REPORTAGE. Au festival Hellfest, Jacqueline Roth, 96 ans, une mamie d’enfer
Parmi les 60 000 festivaliers quotidiens du Hellfest, le plus gros festival metal d’Europe, Jacqueline Roth, 97 ans le 19 juillet, vient avec ses voisins de Clisson (Loire-Atlantique). Sur le site, la vedette, c’est aussi elle.
« D’habitude, je suis en rose… Pour aujourd’hui, j’ai cherché dans mon armoire ce que j’avais de plus foncé ! » Elle rit de bon cœur, Jacqueline, en comparant sa tenue à celle des métalleux tout de noir vêtus au Hellfest, festival de Clisson, qui se termine ce dimanche 26 juin 2022 avec le concert de Metallica.
En jean et parka bleu marine, la mise en plis impeccable, « mamie Roth », 97 ans le 19 juillet, a hâte de passer la porte de « l’enfer ». Serait-elle la doyenne du festival ? « Pour moi oui, je vous donne le sésame ! Attention à vous quand même ! » sourit le jeune homme à la billetterie, en lui tendant son ticket.
« J’aime l’ambiance, ça fait plaisir de voir ça ! Le soir, c’est tellement beau avec toutes ces lumières et les cracheurs de feu. J’ai toujours aimé la musique, toutes sortes de musiques. Mon mari, Pierre, faisait de l’accordéon, je l’ai rencontré au Bataclan. O n allait dans les bals, toute la nuit on dansait la valse, le tango et on rentrait par le premier métro. »
Jacqueline Roth participe à son 3e festival avec ses voisins de la route de la Brebionnière, à Clisson, à dix minutes à pied du site. Tout le groupe s’organise pour veiller sur elle qui vit seule depuis le décès de son mari, et dont les proches habitent à Paris.
Dans le chaudron trépidant du Hellfest, Jacqueline donne le bras à Christelle ou Jean-Claude et, lorsqu’elle fatigue, s’assoit dans le fauteuil roulant poussé par Yannick. « C’est ma famille de cœur », dit-elle avec des yeux malicieux qui trahissent toute l’affection qu’elle leur porte. « Chez nous, il n’y a pas eu un mariage ni un anniversaire sans elle, c’est mamie Roth, elle a été la grand-mère de nos enfants », confient Martine et Jean-Claude.
« Je peux vous prendre en photo ? »
Sculptures monumentales, scènes XXL, accoutrements délirants, elle ne perd pas une miette du festival de rock metal. « Et toutes ces petites boutiques, c’est adorable. J’ai de bons yeux encore hein ! Cette cathédrale géante, quand on est tout près, on a vraiment l’impression d’être dedans. La première année, ça m’avait fait drôle mais je n’étais pas contre », reconnaît cette catholique, qui fréquente la messe le vendredi.
Sur l’immense site, la vedette, c’est Jacqueline. Ces Alsaciens aux longues barbes façon ZZ Top demandent une photo avec elle, d’autres viennent la féliciter d’être là, épatés par sa pêche et son ouverture d’esprit. Avec eux, elle fait volontiers le signe de ralliement des métalleux, poing fermé, index et auriculaire levés. « Attendez un peu, mes doigts ne ferment plus bien, il me faut plus de temps… »
À table, en mangeant ses pâtes accompagnées d’une bière, la Clissonnaise tape la causette avec Clément, photographe de Marseille. « C’est extraordinaire que vous soyez là, il n’y a qu’au Hellfest qu’on voit ça ! » s’exclame-t-il, admiratif. « Tous les festivaliers sont très prévenants, très délicats », observe Jean-Claude. Certains aident naturellement à pousser le fauteuil roulant.
Sa curiosité insatiable et son optimisme à toute épreuve donneraient presque envie de vieillir. « Quand mon mari est mort, j’ai décidé de ne pas m’apitoyer sur mon sort, il n’aurait pas aimé que je pleure. » Alors Jacqueline, qui a arrêté l’aquagym à 85 ans et conduit toujours sa Clio, carbure aux rencontres, « aux sorties par-ci par-là », ne refusant jamais un cinéma, un restau ou une conférence de l’université du 3e âge, sans oublier la broderie. « Je suis toujours pour, jamais contre. J’ai le bonheur d’avoir toute ma tête et mes souvenirs. J’ai envie de vivre. »
Lorsque les basses résonnent top fort, Jacqueline aime moins et propose de s’éloigner des scènes. Sa répartie fuse, avec la même espièglerie : « Faudrait pas que je flanche ici quand même ! »