Lyon. L'incroyable vie d'Ida, dernière rescapée lyonnaise d'Auschwitz morte à 101 ans

Ida Natan est décédée à Lyon, fin juin, à l'âge de 101 ans. Déportée en 1944, elle avait survécu à Auschwitz. Dans un dernier hommage, l'un de ses fils raconte.

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 Ida Natan était la dernière survivante lyonnaise du convoi du 11 août 1944, à destination d’Auschwitz.(©DR)
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C’est une des nombreuses histoires de la Seconde Guerre Mondiale que l’on se doit de ne pas oublier, que l’on se doit de transmettre.

Un devoir de mémoire dont le fils d’Ida Natan, Lyonnaise déportée en 1944 à Auschwitz, se porte garant lors d’un entretien exclusif accordé à Actu Lyon

Ce n’était pourtant pas vraiment le combat d’Ida. Très secrète quant à sa déportation, elle faisait partie de ces personnes qui préféraient « regarder de l’avant plutôt que de s’apitoyer sur son sort », rapporte Patrick.

Au cours de sa vie, elle en discutera malgré tout à plusieurs reprises avec ses deux enfants, Patrick et Maxime, ainsi qu’avec ses petits-enfants. Des bribes d’histoires et d’anecdotes, rassemblées aujourd’hui de manière chronologique pour dérouler le fil de son existence. 

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« Elle a pensé être une monstruosité »

Le 1er avril 1921, Ida Amouraben, de son nom de jeune fille, ouvre les yeux pour la première fois à Saint-Etienne (Loire). Ses parents, des Turques de religion juive arrivés en France après la guerre de 1914-18, élisent rapidement domicile à Lyon.

Envoyée dans un internat catholique pendant son enfance, Ida n’apprend que tardivement qu’elle est juive. « Le ciel lui est tombé sur la tête à ce moment-là. Elle avait été élevée dans un milieu catholique et pensait l’être. À l’époque, les bonnes sœurs leur apprenaient que les juifs étaient des monstruosités. Elle a pensé en être une », raconte son fils. 

Ida arrête l’école assez jeune pour aider ses parents sur les marchés. Dans sa vie, « rien ne tourne autour de la juiveté ». Jusqu’à ses 23 ans. Son arrestation par la milice française, en 1944, lui fait prendre conscience de sa condition et, surtout, de ce qu’elle représente aux yeux des autres. 

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Dénoncée par une voisine à Lyon, direction Montluc

Son père est arrêté dans une traboule de la Croix-Rousse. Sa mère et elle, dénoncées par une voisine, sont interpellées peu de temps après. Tous se retrouvent incarcérés à la prison de Montluc, à Lyon, dans des cellules microscopiques, entassés avec des dizaines de personnes.

Dans cet enfer déshumanisant subsiste malgré tout l’amour incommensurable que se porte la famille Amouraben.

Un jour, les soldats leur ont apporté des pommes. Les gens mourraient de faim mais ma mère ne l'a pas mangée. Elle a attendu de retrouver sa mère pour lui en faire cadeau. Quand elles se sont revues, sa mère lui a également tendu la sienne. Elle l'avait gardée, elle aussi.

Patrick Natan, fils d'Ida

Le 11 août 1944, un mois avant la libération de la ville de Lyon, Ida et ses parents se retrouvent aux côtés de plus de 500 personnes dans un convoi en direction d’Auschwitz. Ils vivront 10 jours de voyage dans des conditions atroces.

À peine arrivés dans le camp de la mort, ils sont séparés. « Son père a sans doute été gazé immédiatement. Elles n’ont plus jamais eu de nouvelles », relate Patrick. 

Libérée d’Auschwitz après un an d’enfer indicible 

Parmi les épisodes dont Ida a bien voulu parler, il y en a un, en particulier, qui l’a hantée toute sa vie. Celui du destin d’un enfant qu’elle avait tenté de sauver.

Pendant le convoi, une femme est morte, laissant derrière elle son enfant. Ma mère avait décidé de le prendre avec elle. Mais un soldat lui a ordonné de le laisser, menaçant de l'emmener au crématoire si elle n'obéissait pas. Elle a obéi, l'enfant a finalement été tué.

Patrick Natan, fils d'Ida

Pendant un an, au sein d’un camp de femmes, Ida et sa mère travaillent. Se battent pour de la nourriture. Survivent. En 1945, les Allemands, proches de la défaite, décident de vider les camps et de déplacer les survivants jusqu’en Allemagne au camp de Bergen-Belsen.

Ida est libérée le 15 avril par les Britanniques. Mais sa mère n’y survivra pas. « Dans le chaos, elle a disparu. On ne sait pas vraiment ce qu’il lui est arrivé. » 

Mourante, Ida est rapatriée en convoi sanitaire jusqu’à Paris. Plus tard, elle retourne à Lyon, ville de son enfance, pour tenter de retrouver des membres de la communauté juive qu’elle avait connus. Parmi eux, un homme, son futur mari. 

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Une volonté et une détermination « qui lui ont certainement valu de revenir des camps »

C’est le commencement du reste de sa vie. En 1947, elle donne naissance à une petite fille, qui ne survit malheureusement pas. Puis, en 1948, Patrick pointe le bout de son nez. Vient ensuite Maxime, en 1950. « Elle s’est reconstruit un foyer, une vie. Avec mon père, elle a travaillé très dur. Ils avaient un commerce de vêtements à Oullins. » 

Après les épisodes traumatiques de son incarcération et de sa déportation, Ida trouve un réconfort dans la méditation et le yoga. Mais plus jamais dans la religion. Pour elle, « Dieu avait détourné le regard ». « Elle gardait cette séquelle. Par contre, elle nous a élevés dans les valeurs du sionisme », témoigne Patrick. 

Son fils garde le souvenir d’une battante à la personnalité complexe. Ida pouvait autant être une amie incroyable et généreuse qu’une mère exigeante et sévère.

Du fait qu'elle a vécu des moments très durs, elle était dure avec elle-même et avec les autres. Ce n'était pas une sentimentale. Mais je pense que c'était aussi son caractère.

Patrick Natan, fils d'Ida

Caractère qui, pour Patrick, a fait sa force lors de sa déportation. « Ma mère avait une volonté de fer. Elle était déterminée. Ce qui lui a certainement valu de revenir des camps de la mort. »

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Hantée par ses fantômes du passé jusqu’aux derniers instants

Ses derniers jours de vie, Ida les a passés entourée de ses proches, à son domicile de la Croix-Rousse, à Lyon. À moitié consciente, dans un demi-sommeil confus mélangeant la réalité du présent avec celle du passé, la centenaire n’a pu chasser ses vieux démons.

« Elle parlait d’un enfant, présent à côté d’elle. Sauf qu’il n’y avait personne. Elle délirait. Peut-être était-ce l’enfant qu’elle avait été obligée d’abandonner à Auschwitz… », interprète son fils.

C’est dans son sommeil, dans la nuit du lundi 27 au mardi 28 juin 2022 à 1h du matin, qu’elle a rendu son dernier souffle à l’âge de 101 ans. 

Elle était la dernière survivante du convoi du 11 août 1944. À Lyon, il ne reste plus qu’un seul rescapé d’Auschwitz. Il s’agit de Claude Bloch. 

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