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Louise El Yafi : "Le Code pénal sanctionne les violences sexuelles, mais aussi le silence complice"
"Moins de dénonciation politique, plus de dénonciation judiciaire. Notre droit le prévoit. Autant en profiter."
Hannah Assouline.

Louise El Yafi : "Le Code pénal sanctionne les violences sexuelles, mais aussi le silence complice"

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Au regard des récentes affaires de violences et d'agressions sexuelles en politique, la juriste Louise El Yafi rappelle ce que dit le droit concernant la non-dénonciation de ces actes. Et déplore que, sur ce genre d'affaires, la justice tende à se faire dans des commissions internes partisanes ou des associations militantes.

Quelle était l'origine du mouvement #MeToo, sinon la proclamation qu’au-delà de la tragédie de l’acte de violence sexuelle, il y a toujours le terrible silence qui l’entoure ? Que le viol, l’agression ou le harcèlement sexuels brisent l'intimité d'un être par deux fois : quand ces actes de violences s'abattent sur la victime, et lorsque le mutisme de la profanation du corps et de l’esprit les alourdit.

Pourtant, l’essence du mouvement #MeToo a été dénaturé au profit d’une idéologie qui méprend la justice. Et certains de ses partisans semblent avoir oublié que le crime est souvent autant le fait de celui qui le commet que de celui qui le tait. Loin de moi l’indécence de mettre au même niveau l’agresseur et celui qui ne le dénonce pas, mais il demeure que l’acte funeste du premier est souvent grandement facilité par la discrétion du second. C'est même exactement cela, ce que certains appellent, parfois à raison, parfois à grand renfort de généralités malheureuses, la « culture du viol ».

« Si l’on peut reprocher un mutisme farouchement sélectif en matière de violences sexuelles à des parlementaires de gauche, il reste que l’article 40 – la majorité des juristes le confirmeront – ne s’applique a priori pas à eux. »

Alors « ceux qui savaient », comme il est usage de les qualifier dans les différentes affaires, auraient-ils dû parler ? Oui. Et notre droit, que certains accusent d'être pensé contre les droits des femmes, a même érigé ce silence en infraction pénale.

Nombreux furent ceux, notamment au moment de la polémique sur les accusations d'agressions sexuelles contre Taha Bouhafs, à avoir invoqué le fameux article 40 du Code de procédure pénale, sur la responsabilité des personnes informées de violences sexuelles. Que dit-il ? Que « tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République. » Jean-Luc Mélenchon n'a d'ailleurs pas manqué de convoquer cette disposition à plusieurs reprises, notamment après la tribune polémique d’ex-militaires dans Valeurs actuelles. Disposition qu'il invoque moins volontiers lorsqu’il s’agit de cas internes à son parti.

Pourtant, si l’on peut reprocher un mutisme farouchement sélectif en matière de violences sexuelles à des parlementaires de gauche, il reste que l’article 40 – la majorité des juristes le confirmeront – ne s’applique a priori pas à eux. Car un député n’est ni un officier public ni un fonctionnaire. La violation de cette disposition n’est, en outre, assortie d’aucune sanction.

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Néanmoins, le Code pénal sanctionne non seulement tout fait de violence sexuelle, mais également le silence complice qui pourrait l’accompagner. Et cette disposition s'applique à tous les citoyens.

Ainsi, le droit pénal prévoit non seulement l’infraction de non-dénonciation de crime caractérisée par le fait « pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives » (article 434-1) mais sanctionne aussi le fait, « pour quiconque ayant connaissance d'agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur (…) de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n'ont pas cessé » (article 434-3).

« Mettre des "féministes sur le coup", comme le dit Sandrine Rousseau, est-ce bien là une forme de justice ? »

Le premier article ne concerne que les crimes, c’est-à-dire le viol en matière de violences sexuelles, et le second uniquement des faits de violence sexuelle sur mineur. Mais ces deux infractions, objet de rumeurs pour le cas d’Éric Coquerel et de plaintes sur celle de Damien Abad, présentent des traits communs. D’abord, ces deux infractions ne sont pas prises à la légère par la justice puisqu’une personne un peu trop discrète en la matière risque la prison ferme.

Ensuite, rappelons, en ces temps où la tendance est à la justice parallèle, la dénonciation doit être faite aux « autorités judiciaires ou administratives », ce qui exclut de facto le recours à de quelconques commissions internes partisanes et autres associations militantes. On songe notamment à Sandrine Rousseau qui a expliqué ce vendredi, n'avoir trouvé « aucun témoin » : « J'ai cherché, j'ai passé des coups de fil, j'ai mis plusieurs féministes sur le coup ». Mettre des « féministes sur le coup », est-ce bien là une forme de justice ? On pense également à Caroline de Haas qui a enjoint les partis politiques à faire un communiqué dont elle propose elle-même un modèle. Des encouragements à porter plainte n'auraient-ils pas été plus efficaces qu'une campagne marketing ?

Par ailleurs, la jurisprudence est très claire sur le sujet, l’obligation de dénonciation ne porte que sur les faits en question. Ainsi, aucun besoin de rendre public l’identité de la victime ou de l’auteur présumé des faits. C’est aux autorités judiciaires qu’il appartiendra de diligenter l’enquête propre à ce type d’identification. Notre droit permet donc tout à la fois de dénoncer tout en protégeant l’identité de la victime et en garantissant la présomption d’innocence de l’accusé. Tout l’inverse de #Balancetonporc, donc.

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Car là est probablement non pas le défaut de #MeToo lui-même mais du tribunal médiatique qui l’accompagne bruyamment. La dénonciation se borne désormais à un simple acte de militantisme politique visant à défaire des élus quand son rôle premier devrait être d’éviter de nouvelles agressions. Sauf qu’à force de ne faire que de la politique, beaucoup de militants féministes oublient que le rôle de la justice est de protéger la société tout entière. Autrement dit, nous devons souhaiter moins de dénonciation politique, plus de dénonciation judiciaire. Notre droit le prévoit. Autant en profiter.

Se dire militants féministes ou faire de l’égalité hommes-femmes la grande cause du quinquennat tout en ne dénonçant pas ce qu’il se passe dans le bureau voisin du camarade sauf si cela a un intérêt politique était donc l'effet pervers attendu d'une politisation des dénonciations des violences sexuelles. L’exemple le plus connu de non-dénonciation est probablement l’affaire Barbarin dans laquelle le cardinal archevêque éponyme a été mis en cause pour ne pas avoir signalé à la justice les agissements pédocriminels d’un prêtre, le père Preynat.

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Rappelons d’ailleurs qu’à l’époque de la condamnation de Barbarin, Clémentine Autain tweetait : « C’est une décision historique car elle porte sur une institution qui a protégé des agresseurs. » Que les néoféministes si promptes à expliquer aux victimes que « porter plainte ne sert à rien » soient prévenues. Dans la même affaire, le juge a considéré que la non-dénonciation ne pouvait être retenue puisque le prêtre en question avait encouragé la victime à porter plainte. Autrement dit, dissuader quelqu’un de porter plainte équivaut à une non-dénonciation. À bon entendeur.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne