“J’ai fait une IVG illégale dans un pays où c’est permis.” C’est avec une certaine ironie que Zeineb* résume son avortement. Pendant deux semaines, à la sortie du confinement général en juin 2020, elle doit batailler, multipliant les allers-retours entre les hôpitaux et le planning familial, dans une situation rendue difficile par l’épidémie de Covid-19.

Aucun établissement n’est en mesure de lui fournir les médicaments nécessaires pour réaliser une interruption volontaire de grossesse (IVG), faute de stocks suffisants. Zeineb réussit finalement à avorter grâce à une connaissance, qui lui fournit le traitement en cachette. “S’il n’y avait pas eu cette sororité, je n’aurais pas pu le faire”, raconte-t-elle.

“Que la loi le permette ou pas, c’est mon droit. Je suis prête à l’arracher s’il le faut.”

Faisant figure d’exception dans la région, la Tunisie a légalisé la pratique de l’IVG dès 1973. Toute femme est censée pouvoir avorter gratuitement au cours du premier trimestre de grossesse soit par aspiration (IVG chirurgicale), soit par IVG médicamenteuse [pratiquée jusqu’à neuf semaines d’aménorrhée].

Près de cinquante ans après l’entrée en vigueur de cette loi, les femmes font toujours face à de nombreux obstacles. Pénuries de médicaments, dissuasion par le corps médical, inégalités régionales… L’avortement est un parcours de combattantes pour de nombreuses femmes.

Sa légalité est même parfois remise en cause dans le débat public. En 2013, la députée Najiba Berioul, de l’Assemblée nationale constituante, proposait de criminaliser l’IVG au sein de la future Constitution.

“L’accès à l’avortement se restreint de plus en plus, sans qu’il n’y ait jamais d’interdits”, résume Selma Hajri, fondatrice de l’association Tawhida Ben Cheikh, qui œuvre pour la promotion des droits sexuels et reproductifs. Alors qu’aux États-Unis et ailleurs le droit à l’avortement est aujourd’hui remis en cause […], qu’en est-il de la Tunisie ? Ce droit est-il réellement garanti ?

Pénuries et obstacles

Théoriquement, l’IVG devrait être accessible gratuitement à toutes les femmes dans tous les établissements sanitaires publics. En 2010, 72 établissements – une cinquantaine d’hôpitaux ainsi que les 24 plannings familiaux présents dans les gouvernorats – réalisaient des IVG chirurgicales, selon un rapport du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). Aujourd’hui, seulement “deux [hôpitaux], l’un à Tunis et l’autre à Sousse, offrent l’IVG chirurgicale”, affirme Fatma Temimi, sous-directrice de l’Office national de la famille et de la population (ONFP). Quelques plannings familiaux le pratiqueraient également, sans qu’il n’ait été possible d’obtenir des statistiques claires.

Ainsi, lorsque l’IVG médicamenteuse n’est pas possible en raison d’une pénurie de médicaments ou que les délais sont dépassés, les femmes n’ont que très peu de moyens de se faire avorter dans le public.

“Quand il y a une rupture de stock [des médicaments pour l’IVG], les femmes ne peuvent plus avoir accès à l’avortement”, résume Selma Hajri, directrice de l’association Tawhida.

Zeineb l’a directement vécu. Lorsqu’elle a découvert qu’elle était enceinte, la jeune femme n’avait plus que deux semaines pour recourir à une IVG médicamenteuse. “Je suis allée voir le chef de service [d’un hôpital]”, se souvient-elle, mais celui-ci lui demande d’attendre en raison de l’absence de comprimés. Sauf que Zeineb est dans une situation d’urgence : pour des raisons médicales, elle ne peut pas avoir recours à une IVG chirurgicale. “Je ne pouvais pas attendre”, réagit-elle.

Au-delà des pénuries de médicaments, les établissements publics souffrent aussi d’une insuffisance de personnel. “Si quelqu’un part à la retraite ou déménage, il n’est jamais remplacé”, témoigne une sage-femme exerçant dans la région de Gafsa [dans le sud-ouest du pays].

Ces manquements sont encore plus criants dans les régions défavorisées. À Tunis, il existe huit méd