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"Les cinq prières par jour rythmaient le quotidien" - Didier François et Edouard Elias

Notre journaliste Régis Le Sommier s'entretient avec les deux otages libérés, Didier François et Edouard Elias.
Notre journaliste Régis Le Sommier s'entretient avec les deux otages libérés, Didier François et Edouard Elias. © Patrick Bruchet
Entretien Régis Le Sommier , Mis à jour le

Deux des otages, Didier François et Edouard Elias, racontent leur dix mois de calvaire

Vous n’avez jamais vu le visage de vos ravisseurs ?
Didier François. Jamais. Ils nous avaient prévenus : “Si vous voyez nos visages, vous ne sortirez jamais.”

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Dix mois passés dans le noir : comment discerne-t-on la nuit du jour ?
D.F. En fait, on n’est pas dans le noir. Ils t’exposent à la lumière en permanence, ce qui peut être très fatigant. Au bout d’un moment, tu as les yeux éclatés. Tu perds la notion du temps. Mais, dans un pays en guerre, il y a aussi pas mal de coupures d’électricité. Nous étions donc soit dans le noir, soit dans l’hyper-lumière. C’était très compliqué. La seule chose qui te permette de te repérer, ce sont les cinq prières par jour. Elles rythment le quotidien. En plus, ils te réveillent sans arrêt.

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(…)

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On a dit que certains gardes s’exprimaient en français ?
D.F. Je ne parlerai pas de cela. Ce que je peux dire, c’est qu’un d’entre eux nous chantait des chansons d’Aznavour. Il y a des moments, comme ça, qui sont étonnants. Par exemple, un jour, on entend taper à la porte. Tout le monde se met à genoux, mains sur le mur. Les gardes ouvrent. D’habitude, c’était moi qui parlais avec eux. J’avais été proclamé “émir” du groupe. J’allais me retourner pour engager la conversation. On m’ordonne : “Didier, ne te retourne pas !” J’obéis. Ils font entrer une sorte de plateau, comme s’ils allaient nous distribuer de la nourriture. C’était un moment important pour nous, la nourriture, car elle manquait souvent. “Nous allons commencer la distribution, dit un des hommes. A qui donne-t-on cette part ?” J’avais quand même regardé par-dessus mon épaule et j’avais cru voir du blanc. Je me suis imaginé qu’il s’agissait de fromage. On n’en avait pas eu depuis très longtemps. Je pensais que tout le monde allait être content. Je lui dis : “Tu donnes à Machin, tu donnes à Machin.” Il me dit : “Et toi, et toi ? – Et moi quoi ? – Est-ce que tu en veux un gros morceau ? – Oui, si tu veux, je prends.” Et là, pan ! Je me prends une boule de neige en pleine tête. [Rires.]

(…)

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Vous souvenez-vous du moment où vous avez été kidnappés ?
D.F. Oui, bien sûr. Tu sais tout de suite quand tu bascules. On sortait de Marea en direction d’Alep. Au niveau d’une station-service abandonnée, il y avait une camionnette garée. A bord, cinq types cagoulés, en armes, qui se sont avancés pour nous couper la route. Dès qu’on les a vus, on a compris. J’ai tenté d’attraper mon téléphone. Mais ils étaient déjà sur nous. Une fois dans la camionnette, ils nous ont ligotés. Moi, ils m’avaient mis les menottes devant. J’ai donc réussi à attraper mon téléphone et j’ai essayé d’appeler, mais un des gardes m’a vu. Ils m’ont tout enlevé, la montre, les lunettes, tout.
E.E. Et ils t’ont bandé les yeux.
D.F. Là, on savait que le cirque commençait. Nous avons roulé jusqu’à un premier lieu de détention, une sorte de centre de tri où il faut se plier à un certain nombre de règles. Le comité d’accueil te le fait comprendre…

François Hollande aux côtés d'Edouard Elias et Didier François.
François Hollande aux côtés d'Edouard Elias et Didier François. © Alvaro Canovas

Ils vous ont passés à tabac.
D.F. Pendant quatre jours et quatre nuits, nous sommes restés sans boire, sans aller aux toilettes…
E.E. Et sans manger.
D.F. Avec, effectivement, des coups. Nous étions alors séparés, dans deux pièces différentes, attachés le dos à un radiateur avec deux paires de menottes. La détention se prolonge. Une routine s’installe forcément entre vous.

"Mon chat, c’est Grozny. Ça les a fait rire. Ils m’ont demandé pourquoi"

Que vous demandait-on lors des preuves de vie ?
D.F. Cela pouvait être une vidéo, une question secrète, une photo avec une date.

C’était plutôt bon pour le moral, non ?
D.F. C’était extraordinaire. Pour la première preuve de vie, on m’a demandé le nom de mon chat. Le bonheur ! Tu n’es jamais certain qu’une vidéo est bien envoyée. Mais quand arrive une question où on te demande le nom de ton chat, c’est forcément quelqu’un en France qui l’a posée. C’est ta seule certitude que le contact a été établi.
E.E. Moi, c’était le surnom de ma grand-mère, Nonna. Ça m’a fait du bien.
D.F. Mon chat, c’est Grozny. Ça les a fait rire. Ils m’ont demandé pourquoi.
 Je leur ai expliqué que mon chat avait 19 ans et que je l’avais récupéré en décembre 1994, lorsque je couvrais la guerre en Tchétchénie.

(...)

Comment avez-vous trouvé la France en rentrant ?
D.F. C’est encore trop tôt pour mesurer. Ce qui m’a fait rire, c’est quand Manuel Valls m’a appelé. On était ensemble à la fac et voilà que je descends de l’avion et il est Premier ministre ! Notre profession a cela de formidable : un jour tu parles à un réfugié, le lendemain au Premier ministre. Elle a juste quelques inconvénients, comme celui de se retrouver parfois un peu trop longtemps attaché à un radiateur… [Rires.]

Retrouvez l'intégralité de cette interview dans Paris Match numéro 3388 en kiosque le jeudi 24 avril et sur iPad.

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