Ibsen, Dostoïevski, Anouilh, Capote, Genet, Beckett, Jarry, Tchekhov, Hampâté Bâ… La diversité des univers abordés par Peter Brook au fil de 100 pièces de théâtres et 12 films de cinéma montre à elle seule l’ardeur de sa curiosité. Mais c’est avant tout sa recherche d’une forme épurée et par là, stimulante, qui poussa, tel un vent fécond, la carrière du Britannique, devenu le metteur en scène le plus influent du XXe siècle.

«Il n’est pas un acteur de ma génération qui n’ait rêvé de jouer sous sa direction, confie à La Croix le comédien Denis Podalydès. Peter Brook a, au sens littéral, fait exploser le cadre scénique, en révolutionnant l’espace du jeu, en retirant toutes les couches de convention à l’art du jeu d’acteur – par exemple la voix projetée, le maintien. Il a inventé un alliage entre épique et intime, arrivant à représenter une idée avec le maximum de puissance et le minimum de moyen, juste par la grâce du geste, de la présence, du détail. »

Né en 1925 à Londres, d’origine juive lituanienne, Peter Brook montre dès sa jeunesse un appétit pour le théâtre. Il commence sa carrière à 17 ans avec une adaptation du Docteur Faust de Christopher Marlowe et, à 19 ans, un premier film écrit à partir du Voyage sentimental de Laurence Sterne. En 1953, il met en scène Le Roi Lear pour la télévision américaine avec Orson Welles dans le rôle-titre ; en 1955, son Titus Andronicus à Stratford-upon-Avon montre la violence du monde moderne en utilisant la musique concrète ; en 1959, il adapte Moderato cantabile de Marguerite Duras au cinéma avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo…

Refus du « théâtre mortel »

Dans cette carrière dense, qui ouvrira à de vifs succès, Brook entend vite se démarquer du théâtre « ennuyeux, mortel ». En 1962, il monte à Londres Le Roi Lear, en écho « aux destructions de la Seconde Guerre mondiale, aux camps et à la perte de l’humanité », note le critique Georges Banu.

Il pose là les bases de sa théorie de l’espace vide, renonçant au décor pour susciter une expérience plus forte et participative du spectateur, pour libérer son imagination. « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé », décrira-t-il. La scène devient « le lieu où l’invisible devient visible ».

Il fonde en 1971 le Centre international de recherche théâtrale (Cirt), partant avec sa troupe en Iran, en Afrique, en Amérique. La même année, Brook découvre à Paris avec la productrice Micheline Rozan un théâtre à l’italienne voué à la destruction qui deviendra les Bouffes-du-Nord, qu’il dirigera jusqu’à 2008. Dans cet espace vide, sans plateau, sans sièges d’orchestre, il met en pratique sa vision.

« On n’avait jamais vu Shakespeare comme ça, poursuit Denis Podalydès. C’est dans cet espace réduit à son squelette qu’il a fait ses plus grandes créations françaises, de Timon d’Athènes à La Cerisaie… J’ai été très marqué par la présence dénudée, la pure présence des acteurs dans une simplicité de jeu extrême : Sotigui Kouyaté​​​​​​, Bruce Myers, Yoshi Hoyda… Cela devait beaucoup à la proximité : l’acteur et la pièce faisaient corps. »

Le magicien Brook

Brook est alors pionnier, affirmant que l’acteur n’est pas enfermé dans sa langue, ni sa couleur de peau, et que Shakespeare peut être joué par un Japonais ou un Africain. À l’horizon de ce renouveau viendra son chef-d’œuvre, LeMahabharata, mise en scène à Avignon, en 1985. Sa pièce la plus emblématique reste La Tempête de Shakespeare, montée plusieurs fois. « Brook admirait le rôle du magicien Prospero, souligne Denis Podalydès, sa sortie à la fin de la pièce : humble, généreuse, et presque coupable, renonçant à sa baguette magique. Peter Brook est un peu cela : un magicien qui a de plus en plus renoncé aux effets ».

Dans le petit livre intitulé La Qualité du pardon (Seuil, 2014), Peter Brook confia beaucoup de son compagnonnage avec Shakespeare. Il y abordait avec simplicité le concret du travail artistique, loin des théories. «Le théâtre vit et respire au temps présent, non dans les bibliothèques ou les archives, y écrivait-il. La pièce doit de nouveau être ramenée à la vie, mais avec les yeux d’aujourd’hui. Avec les yeux du passé, rafraîchis par le sentiment de la réalité présente, elle nous montre des formes nouvelles, des montagnes et des gouffres nouveaux, des lumières et des ombres nouvelles. Et nous sommes étonnés de ne pas les avoir remarqués plus tôt. »

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Peter Brook en quelques dates

1925. Naissance à Londres.

1942. Premier spectacle. Étudie la littérature comparée à Oxford.

1948. Premier opéra Boris Godounov (Modeste Moussorgsky), à Covent Garden.

1959. Comédie musicale Irma la douce (Alexandre Breffort).

1962. LeRoi Lear (William Shakespeare) avec la Royal Shakespeare Company.

1964. Marat-Sade (Peter Weiss) sur la maladie mentale.

1968. Publie L’Espace vide, livre en quatre parties (sur le théâtre « mortel », « sacré », « brut » et « immédiat »).

1974. Ouverture des Bouffes du Nord avec Timon d’Athènes (Shakespeare).

1985. Le Mahabharata à Avignon.

1990. La Tempête (William Shakespeare), adapté par Jean-Claude Carrière.

1993. L’Homme qui (Oliver Sacks).

2010. La Flûte enchantée (Wolfgang Amadeus Mozart).