Élection, guerre en Ukraine, pandémie de Covid-19, gilets jaunes… Ces grandes crises ou événements, pas toujours très réjouissants, noircissent des pages et des pages de journaux, agitent des journalistes devant micro et/ou caméras. Selon un vaste sondage annuel mené par le Reuters Institute pour l’étude du journalisme, sous la tutelle de l’université d’Oxford, face à cette actualité agitée, les citoyens semblent toujours moins faire confiance à ce qui est rapporté par les médias, les plus jeunes ne les consultent pas et certains se désintéressent complètement ou en partie de ces tristes nouvelles.

Le Reuters Institute a révélé le 15 juin les résultats d’un sondage réalisé par l’institut YouGov sur Internet dans 46 pays des 6 continents, avec des échantillons d’environ 2 000 personnes à chaque fois. Le questionnaire en ligne a été distribué fin janvier, début février, avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Comme chaque année depuis 2014, date des premières consultations de l’unité de recherche d’Oxford, il y a du bon pour les médias et surtout du moins bon.

Le Reuters Institute, à ne pas confondre avec l’agence de presse éponyme, pointe une situation des médias en trompe-l’œil. Au premier abord, la situation de la presse apparaît dans une excellente phase après plusieurs années de morosité. Les grands groupes, les médias qualifiés de « haut de gamme » sont les premiers à en bénéficier. En consultant les chiffres de L’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM) ce phénomène se révèle parfaitement dans le cas français, la diffusion payante affiche une croissance à deux chiffres pour Libération (18,47%) et Le Monde (13,50%) en 2021. Les années d’élections étant particulièrement intéressantes pour les médias, cette dynamique devrait se perpétuer au moins sur le début de l’année 2022. Cette bonne nouvelle pour la presse est toutefois rapidement relativisée par l’institut qui constate que « l’intérêt pour l’information et la consommation globale d’informations ont considérablement diminué dans de nombreux pays, tandis que la confiance a chuté presque partout ».

Le public est fatigué par les mauvaises nouvelles

La baisse d’intérêt pour l’actualité mise en avant par le Reuters Institute est avant tout une forme de lassitude envers l’information. Sur l’ensemble des 46 pays où le sondage a été mené, cet intérêt pour l’actualité est passé de 63% en 2017 à 51% en 2022. Ces résultats, très généraux, sont basés sur des sondages dont les Français ont appris à se méfier au cours des élections présidentielles et législatives. Une autre enquête sur les médias, spécifiquement Française, le Baromètre des médias 2022 de La Croix, référence sur la crédibilité des médias depuis 1987 donnait des chiffres différents (et légèrement plus rassurants). Mené à bien par Kantar et Onepoint, avec environ 1 000 individus rencontrés en personnes par les sondeurs, il estime que 62% suivent l’actualité avec un intérêt plus ou moins d’intérêt et 38% s’y désintéresser à divers degrés.

courbe sondage

Les chiffres de La Croix rassurent… Crédit : Kantar / Onepoint. / La Croix

Que ce soit les résultats de La Croix ou du Reuters Institute, il n’en reste pas moins préoccupant. Les chercheurs de l’université britannique avancent plusieurs hypothèses pour expliquer cette chute. Il note l’existence d’un public plus jeune très présent en ligne, mais déconnecté de l’information, potentiellement moins instruite. Ils estiment également voir une manifestation des changements structurels dans la distribution de l’information sur Internet.

