié au public encore plus jeune – qui a durci sa politique sur les produits financiers. « Les publicités sur certains produits financiers complexes, qui peuvent inclure des portefeuilles de cryptomonnaies et des plateformes de négociation, nécessitent l’approbation préalable de Snap, explique le règlement intérieur du réseau social, qui ajoute que « les promesses de rendements financiers garantis sur des investissements spéculatifs » sont formellement interdites. Rien de tel pour le moment sur Instagram.

*le prénom a été modifié

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