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"La PMA, ça n'a jamais été pour toutes": des femmes dénoncent des inégalités de traitement

Des femmes lors d'une manifestation en faveur de la loi relative à la bioéthique à Rennes, le 10 octobre 2020 (photo d'illustration)

Des femmes lors d'une manifestation en faveur de la loi relative à la bioéthique à Rennes, le 10 octobre 2020 (photo d'illustration) - Damien Meyer-AFP

Des freins liés à l'âge, des questions intrusives, des conditions pour accéder à la PMA: un an après le vote du Parlement qui ouvre son accès aux couples de femmes et aux femmes célibataires, certaines dénoncent des pratiques qu'elles jugent discriminatoires.

À 28 ans, Rozenn Marais est enceinte de deux mois, grâce à une PMA. Mais elle l'a faite en Espagne. "J'ai eu un premier rendez-vous en début d'année dans un centre en France mais la gynécologue a refusé de m'inscrire", témoigne pour BFMTV.com cette jeune femme qui souhaitait entamer une PMA seule. "Elle m'a dit qu'il fallait avoir 29 ans."

Cette juriste quimpéroise ne comprend pas les motifs de ce refus. La loi n'impose en effet aucun minimum d'âge pour bénéficier d'une assistance médicale à la procréation (le terme officiel). Elle stipule seulement qu'elle peut être réalisée jusqu'au 45e anniversaire de la femme qui a vocation à porter l'enfant.

"Ce qui est encore plus étonnant, c'est qu'elle m'a dit que si j'avais été mariée, je n'aurais pas eu besoin d'attendre d'avoir 29 ans. Ça m'a vraiment énervée. Ce n'est pas normal que je ne puisse pas m'inscrire alors que j'en ai le droit."

Comme elle, un an jour pour jour après le vote au Parlement de la loi Bioéthique qui a ouvert la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, certaines d'entre elles estiment ne pas être traitées à la même enseigne que les couples hétérosexuels.

"On ne demande pas ça à un couple"

Officiellement, la loi interdit toute discrimination d'accès à la PMA, "notamment sur l'orientation sexuelle ou le statut matrimonial", rappelle le site Service public. Catherine Clavin, la coprésidente de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, dénonce pourtant le comportement de certains médecins.

"Ce sont des cas isolés mais on a eu des remontées sur plusieurs professionnels, avec des réflexions à la limite de l'homophobie et l'impression pour les couples de femmes de devoir passer un entretien de sélection", déplore-t-elle pour BFMTV.com.

Stéphanie, qui a eu avec sa compagne deux enfants nés par PMA à l'étranger, pointe elle aussi des pratiques qu'elle juge discriminatoires. Certaines des 400 femmes qui les ont contactées depuis l'ouverture de la PMA via leur blog Demande à tes mères évoquent elles aussi une différence de traitement.

"Certaines femmes en couple de femmes ont eu des entretiens individuels pour vérifier leur motivation alors que pour les couples hétérosexuels un entretien commun a suffi", pointe Stéphanie pour BFMTV.com. "Des femmes célibataires nous ont dit qu'on leur avait demandé de venir accompagnées pour prouver qu'elles étaient soutenues dans leur démarche. On ne demande pas ça à un couple."

"Savoir qui s'occupera de l'enfant, c'est pertinent"

Catherine Guillemain, présidente de la Fédération des Cecos - les Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humain, qui gèrent les dons d'ovocytes et de spermatozoïdes en France - se défend de ces accusations. "Les parcours sont les mêmes", déclare-t-elle à BFMTV.com. "Si certaines femmes ont été reçues deux fois par le psychologue, c'est que dans ce centre toutes les receveuses sont reçues deux fois."

Quant au fait d'imposer à certaines femmes seules de venir accompagnées, Catherine Guillemain assure que tous les centres ne formulent pas cette exigence et que, quand bien même, cela n'aurait rien d'aberrant.

"Savoir qui s'occupera de l'enfant si la femme est malade pendant deux mois, il me semble que c'est pertinent de le demander", estime-t-elle.

Des questions "très intrusives"?

L'autre point de crispation, ce sont les questionnaires adressés lors des premiers entretiens. Certains se font à l'écrit, d'autres à l'oral. Dans certains centres ils ne sont destinés qu'aux femmes seules, dans d'autres aux couples de femmes, avec des questions variées et parfois très intimes.

Nathalie, responsable administrative de 40 ans, a entamé un parcours PMA - seule - en octobre dernier et se souvient de "questions très intrusives", comme le nombre et la durée de ses précédentes relations amoureuses. "On m'a aussi interrogée sur la légitimité de mon souhait à devenir mère", poursuit-elle. "C'était vraiment très déstabilisant."

"Je comprends tout à fait qu'on veuille vérifier la motivation des femmes, que leur désir d'enfant n'est pas une lubie, mais là, je me suis sentie jugée. Est-ce qu'on poserait toutes ces questions à un couple hétérosexuel?"

Sur ces questionnaires, Catherine Guillemain, la présidente de la Fédération des Cecos, se justifie en expliquant que la France s'est calquée sur le modèle belge, où la PMA est ouverte à toutes les femmes depuis quinze ans. "La volonté était de partir de ceux qui avaient déjà cette expérience. C'est une trame de réflexion, une aide pour initier le parcours mais ce n'est pas contractuel. Peu de centres l'ont systématisé", argue-t-elle.