Derrière ces théories, le sondage de YouGov fait ressortir une autre pratique, l’évitement intentionnel. « Nous constatons que beaucoup choisissent aussi de plus en plus de rationner ou de limiter leur exposition aux actualités, ou du moins à certains types d’actualités ». Cette sélection est liée à une lassitude face à l’omniprésence de certains sujets, sur le Covid ou la politique par exemple, c’est le cas dans 43%, dans 36% des réponses, en particulier chez les plus jeunes, cette stratégie d’évitement a pour but de se préserver d’une perte de moral, enfin il y a un sentiment d’impuissance, le manque de confiance… Des médias tentent d’apparaître légèrement moins anxiogènes, en proposant des reportages positifs ou un journalisme de solution, mais l’actualité reste l’actualité constate le Reuters Institute, « La crise ukrainienne, et avant elle la pandémie de COVID-19, ont rappelé aux gens la valeur d’un reportage précis et équitable, aussi proche de la vérité que possible, mais nous constatons également que la nature accablante et déprimante des nouvelles, le sentiment d’impuissance et les débats toxiques en ligne détournent de nombreuses personnes – temporairement ou définitivement ».

Le déficit de confiance envers les médias se creuse

Cette lassitude est également largement alimentée par un déficit de confiance envers les médias. Mesurer la confiance est un exercice délicat, très sensible aux aléas de l’actualité. Des événements majeurs dans la vie d’un pays démocratique, comme une période électorale, la guerre sur le continent ou autres peuvent entraîner une hausse ou une baisse de ce sentiment. D’après l’étude menée par YouGov, le Royaume-Uni, les États-Unis et la France ont tous trois été traversés par des crises ayant impacté négativement la confiance en les médias, respectivement le Brexit, l’élection de Donald Trump et la crise des gilets jaunes. La pandémie de Covid-19, de façon presque contre intuitive, tant elle a donné lieu à l’émergence de théories du complot, à plutôt améliorer l’image des citoyens pour les médias, notamment en France.

courbe sur la confiance des médias

Confiance envers les médias dans divers pays en proie à différents événements marquants. Crédit : Reuters Institute

Il n’empêche, le taux de confiance en les médias dans l’hexagone reste très faible, 29% des personnes interrogées ont dit pouvoir croire les actualités la plupart du temps. Ce chiffre place le pays à la 41e place sur 46 et est en baisse de 10% depuis 2015. Il reste au-dessus des États-Unis, mais bien loin de la Finlande (69%), le Portugal (61%) ou de l’Afrique du Sud (61%). Seuls 21% des Français pensent que les médias sont libres de toutes influences politiques et 19% de toutes influences économiques.

carte de l'Europe

La crainte de voir les médias influencés par les politiques en Europe. Crédit : Reuters Institute

Là aussi, le Baromètre de La Croix donne des résultats légèrement plus encourageants à propos de l’hexagone. Selon lui 24% des Français ont confiance en Internet pour s’informer, 44% pour la télé, 49% pour la presse et la radio.

La radio est historiquement le média en lequel les Français ont le plus foi. Comme d’autres pays de l’Europe du Nord-ouest ou en Australie et au Canada, le service public audiovisuel figure en bonne place dans les institutions auquel les citoyens font le plus confiance pour obtenir des informations fiables. Dans ces pays leur indépendance est reconnue, cependant le Reuters Institute constate qu’ils sont « soumis à une pression croissante dans un certain nombre de pays, avec des attaques sur le financement, des questions sur l’impartialité ».

confiance dans les différents médias

Le service public bénéficie de la confiance des Français. Crédit : Reuters Institute

La France est concernée par ces problématiques. Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a promis la suppression de la redevance audiovisuelle dès 2022. Les syndicats de France télévision, financée par cette redevance de 138 euros, conteste « Cette décision, prise sans aucune concertation préalable et sans qu’aucune piste de substitution crédible n’ait été élaborée ». Certains redoutent qu’elle affecte l’indépendance de l’audiovisuel public française en la mettant plus directement à la merci des décisions budgétaires d’un gouvernement. Ce dernier affirme qu’il n’en sera rien.

