La société française Eutelsat doit cesser de collaborer avec la machine de propagande de guerre russe

En charge de la transmission par satellite de chaînes de télévision et stations de radio, la société française Eutelsat est un intermédiaire de l’appareil de propagande de guerre russe, selon les informations recueillies par RSF, avec la participation du Comité Diderot. Et ce alors qu’elle a comme principal actionnaire l’Etat français. La France ne peut laisser perdurer une telle situation.

Un intermédiaire de la propagande russe, dûment rétribué pour ses services. Tel est, en résumé, le rôle  de la société française Eutelsat S.A.. Une société qui gère la transmission par satellite de chaînes de télévision et stations de radio, dont l’Etat français est le principal actionnaire, à hauteur de 20%. 

 

Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières (RSF) et le Comité Diderot (un collectif de promotion de la libre circulation de l’information, fondé par deux experts des médias en mars 2022), Eutelsat S.A. distribue vers la Russie, par l’intermédiaire de deux satellites, les bouquets russes NTV+ et Trikolor. Ces deux fournisseurs, qui constituent la principale source d'information pour 25 à 30 % de la population russe, diffusent des chaînes TV telles que Rossiya 1, Perviy 1 ou NTV. Soit les fers de lance de la machine russe de propagande de guerre. 

 

Ces médias diffusent constamment des contenus de désinformation relevant de l’apologie de crime de guerre, de l’incitation à la violence ou de la provocation à la haine, légitimant l’agression de l’Ukraine et les crimes de l’armée russe. A contrario, NTV+ et Trikolor ont récemment exclu de leur offre huit chaînes internationales d'information (BBC World, CNN, Deutsche Welle, Euronews (en russe), France 24, NHK World, RAINews 24 et TV5 Monde).

 

Cette contribution à la propagande russe s’avère particulièrement lucrative pour Eutelsat, dont la Russie est le deuxième client. L'activité russe de la société représentait ainsi 6,3% de son chiffre d'affaires en 2020-2021, soit 76 millions d'euros.

 

Eutelsat ne peut pas légitimement apporter une contribution à la propagande du Kremlin par la fourniture de moyens de diffusion, et tirer des dividendes de la désinformation et de la censure, déclare Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). Les autorités françaises doivent mettre fin à cette situation. Elles ont des moyens d’agir et doivent les mettre en œuvre sans attendre.

Eutelsat est une entreprise de droit français, avec pour principal actionnaire l’Etat français, qui en possède 20%, via la banque publique française d'investissement (BPI). Par l’entremise de cette société, la France collabore donc à la machine russe de propagande de guerre, à la désinformation du public russe et à la censure en Russie de médias d’information internationaux. 

 

Au nom du principe de neutralité vis à vis des contenus donc des clients, Eutelsat ne s'érige pas en juge de la qualité ni de la légalité des programmes. Il incombe aux régulateurs nationaux de prononcer des injonctions le cas échéant. Et s'il y a des sanctions, nous les appliquons, explique David Bertolotti, directeur des affaires institutionnelles et internationales d' Eutelsat SA, interrogé par RSF. Si nous nous départissons de cette neutralité totale par rapport aux contenus, nous allons devenir demain encore plus l'objet de pressions de toutes parts sans argument pour résister, au risque de la liberté et du pluralisme de l'information.

 

"Le Comité Denis Diderot se réjouit de cette prise de position, déclare de son côté André Lange, coordinateur du Comité. La responsabilité et l'honneur de la France, actionnaire de réference d"Eutelsat, sont engagés dans cette collaboration injustifiable avec l'appareil russe de propagande de guerre et de génocide."

 

Les activités d’Eutelsat S.A. sont définies par la Convention EUTELSAT IGO amendée et entrée en vigueur en 2002, qui réunit 49 Etats - parmi lesquels la France et la Russie - et dont la France est dépositaire. Basée en France, l'organisation internationale Eutelsat supervise ainsi les activités d’Eutelsat S.A., et la société doit respecter les principes définis par la Convention Eutelsat. Parmi ces principes figurent, par renvoi à la Convention européenne sur la télévision transfrontière (CETT), le respect de la liberté d’expression et d'information, le respect de la dignité de la personne humaine, l’interdiction des incitations à la violence ou la haine raciale dans les médias audiovisuels, le pluralisme des médias et la présentation loyale des faits.



Les chaînes des bouquets diffusés en Russie par Eutelsat ne répondent pas à ces obligations. RSF appelle donc les autorités françaises à convoquer une assemblée des Etats parties à la convention Eutelsat. Et ce, afin de leur proposer l’exclusion de la Russie pour violations de l’obligation de respecter les principes de la convention, la suspension des relations commerciales avec les émetteurs russes, et l’attribution des canaux ainsi libérés à des médias indépendants. Cesser de diffuser ces bouquets russes permettrait en effet de libérer de la fréquence sur les satellites Eutelsat, qui pourrait être attribuée aux médias internationaux qui ont été exclus, ou à des médias russes indépendants comme la télévision russe en exil TV Rain, anciennement Dojd TV.

“Il ne s’agit pas ici d’appeler les autorités politiques à  interdire des médias de propagande russes, ce que seulement des autorités administratives indépendantes pourraient légitimement faire, explique Christophe Deloire, mais d’obtenir d’Eutelsat le respect d’une convention internationale qui impose le respect du droit à la liberté d’expression et d’information, de contribuer au droit à une information fiable, pluraliste et indépendante, et de garantir la cohérence de la position française. Eutelsat ferait mieux de diffuser des chaînes russes indépendantes.

La France et la Russie sont respectivement à la 26e et 155e places du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF pour 2022.

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