Le Kintsugi, l'art de réparer les objets en sublimant les cassures

Un vase restauré selon la méthode du Kintsugi (crédits Myriam Greff)
Un vase restauré selon la méthode du Kintsugi (crédits Myriam Greff)
Le Kintsugi, l'art de réparer les objets en sublimant les cassures
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Le Kintsugi, l'art de réparer les objets en sublimant les cassures

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Un vase brisé, une tasse ébréchée… Plutôt que de recoller les morceaux en cachant les cassures, et si on les réparait selon la méthode Kintsugi ? Cette discipline japonaise nous incite à accepter les objets avec leurs imperfections.

C'est un mot qui signifie littéralement "jointure en or" en japonais. Le Kintsugi permet de restaurer des objets cassés, abîmés, non pas en dissimulant les fêlures, mais en les sublimant avec de l'or. Le Kintsugi est une ode à l'imperfection et à la fragilité. Il nous incite à prendre soin de nos objets du quotidien au lieu de les jeter quand ils ont subi l'épreuve du temps. Myriam Greff est une restauratrice d'art qui le pratique. 

Myriam Greff, artiste : "On passe d'un objet qui est destiné à la poubelle à un objet qui non seulement devient une œuvre d'art et qui, en plus, peut être réutilisé dans son usage d'origine."

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À l'origine, l'artiste installée à Meaux avait appris à réparer les objets dans une démarche "illusionniste", c'est-à-dire en donnant l'illusion que l'objet était neuf une fois réparé.

Myriam Greff : "On me demandait d'effacer les traces du temps et ça avait quelque chose à la fois de magique et de complètement faux. La céramique, c'est avant tout des objets utilitaires. Quand on fait de la restauration dite illusionniste, donc invisible, on ne peut pas se resservir des objets parce que les produits utilisés pour la restauration sont toxiques. Donc je rendais des pièces qui semblaient en parfait état et qui ne pouvaient plus servir."

C'est en arpentant les allées du musée Guimet que Myriam Greff découvre le Kinstugi, méthode de restauration née au Japon au XVe siècle pour satisfaire le caprice d'un shogun qui voulait faire réparer un bol cassé. Contrairement à d'autres méthodes, le Kintsugi permet de retrouver l'usage de l'objet à 100 %, tout en transformant complètement son esthétique.

Myriam Greff : "Sur ce vase, une fois cassé, il manquait un très grand tesson. Au lieu de faire un grand aplat doré, j'ai préféré le combler de laque noire qui est polie. J’ai profité de cette absence pour pouvoir faire un dessin. J'ai choisi un motif floral assez dynamique, inspiré de l'art nouveau qui rappelle un peu le tableau du Cri."

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Des mois pour restaurer une pièce

Pour restaurer une pièce "façon Kintsugi", il faut deux ingrédients : de la sève d'un arbre qui pousse en Asie et de la poudre d'or. Cette méthode ne nécessite pas de cuisson au four, mais le séchage exige de la patience et une grande précision.

Myriam Greff : "Le séchage de la laque est très différent quand je travaille en hiver ou en été. Il faut être très à l'écoute de son environnement, il y a une odeur et un toucher. Il y a une manière dont la laque commence à briller, commence à se tendre."

Le Kintsugi redonne de l'importance au vécu de l'objet et aux accidents qu'il a subis.

Myriam Greff : "C'est beau de pouvoir montrer cette fragilité, parce qu'un objet, ou une personne, qui se montre fragile, elle peut obtenir du soutien. Par exemple, voici deux tasses que j'ai cassées et que j'ai mélangées pour que l'une complète l'autre, pour avoir une sorte de symbolique, une double symbolique de la résilience et du soutien qu'on peut apporter."

L'amour porté aux objets du quotidien

Le Kintsugi, c'est aussi une philosophie qui incite à accepter les objets avec leurs défauts et leurs aspérités.

Myriam Greff : "Il y a une recherche esthétique autour de l'imperfection et de l'asymétrie, avec en même temps une recherche très forte autour de la perfection. Je ne laisserais jamais une poussière dans ma laque, les lignes doivent être très belles. Souvent, on pense que je coule du métal dans les cassures et quand on me demande ça, je me dis que mon travail a été bien fait."

Mais tous les objets ne se cassent pas accidentellement. Parfois, certains clients demandent à l'artiste de casser les objets elle-même pour pouvoir transformer leur apparence.

Myriam Greff : "Les gens n’osent pas les casser eux-mêmes parce qu'ils ne connaissent pas bien la matière céramique et ils ont peur de me donner un sachet de poudre et de tessons. Ça peut paraître complètement aberrant et en même temps, quand on a compris le message qu'il y a autour de la résilience, de cette ode à la fragilité, on comprend mieux ces réactions de vouloir restaurer un objet alors qu'il est actuellement en parfait état."

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