Editorial 

Notre combat pour le droit à l’avortement

Cécile Prieur

Directrice de la Rédaction

Cécile Prieur

Véritable coup de tonnerre pour la démocratie, l’abolition du droit fédéral à l’IVG, décidée par la Cour suprême américaine, marque un grand bond en arrière et une régression majeure pour toutes les femmes.

En 1985, dans son roman dystopique « la Servante écarlate », Margaret Atwood décrivait les Etats-Unis comme une dictature théocratique, où les hommes imposent un contrôle absolu sur le corps des femmes, certaines étant réduites en esclavage sexuel, contraintes de procréer sur commande. La romancière canadienne a depuis confié avoir voulu arrêter son manuscrit en cours d’écriture, jugeant son récit par trop invraisemblable. Que ne dirait-elle aujourd’hui, en voyant l’histoire rattraper la fiction de la façon la plus tragique et exécrable qui soit ?

Une guerre ouverte contre les femmes et les libertés

Qui aurait pu croire que cinquante ans après avoir autorisé et protégé constitutionnellement le droit à l’avortement, la Cour suprême américaine allait déclarer une guerre ouverte contre les femmes et les libertés ? Véritable coup de tonnerre pour la démocratie, la décision de la Cour, dont l’équilibre politique avait été modifié par Donald Trump, est une négation sans précédent du droit de millions d’Américaines à disposer d’elles-mêmes. C’est également une régression majeure pour toutes les femmes, tant le mauvais exemple donné par la plus grande démocratie occidentale fragilise mondialement un droit toujours menacé.

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On savait les Etats-Unis secoués par une polarisation extrême de leur vie publique : depuis la décision de la Cour suprême, une nouvelle guerre de Sécession se cristallise entre les Etats interdisant l’avortement et ceux souhaitant continuer à le pratiquer. Ces derniers pourraient devenir des sanctuaires pour les femmes qui veulent interrompre leur grossesse – mais seulement les plus favorisées d’entre elles. Car dans un pays où pratiquer l’IVG est un combat – les personnels soignants sont constamment menacés – et où aucun acte médical n’est gratuit, l’abrogation du droit à l’avortement va renforcer la ségrégation sociale et raciale des femmes issues des minorités. Des femmes noires auront de nouveau moins de droits que les Blanches. Et pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, des filles en auront désormais moins que leurs mères. Pire, la révolution conservatrice ne va pas s’arrêter en si bon chemin : la Cour suprême menace rien de moins que d’abolir le droit à la contraception, d’abroger les relations sexuelles entre personnes du même sexe et le mariage homosexuel.

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Ce grand bond en arrière, qui tente d’effacer cinquante ans d’émancipations et de luttes des minorités, n’est pas qu’une histoire américaine. Il concerne tous les pays occidentaux, soumis depuis une décennie à une violente fronde réactionnaire.

« L’Obs » toujours engagé aux côtés des femmes en lutte

Les répliques de la décision des juges de Washington se font ainsi sentir dans le monde entier, et notamment en France, où la loi sur l’IVG reste une conquête précaire, avec un accès inégalitaire sur le territoire. Il fallait voir les bandeaux de la chaîne ultraconservatrice CNews vendredi soir (« IVG révoqué aux Etats-Unis : une erreur ? ») pour comprendre à quel point, chez nous aussi, ce droit n’a rien d’un acquis ferme. Tous les militants anti-avortement et opposants au mariage homosexuel étaient de sortie pour « discuter » d’une liberté pourtant inscrite dans la loi. Le moment réveille les passions politiques : la majorité présidentielle, flairant une opportunité de consensus avec la gauche, veut désormais graver le droit à l’avortement dans la Constitution – mesure à laquelle elle était pourtant hostile il y a encore quelques mois.

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A « l’Obs », le journal du « Manifeste des 343 », depuis toujours engagé aux côtés des femmes en lutte, nous soutenons sans réserve l’idée de sanctuariser la liberté des femmes à disposer d’elles-mêmes. De ce point de vue, la constitutionnalisation serait évidemment une avancée juridique et symbolique. Mais elle ne doit pas être une occasion pour ouvrir une discussion nationale sur un sujet – disposer de son corps – qui est un droit absolu et n’a pas à être débattu. Le véritable enjeu est surtout dans l’application effective du droit à l’avortement, encore trop peu soutenu par les pouvoirs publics. Mère de toutes les batailles féministes, l’IVG est bien un combat continu. Simone de Beauvoir nous avait prévenus, dès 1949, dans « le Deuxième Sexe » :

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« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

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