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Biologie cellulaire

Les pionniers des vaccins à ARN messager récompensés au Nobel de médecine 2023

Katalin Karikó, la biochimiste hongroise, dont les travaux fondamentaux ont favorisé le développement des vaccins à ARN messager, a reçu le prix Nobel de médecine ou de physiologie, au côté de Drew Weissman, immunologiste américain.

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La biochimiste hongroise Katalin Karikó en juin 2022 à New York.

La biochimiste hongroise Katalin Karikó en juin 2022 à New York.

Jemal Countess / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
La biochimiste hongroise Katalin Karikó en juin 2022 à New York.
Les pionniers des vaccins à ARN messager récompensés au Nobel de médecine 2023
Mathias Germain
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Katalin Karikó, la biochimiste hongroise, dont les travaux fondamentaux ont favorisé le développement des vaccins à ARN messager, a reçu en compagnie de l'immunologiste américain Drew Weissman le prix Nobel de médecine 2023. En juin 2022, elle avait déjà été récipiendaire de la Grande Médaille 2021 décernée à Paris par l'Académie des sciences. Le texte ci-dessous avait été publié initialement à cette occasion.

“J’ai toujours rêvé que dans nos réfrigérateurs ou congélateurs, nous disposerions un jour de différents flacons contenant de l’ARN messager, témoigne la biochimiste Katalin Karikó, sous la coupole de l’Académie des sciences, à Paris, le 21 juin 2022. Et que si par exemple, vous vous brûlez la main en cuisinant, il suffirait de prendre le flacon adéquat qui contient l’ARN messager codant une protéine utile à la guérison et de se l’administrer”, poursuit-elle avec son fort accent hongrois. Après une trentaine d’années d’efforts, ce rêve est en passe de devenir une réalité. L’apport de ses travaux a été crucial dans la mise au point des nouvelles stratégies vaccinales développées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Pour cette raison, l’Académie des sciences a remis à cette tenace scientifique la plus prestigieuse de ses récompenses, la Grande Médaille 2021.

"C’est notre propre corps qui produit l’outil thérapeutique"

Katalin Karikó débute sa carrière en Hongrie, au Centre de recherche de Szeged. Elle se spécialise sur la biochimie des ARN messagers, une molécule constituée de ribonucléotides, alors que l’ADN est faite de nucléotides.

Quel est le rôle de ces molécules ? Pour produire les protéines nécessaires à la vie, nos cellules ont besoin d'instructions qu'elles trouvent dans nos gènes (des séquences d'ADN) présents dans le noyau de chacune d'entre elles. L'information génétique contenue dans ces gènes est copiée – ou transcrite – dans le noyau sous forme d'ARN. Cet ARN est ensuite maturé puis exporté dans le cytoplasme de la cellule, le milieu qui entoure le noyau, où se situe la machinerie de production des protéines. C'est donc cette molécule qui y apporte les instructions permettant la synthèse des protéines. L’idée de Katalin Karikó est d’utiliser ce messager pour apporter aux cellules d’un tissu malade les instructions nécessaires à la fabrication de protéines qui leur permet de se réparer. "Ainsi, c’est notre propre corps qui produit l’outil thérapeutique", souligne la biochimiste.

Mais le centre de recherche de Szeged manque de financements. En 1985, elle se décide à partir pour les États-Unis avec son mari et sa fille, alors âgée de deux ans. Là, elle rejoint tout d’abord le département de biochimie de l’Université de Temple, à Philadelphie, puis elle devient professeur à la prestigieuse Université de Pennsylvanie. Dans les premières années, elle peine à convaincre de l’utilité de ses travaux sur l’ARN messager à des fins thérapeutiques. "De nombreuses fois, mes demandes de financement ont été rejetées", souligne-t-elle. Mais elle a persévéré : aux côtés de Drew Weissman, immunologiste à l'Université de Pennsylvanie, elle poursuit ses recherches sur la réponse immunitaire induite par l’ARN messager, convaincue du potentiel vaccinal de ses travaux. Ceux-ci s’inscrivent dans une longue histoire. Les choses concrètes débutent en 1990 : une équipe de l'université du Wisconsin, aux États-Unis, parvient à faire exprimer des protéines exogènes in vivo, chez des souris, en injectant l'information génétique les codant sous forme d'ADN ou d'ARN. Trois ans plus tard, une équipe française induit des réponses immunitaires contre le virus de la grippe en vaccinant des souris avec un ARNm encapsulé dans des nanoparticules lipidiques, nommées "liposomes" (1).

L'idée de modifier les ARNm avec des bases dites "analogues"

Cette expérience permet ainsi d'établir la "preuve de concept" du vaccin à ARN. Pour que ce vaccin soit plus efficace, la technique doit être perfectionnée : la séquence d'ARNm est obtenue par la transcription d'une séquence ADN in vitro, ce qui est complexe à réaliser. Ensuite, cet ARNm doit être encapsulé dans les liposomes. Le but ? Protéger les séquences des attaques enzymatiques une fois qu'elles sont injectées dans l'organisme. Le liposome sert également de véhicule pour atteindre le cytoplasme des cellules destinées à produire la protéine codée par ces ARN. Cependant, à cette époque, la stratégie reste insuffisamment efficace. En effet, la réponse immunitaire est très variable d'un animal à l'autre, et même d'un individu d'une espèce à un autre. Certains s'immunisent, d'autres non.

Jusqu'au début des années 2000, quelques travaux effectués avec différents modèles confirment le potentiel des vaccins à ARN, sans néanmoins pouvoir dégager un réel avantage de ce procédé. Quel est l’obstacle ? Les biologistes vont découvrir que les cellules disposent de récepteurs capables de reconnaître les signatures moléculaires des pathogènes qui les infectent et de déclencher une défense immédiate. On les appelle des "récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires" (ou PRR, pour pattern recognition receptors). Parmi ces motifs, on trouve ceux portés par les ARN de certains virus. Autrement dit, lorsque ces récepteurs reconnaissent un ARN qui n'a pas été produit par une des cellules de l'hôte, ils déclenchent une série de réactions qui aboutissent au blocage de la synthèse des protéines, empêchant ainsi, par exemple, la réplication de virus à ARN. Comment contourner cette défense déclenchée par les PRR ? Douze ans après les essais des Français, Katalin Karikó et son équipe ont l'idée de modifier les ARNm avec des bases différentes de celles utilisées par la nature, tout en étant très proches, dites analogues (2). Bingo ! Les ARN modifiés ne sont plus reconnus par les PRR. En revanche, ils sont bien traduits en protéines conformes à l'information génétique initiale. Ainsi, la modification des bases nucléiques permet aux ARNm synthétiques d'échapper à la vigilance des PRR.

D'autres améliorations ont dû être réalisées pour pallier la vulnérabilité des ARN, molécules très fragiles. Une fois ces obstacles franchis, les premiers essais chez l’animal ont commencé. "Avant la pandémie de 2020, dans les congrès scientifiques dédiés à l’ARN messager, les chercheurs parlaient déjà d’essais contre le VIH ou le paludisme", se souvient Katalin Karikó. Aujourd’hui, vice-présidente senior chez BioNTech RNA Pharmaceuticals, la scientifique poursuit son rêve. Elle est impliquée dans l'essai chez l’humain du premier candidat vaccin contre le paludisme, qui a commencé le 21 décembre 2022. De son côté, la société de biotechnologie Moderna a lancé le premier essai clinique de phase 1 contre le VIH en janvier 2022. 

(1) F. Martinon et al., Eur. J. Immunol., 23, 1719, 1993.

(2) K. Karikó et al., Immunity, 23, 165, 2005.

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