Aux États-Unis, la Cour suprême fait encore plus de place pour la religion

Trois jours après avoir enterré le droit à l’avortement, ses six juges conservateurs ont, contre l’avis de leurs trois collègues progressistes, donné raison à Joseph Kennedy, qui avait supervisé pendant sept ans les équipes de l'école secondaire de Bremerton, près de Seattle (nord-ouest), avant de perdre son emploi.

De l’argent public pour des écoles confessionnelles? Validé. Un entraîneur qui prie sur les terrains d’une école publique? C’est son droit. Un drapeau chrétien sur une mairie? Toujours bon.


L’ultra-conservatrice Cour suprême des États-Unis a bouleversé, au cours de la session qui s’achève, le délicat équilibre entre la défense des libertés religieuses et la neutralité de l’État.

«Elle ne se contente plus d’inviter de manière de plus en plus inexorable la religion dans la sphère publique, mais elle veut l’imposer», relève Steven Schwinn, professeur de droit à l’université de l’Illinois.

Trois jours après avoir enterré le droit à l’avortement, contesté depuis un demi-siècle par la droite religieuse, les six juges conservateurs de la haute cour lui ont accordée lundi une autre victoire dans un dossier moins retentissant mais très symbolique.

Il était porté par Joseph Kennedy, un ancien marine qui, pendant sept ans, a supervisé les équipes de football américain de l'école secondaire publique de Bremerton, près de Seattle (nord-ouest).

Après chaque match, il avait pris l’habitude de s’agenouiller pour «remercier Dieu» au milieu du terrain, parfois rejoint par des joueurs. Il lui arrivait aussi de diriger des prières dans les vestiaires.

En 2015, les autorités scolaires lui avaient demandé de s’abstenir, s’appuyant sur un article du premier amendement de la Constitution qui interdit à l’État, et à ses employés, d’encourager «l’établissement» d’une religion, c’est-à-dire de la financer ou de favoriser sa pratique.

Comme il refusait, invitant au contraire les médias à suivre ses prières, elles n’avaient pas renouvelé son contrat. Il avait alors saisi la justice, s’appuyant sur une autre disposition du premier amendement qui garantit, elle, la liberté de religion et d’expression.

«Démonstratives» 

Après avoir perdu en première instance et en appel, Joseph Kennedy a obtenu raison lundi devant la Cour suprême. «Une entité gouvernementale a voulu punir un individu pour une pratique religieuse brève, calme et personnelle», «la Constitution n’impose ni ne tolère ce genre de discrimination», a écrit le juge Neil Gorsuch au nom de la majorité conservatrice.

«Justice a été rendue», s’est félicité l’intéressé sur la chaîne Fox News, en estimant que, désormais «les profs, femmes de ménage, personnel de cantine» pourront suivre son exemple. «Personne ne devrait avoir à s’inquiéter parce qu’il veut remercier Dieu!»

Dans un argumentaire amer, les trois juges progressistes de la haute cour ont reproché à leurs collègues d’avoir «déformé les faits» du dossier. Selon eux, les prières de l’entraîneur n’étaient pas «personnelles et discrètes», mais «démonstratives». Fait rare, ils ont joint une photo du coach, entouré comme un messie par ses élèves, pour appuyer leur propos.

«Cette décision rend un mauvais service aux écoles et aux jeunes citoyens qu’elles servent, ainsi qu’à l’engagement de long terme de notre Nation de séparer l’Église et l’État», ajoute la juge Sonia Sotomayor en leur nom.

L’arrêt «érode les protections qui permettent aux élèves du public d’apprendre sans contrainte», a ajouté la puissante organisation de défense des droits civiques ACLU, en notant que certains joueurs s’étaient sentis obligés de prier pour ne pas se retrouver sur le banc de touche.

Argent du contribuable 

L’association et les trois juges progressistes s’étaient déjà élevés, la semaine dernière, contre la décision de la majorité d’obliger l’État du Maine (nord-est) à inclure les écoles confessionnelles dans un dispositif de subventions publiques.

«Pour la première fois, la Cour a explicitement obligé les contribuables à financer une activité spécifiquement religieuse», explique à l’AFP la professeure de droit Lia Epperson, de l’American University.

Pour elle, la majorité des juges, dont trois ont été choisis par l’ex-président républicain Donald Trump, «sont très conservateurs et très religieux, et ça se reflète dans leurs décisions».

En mai, la haute juridiction avait également jugé discriminatoire le refus par la mairie de Boston d’accrocher le drapeau d’une association chrétienne devant l’hôtel de ville.

Cette fois, l’arrêt avait été adopté à l’unanimité et rédigé par le juge progressiste Stephen Breyer de manière à ne s’appliquer qu’à ce cas précis. Sa retenue avait frustré trois des conservateurs qui avaient longuement plaidé pour aller plus loin.

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UNE JUGE DE LOUISIANE BLOQUE L'INTERDICTION D'AVORTER, PREMIER ACTE D'UN NOUVEAU FRONT JUDICIAIRE 

Une juge de Louisiane a temporairement suspendu lundi les lois interdisant aux femmes de cet État d’avorter, ajoutant à la confusion aux États-Unis depuis le revirement de la Cour suprême sur le sujet.

La haute juridiction a annulé vendredi l’arrêt «Roe v. Wade» qui depuis près de 50 ans garantissait le droit des Américaines à interrompre leur grossesse, rendant aux États la liberté d’interdire les avortements.

Plusieurs se sont immédiatement empressés de déclarer les IVG illégales sur leur territoire, en s’appuyant notamment sur des lois restées en sommeil jusqu’ici. D’autres ont l’intention de réduire les délais pour avorter.

Mais la contre-offensive légale n’a pas tardé, avec des plaintes déposées devant les tribunaux des Etats plutôt que devant la justice fédérale.

En Louisiane, une clinique et des étudiants en médecine ont attaqué les trois lois interdisant les IVG, arguant qu’elles sont trop «vagues» puisqu’elles ne précisent pas clairement les exceptions ou les peines associées.

La juge Robin Giarrusso a bloqué lundi ces lois jusqu’à une audience le 8 juillet.

«Les avortements peuvent reprendre en Louisiane», a immédiatement tweeté le Centre pour les droits reproductifs, qui représentait les plaignants.

«Chaque jour où une clinique est ouverte peut faire une différence dans la vie de quelqu’un», a ajouté sa présidente Nancy Northup dans un communiqué.

Cette victoire pourrait n’être que de courte durée, le procureur général de Louisiane Jeff Landry ayant promis «de faire tout ce qui est en (son) pouvoir pour s’assurer que les lois protégeant les enfants à naître entrent en vigueur».

Des batailles comparables se jouent dans tout le pays. Dans l’Utah, un tribunal a également suspendu temporairement l’interdiction d’avorter, suite à une plainte déposée par la puissante association de planification familiale Planned Parenthood.

Cela représente «une victoire, mais ce n’est que la première étape de ce qui sera sans aucun doute un combat long et difficile», a commenté l’association, qui avait engagé ces poursuites au motif que l’interdiction des IVG viole, selon elle, la Constitution de l’État.

Le même argument est avancé en Floride par les détracteurs d’une loi ramenant à 15 semaines le délai légal pour avorter, qui doit entrer en vigueur vendredi.

D’autres procédures ont lieu dans l’Ohio, le Kentucky, l’Idaho, le Texas ou encore le Mississippi.

Cette guérilla devrait retarder l’échéance, mais, selon l’institut Guttmacher, la moitié des États, surtout dans le sud et le centre conservateurs et religieux, devraient à plus ou moins long terme interdire les avortements sur leur sol. AFP