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Violences gynécologiques et obstétricales : «Certaines pratiques sont vécues comme un viol par la patiente»

Violences gynécologiques et obstétricales : «Certaines pratiques sont vécues comme un viol par la patiente»
Violences gynécologiques et obstétricales : «Certaines pratiques sont vécues comme un viol par la patiente» © Getty Images
Interview Vanessa Boy-Landry , Mis à jour le

Les plaintes visant la secrétaire d'Etat chargée du Développement, dans le cadre de ses fonctions de gynécologue, ont ravivé le débat sur les violences gynécologues et obstétricales. Interview de Sonia Bisch, porte-parole du collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques (StopVOG). 

Dans un rapport* publié en 2018, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes appelait une prise de conscience des pouvoirs publics et une politique ambitieuse pour combattre les maltraitances, propos sexistes, et violences subies par les femmes dans le cadre de leur suivi gynécologique et obstétrical. Un phénomène dont l’ampleur était invisibilisée avant qu’il n’émerge sur les réseaux sociaux, fin 2014, avec le hashtag #PayeTonUtérus (7000 témoignages en moins de 24 heures). Depuis que la secrétaire d’Etat et gynécologue (spécialiste de l'endométriose), Chrysoula Zacharopoulou, est visée par trois plaintes (dont deux pour viol), le débat s’est enflammé autour du terme « viol ». 

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Interview de Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole du collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques (StopVOG), à l’origine de la révélation des plaintes pour viol contre le Pr Emile Daraï, gynécologue à l’hôpital Tenon, en septembre dernier. 

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Paris Match. Depuis 2017, votre collectif soutient les femmes victimes de mauvais traitements dans le cadre de leur suivi gynécologique et obstétrical. Parmi les témoignages que vous recueillez, quels types de méfaits vous sont remontés ?
Sonia Bisch. Nous recevons des témoignages de victimes et de témoins de violences gynécologiques et obstétricales. Beaucoup de mauvaises pratiques médicales nous sont rapportées, tels que l’expression abdominale (le fait d’exercer une pression sur le ventre de la femme en train d’accoucher), pourtant officiellement interdite depuis 2007, le recours systématique à l’épisiotomie, le frottis de dépistage (col utérin) réalisé sur des jeunes de moins de 25 ans... Les femmes témoignent du mépris de leur douleur (par exemple, une césarienne réalisée malgré une anesthésie défaillante), de jugements à leur encontre, de paternalisme, de discrimination, et du non-respect de leur consentement. C’est très grave, surtout lorsque l’acte médical implique une pénétration (touchers vaginaux et rectaux) : c’est vécu comme un viol par la patiente. 

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Quand il y a pénétration sans consentement, que ce soit ou non dans le cabinet d’un gynécologue, cela entraîne un traumatisme de viol

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Dans les accusations qui visent la secrétaire de l’Etat, l’incrimination de « viol » s’agissant d’actes médicaux, sans intention sexuelle, a suscité notamment l’inquiétude du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), qui se dit par ailleurs très attentif aux plaintes exprimées… 
Le mot « viol » ne qualifie pas l’acte médical, mais sa pratique effectuée de façon brutale et sans consentement. Quand on pénètre le vagin d’une patiente sans son consentement, et qu’on la traite de « chochotte » quand elle exprime sa douleur, son corps est violé. Le viol, c’est physique : c’est moins l’intention du médecin que l’acte lui-même. Ce n’est pas parce qu’une patiente passe la porte d’un cabinet de gynécologie qu’elle consent implicitement à tout. 

Comment entendez-vous la crainte exprimée par certaines féministes, de voir le crime de viol décrédibilisé? 
Entre victimes de viol, que celui-ci ait été sexuel ou gynécologique, on se comprend très bien. Quand il y a pénétration sans consentement, que ce soit ou non dans le cabinet d’un gynécologue, cela entraîne un traumatisme de viol à plus ou moins long terme (sidération, dissociation, amnésie traumatique…). L’obligation de recueillir le consentement du patient (loi Kouchner) date de vingt ans et on en est à débattre sur le fait de savoir si l’on peut parler de « viol gynécologique », alors que les traumatismes sont réels pour les patientes. Ce sont les pratiques qui doivent changer. Qu’est-ce que cela coûte aux médecins de recueillir et de respecter le consentement, avant et pendant le geste médical ? 

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Certains médecins font trop de césariennes ou d’épisiotomies parce que les pratiques ne sont pas contrôlées

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En 2018, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes a publié 26 recommandations afin de mesurer l’ampleur des mauvaises pratiques, les prévenir, faciliter les procédures de signalements, et condamner les actes sanctionnés par la loi. Quel état des lieux faites-vous aujourd’hui ? 
La plupart des recommandations n’ont pas été mises en œuvre et nous attendons beaucoup de ce nouveau quinquennat. La priorité est d’évaluer le suivi gynécologique et obstétrical des patientes. Certains médecins font trop de césariennes ou d’épisiotomies parce que les pratiques ne sont pas contrôlées. L’absence d’évaluation du niveau de satisfaction des femmes, quant à leur suivi, permet aussi l’impunité totale des médecins. Si on ne mesure pas l’ampleur des mauvaises pratiques, on peut dire, comme c’était le cas jusque-là, qu’il s’agit de cas isolés, ou de femmes problématiques… Aujourd’hui, la prise de conscience progresse sur le sujet, mais on nous dit : « attention, demain il n’y aura plus de gynécos et vous ne serez plus soignées ! » On inverse la culpabilité. Comment se fait-il qu’il y ait encore autant de résistance, quand on dénonce des violences ? Comment se fait-il que le Pr Daraï, avec 26 plaintes au pénal, ait été invité au congrès organisé par le CNGOF, en mai dernier ? Nous ne comprenons pas cette défiance des hautes instances médicales à l’égard des victimes. 

Lire aussi. Mounia El Kotni : «Les féministes doivent s'emparer de la question du cancer du sein»

Qu’attendez-vous aujourd’hui des pouvoirs publics?
Nous demandons le lancement d’une campagne d’information grand public afin que les patientes connaissent leurs droits et les bonnes pratiques en gynécologie et obstétrique. Au collège, les heures consacrées à l’éducation à la sexualité pourraient aussi aborder ces questions car nous le constatons, les jeunes femmes sont concernées par les violences médicales. Nous souhaitons plébisciter la participation des patientes expertes, dans les écoles de médecine et de sages-femmes, afin qu’elles transmettent leur vécu et expliquent les conséquences de ces violences, y compris sur le couple et la famille. Au Canada, cela existe depuis trente ans car on a compris que le partenariat entre médecins et patients était très important. Nous souhaitons pouvoir échanger avec les médecins d’améliorer les pratiques. Nous demandons aussi la parité au sein du Conseil de l’ordre et la facilitation des procédures de signalement. En France, nous avons une médecine très réputée, très technique, mais qui a tendance à rester sur ses acquis, dans un entre-soi, un peu en dehors des besoins de la société actuelle. Mais même la technicité est vaine, si on n’écoute pas les patientes. Si elles ne se sentent pas entendues, on ne pourra pas les soigner d’une endométriose. 

 StopVOG sur instagram

* Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical, des remarques aux violences, la nécessité de reconnaître, prévenir et condamner le sexisme. (HCE, juin 2018)

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