« En Papouasie, notre survie dépend de la façon dont nous préservons la forêt »

Quelle relation les tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée entretiennent-elles avec leur environnement ? Trois questions au chef papou Mundiya Kepanga, qui parcourt l’Occident depuis 20 ans pour y faire connaître sa culture.

« En Papouasie, notre survie dépend de la façon dont nous préservons la forêt »
Extrait du documentaire © Marc Dozier

De conférence sur les changements climatiques en rencontres scolaires, de table-rondes scientifiques en invitations muséales, voilà bientôt 20 ans que Mundiya Kepanga traverse l’Occident en long, en large et en travers pour y faire connaître sa culture. Né au milieu des années 1960, sur le tapis de feuilles d’un ficus séculaire, au cœur des Hautes Terres de Papouasie-Nouvelle-Guinée, ce chef papou fait partie de la tribu des Hulis. Après avoir participé à la rédaction de plusieurs livres, il est devenu en 2017 le conteur d’un documentaire multi-récompensé, Frères des arbres, dans lequel il partage son amour de la forêt avec poésie, tout en dévoilant l’étendue de la déforestation qui ravageait, à l’époque, son pays. À l’occasion de son passage au festival Les AnthropoScènes organisé par Le Tangram à Évreux, et grâce à l’intermédiaire de son compagnon de toujours, le réalisateur et photographe Marc Dozier, nous avons pu lui poser quelques questions.

Usbek & Rica : Qu’est-ce qui a été, au départ, le moteur de votre engagement ? Pourquoi avoir choisi cette voie, celle de la « sensibilisation » auprès des citoyens du monde entier ?

Mundiya Kepanga : Vous savez, moi, je suis un enfant de la forêt ! Je suis né dans la forêt et, chez moi, tout vient de la forêt. Nos ancêtres nous ont appris qu’elle était indispensable à notre survie. Vous, les Occidentaux, vous allez à l’école, vous apprenez toutes sortes de savoirs modernes… Moi, je ne sais ni lire ni écrire. Mais je suis allé à l’école de la forêt. Tout ce que j’ai appris, je le dois à cet environnement. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut absolument le protéger.

« Selon mes ancêtres, si tous les arbres disparaissaient, les hommes disparaîtraient à leur tour »

Lorsque des Occidentaux viennent dans ma forêt, ils ont généralement une connaissance superficielle, un peu théorique, de ce milieu. Nous qui sommes des enfants de la forêt en avons une connaissance bien plus pratique. C’est là le moteur de mon engagement. La forêt fait partie de moi. Quand je ne suis pas en déplacement, ma vie quotidienne est une vie très simple : j’entretiens mon jardin, je vais chercher du bois, des plantes, des champignons… Nous n’avons aucune contrainte, nous sommes libres de gérer notre vie comme nous le voulons. Et nous sommes tout le temps au grand air.

Mes ancêtres ont fait une prophétie : les hommes sont les frères des arbres. Selon eux, si tous les arbres disparaissaient, les hommes disparaîtraient à leur tour. Ils nous ont transmis cet appel à protéger la nature, et c’est pourquoi j’ai voulu faire ce documentaire pour Arte, Frère des Arbres. Au départ, je pensais que les Occidentaux n’en auraient pas grand chose à faire. Je croyais que c’était quelque chose qui ne nous regardait que nous, les papous. Mais après avoir reçu treize prix internationaux, j’ai été surpris de constater l’inverse. Je m’en suis trouvé à la fois honoré et étonné. Cela montre que cette problématique concerne l’humanité toute entière, et qu’il faut donc sensibiliser tous les citoyens du monde.

Qu’est-ce qui a changé en Papouasie-Nouvelle-Guinée, depuis la diffusion de ce documentaire ?

La situation a beaucoup évolué pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée. À l’époque, il y avait plus de 300 exploitations forestières, pour la plupart illégales. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles ont été expulsées, il n’en reste plus qu’une cinquantaine. On peut vraiment se féliciter de cette avancée. On la doit notamment à notre nouveau Premier ministre, James Marape, qui fait partie de ma tribu et qui a véritablement conscience de l’enjeu de la protection des forêts primaires.

En plus de cela, plusieurs grands projets de protection de la forêt se sont développés grâce aux aides internationales, notamment celle de l’Union européenne, qui a débloqué plus de 100 millions d’euros. Nous luttons désormais contre la déforestation en favorisant le développement de l’agroforesterie – et notamment des cultures de vanille, de cacao et de café. Mon pays a évidemment besoin de se développer, mais il faut que nous trouvions un équilibre entre le développement et la préservation de l’environnement. Nous sommes toujours en quête de cet équilibre, même s’il est difficile à trouver.

Comment votre culture envisage-t-elle le futur ?

Il faut que vous sachiez qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée, toutes les tribus accordent une place centrale à la terre et à sa préservation vis-à-vis des générations futures. Nous ne nous déplaçons pas ; nous héritons de la terre de nos ancêtres et nous la transmettons à nos enfants. J’habite la terre de mes ancêtres depuis la première génération, je vais mourir sur ces terres, mes enfants aussi, etc. Chez nous, il y a des frontières précises entre les territoires des différentes tribus et des différents groupes. Donc il est évidemment essentiel de prendre soin de notre nature, tout simplement parce que c’est un patrimoine dont nous héritons et que nous transmettrons à notre tour à nos enfants. Notre survie dépend de la façon dont nous préservons ce patrimoine.

« Ici, en Occident, vous pouvez passer d’un endroit à un autre sans difficulté. Ce sont vos coutumes, vos façons d’être, je ne tiens pas du tout à les critiquer »

Ici, en Occident, vous pouvez passer d’un endroit à un autre sans difficulté. Ce sont vos coutumes, vos façons d’être, je ne tiens pas du tout à les critiquer. Nous avons des langues et des coutumes différentes, il est important de les respecter. Mais nous vivons tous sur la même planète, et c’est justement pour cela que nous devons en prendre soin collectivement. Si chacun agit localement, nous pourrons avoir un impact global. C’est aussi pour cela que j’ai décidé de remettre des parures et des coiffes de ma tribu au musée de l’Homme, à Paris. Ce geste signifie pour moi deux choses : d’une part, la nécessité de préserver l’environnement ; d’autre part, celle de respecter toutes les cultures du monde. Désormais, des Français pourront faire découvrir à leurs enfants les cultures d’autres continents, d’autres endroits dans le monde.

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