À côté de la radio, la télévision conserve une place importante, notamment en France, mais sans surprise le smartphone s’impose progressivement comme le premier appareil pour accéder à l’information. C’est le cas pour 47% des moins de 35 ans et 28% des personnes plus âgées. Une fois sur son smartphone ce sont les réseaux sociaux qui se transforment en porte d’accès pour l’actualité, principalement sous format écrit. Pour la première fois depuis que l’étude du Reuters Institute existe, ils ont devancé un accès direct au site ou applications de média, « Sur tous les appareils, nos données montrent que l’accès direct aux applications et aux sites web perd de son importance au fil du temps et que les médias sociaux gagnent en importance, notamment en raison de leur omniprésence et de leur commodité ».

Twitter, la plateforme préférée des journalistes, des politiciens et autres communicants, est moins à la fête aux yeux du grand public en attirant, en Europe seule 9% des personnes interrogées l’ont utilisée pour trouver de l’information. Facebook, domine l’intégralité des marchés en concurrence avec YouTube en Asie (43%-42%). La plateforme de vidéo est bien installée à la deuxième place, sauf en Afrique et en Amérique latine où elle est dépassée dans le premier et à égalité dans le second avec WhatsApp, du groupe Meta. Chez les plus jeunes, de 18 à 24 ans, sans surprise, TikTok domine avec, selon espaces géographiques une émergence forte de Telegram est perceptible.

Réseaux sociaux par région

Les réseaux sociaux utilisés pour s’informer la semaine du sondage. Crédit : Reuters Institute

Bien que les réseaux sociaux se soient imposés comme une porte vers l’information, une majorité de citoyens (54%) craint d’y être exposée à de fausses nouvelles et de se faire avoir. Ceux qui utilisent principalement les réseaux sociaux pour se renseigner, 61%, se montrent méfiants. Ceux ne les utilisant pas ou peu un peu moins (48%).

Le hic du financement des médias

La numérisation des pratiques de consommation de l’information ne surprendra personne. Cependant plusieurs indicateurs sont jugés inquiétants par le Reuters Institute. Ce dernier constate que les médias, mis à part quelques grands noms, peinent à renouveler leur public. L’âge moyen des abonnés numériques est de 47 ans en moyenne. Sur l’ensemble des pays étudié seuls 17% des sondés disent se payer au moins un abonnement numérique, en France ce chiffre est à 11%. Le Reuters Institute redoute que les abonnements payants aient à souffrir de la crise à venir, qu’il soit sacrifié devant l’augmentation du coût de la vie dû à l’inflation actuelle. Néanmoins les auteurs de l’étude nuance, l’un des avantages d’avoir un public âgé est qu’il a potentiellement plus de revenus et mieux à même de ne pas avoir à sacrifier un abonnement payant, d’être stable avec un faible taux de résiliation.

À défaut d’abonnement rémunéré, les éditeurs comptent sur la publicité. Malheureusement, les mastodontes comme Facebook ou Google aspirent ces revenus pour la partie numérique, appelée à devenir dominante pour les médias. En Union européenne, une directive sur le droit voisin au droit d’auteur, permet aux éditeurs de réclamer une partie de ces revenus aux grandes plateformes. De là à ce que cela suffise…

Le Reuters Institute propose une autre solution, avec la fin des cookies tiers, mis à mal par Apple et promise par Google, les médias pourraient utiliser les données récupérées sur leur site pour trouver une source de rémunération supplémentaire. Cela induit une confiance élevée en ses institutions… Sur l’ensemble du panel seuls 32% se disent convaincu que les sites d’information utiliseront leurs données de façon responsable, en France ce chiffre est à seulement 19%. Selon le Reuters Institute les « « natifs sociaux », qui ont atteint l’âge adulte au cours des cinq ou dix dernières années, sont beaucoup moins susceptibles de visiter un site d’information traditionnel ou de payer pour des informations en ligne – et ils hésitent souvent à communiquer leurs données ». Une bien mauvaise nouvelle pour les titres hexagonaux. Les médias ont dû pain sur la planche pour convaincre les plus jeunes de rester informés sur le monde dans lequel ils vivent.