Catherine Guillemain ajoute que ce questionnaire n'est en rien "un examen de passage" ni "bloquant" pour la suite du parcours. Si elle admet ne pas connaître la "liste exhaustive" de ces questions et qu'il lui est "difficile de se prononcer" sur leur caractère intime, elle s'en défend.

"Quelques fois, on peut avoir l'impression que c'est intrusif. Avec des couples hétérosexuels infertiles, on pose par exemple plein de questions qui peuvent paraître intrusives. Mais il y a quand même un enjeu de famille derrière ça."

Des pratiques "infantilisantes"?

Bénédicte Blanchet, de l'association Mam'en solo, considère tout de même certaines pratiques comme "infantilisantes". "Certains centres imposent des rendez-vous supplémentaires avec une assistante sociale", affirme-t-elle. "Dans d'autres, des femmes ont dû prouver leur stabilité professionnelle et financière, fiches de paie ou contrat de travail à l'appui. Qu'est-ce que ça signifie?"

Catherine Guillemain, la représentante des Cecos, comprend que certaines femmes "vivent mal" ces étapes et appelle à plus de pédagogie de la part des professionnels.

"Ce n'est pas un jugement mais un accompagnement", précise-t-elle. "Mais vous comprenez qu'on puisse s'interroger sur le projet parental d'une femme sans ressources."

Cynthia*, coordinatrice administrative, a eu son premier rendez-vous au mois de mai. Cette Parisienne de 33 ans célibataire fait partie de ces femmes qui ont dû prouver leur solidité financière.

"On m'a demandé si j'avais une bonne situation, un appartement assez grand, où je mettrai l'enfant, s'il aurait une chambre à lui mais aussi qui pourrait m'aider en cas de problème. J'ai répondu 'mes sœurs', et la réaction a été 'c'est tout?'", se souvient-elle pour BFMTV.com.

Du chantage au donneur?

Sur les réseaux sociaux, certaines femmes témoignent d'une autre condition d'accès: elles affirment qu'on leur a demandé de fournir un nouveau donneur ou une nouvelle donneuse de gamètes - pas forcément pour elles.

C'est ce qui s'est passé pour Marie*. Cette femme célibataire de 40 ans assure que le centre PMA auquel elle s'est adressée l'a d'abord prévenue qu'elle devrait attendre deux ans pour bénéficier d'un don de sperme avant de lui annoncer une réduction de moitié de ce delai si elle amenait un donneur.

"Ça m'a choquée et je trouve ça injuste mais je n'ai pas le choix, je n'ai plus le temps d'attendre", raconte cette enseignante de Morlaix à BFMTV.com. J'ai réussi à convaincre un ami d'aller donner son sperme."

Catherine Guillemain, la présidente de la Fédération des Cecos, affirme pour sa part que ces pratiques - qu'elle qualifie de "marginales" - "ne sont plus possibles". "Ça ne devrait plus se faire", argumente-t-elle. "Des consignes ont été données."

Plus généralement, elle reconnaît tout de même que les procédures de prise en charge peuvent varier d'un centre à l'autre. "Il faudrait uniformiser les pratiques mais on n'a pas le temps de la réflexion et de l'échange", justifie-t-elle. "Les demandes de dons de sperme ont été multipliées par sept, personne n'avait anticipé cette hausse."

"On essaie de faire au mieux mais tous les moyens promis n'ont pas été honorés. Il ne faut pas s'étonner que ce soit compliqué."

"La PMA, ça n'a jamais été pour toutes"

C'est bien là le nœud du problème: les délais se sont sensiblement rallongés depuis l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Causant des embouteillages entre le suivi des patientes déjà inscrites et les nouveaux dossiers. Certaines femmes craignent ainsi qu'une priorité ne soit accordée à certains profils.

"On a fait le test: dans un même centre, il peut y avoir un décalage de six mois selon qu'il s'agisse d'un couple hétérosexuel ou d'une femme seule", accuse Bénédicte Blanchet, de l'association Mam'en solo. "Il y a aussi des femmes de 40 ans qui ont été refusées à cause de leur âge."

Des accusations que balaie Catherine Guillemain, la présidente de la Fédération des Cecos. "Il n'y a certainement pas de priorité selon le profil", assure-t-elle. Mais elle précise néanmoins que pour les femmes plus âgées, soit autour de 40 ans, "on essaie d'aller plus vite". Elle reconnaît également que certains centres, notamment en région parisienne, n'acceptent plus les femmes de plus de 41 ans. "C'est vrai qu'il y a des endroits où les femmes sont refusées. Ce n'est pas idéal."

Mais selon elle, les femmes ne seraient pas suffisamment informées - ou conscientes - des réalités biologiques. "Parfois, les fonctions ovariennes ne permettent pas la réussite de la PMA, les taux de succès", argue-t-elle, avant de s'insurger contre le slogan "PMA pour toutes".

"La PMA, ça n'a jamais été pour toutes. Il y a des femmes, en couple ou pas, pour lesquelles ça ne marchera jamais. Il faut arrêter de considérer qu'on y a droit parce que c'est écrit dans la loi. Jusqu'à 45 ans, c'est une aberration, ça ne fonctionne plus. On veut bien faire tout ce qu'on peut mais il y a des limites."

*Le prénom a été modifié, à la demande des intéressées.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV