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Monoculture, sécheresse et statut juridique particulier : pourquoi le feu dévore la Gironde
Des centaines de pompiers luttent contre les flammes en Gironde, alors que les incendies ont déjà ravagé plus de 10 000 hectares en moins d'une semaine.
PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

Monoculture, sécheresse et statut juridique particulier : pourquoi le feu dévore la Gironde

Apocalypse

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Alors que les températures pourraient atteindre 42 °C dans les Landes ce 18 juillet, les deux incendies qui ravagent la Teste-de-Buch et Landiras continuent de se propager. Si la sécheresse a attisé ces deux brasiers, des spécialistes pointent plusieurs facteurs aggravants qui ont pu faciliter l’avancée des flammes. Certains auraient pu être traités en amont.

14 000 hectares partis en fumée. Les deux incendies qui ravagent la Gironde en ce mois de juillet caniculaire font tomber de tristes records. En une semaine, ils ont brûlé une surface plus grande que le total des feux français en 2021. Et les flammes ne devraient pas s’arrêter là. À La Teste-de-Buch, un brasier haut de plusieurs dizaines de mètres se rapproche des habitations. Les flammes continuent de gagner du terrain malgré la mobilisation de 1 700 pompiers et plusieurs bombardiers d’eau.

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Il faut dire que les 42 °C attendus dans les Landes ce 18 juillet, symptôme d’une vague de chaleur d’intensité inédite, sont plus que favorables à l’expansion des flammes. Mais les deux feux situés en bordure des Landes de Gascogne, massif forestier particulièrement fragile, brûlent des forêts bien différentes. Alors que la monoculture de pins aggrave la situation à Landiras, l’incendie de la Teste-de-Buch sévit sur une forêt au statut juridique bien particulier qui a pu nuire à son entretien et la fragiliser face au risque incendie. Explications.

La sécheresse, cause commune aux deux incendies

C’est une certitude : les deux incendies qui détruisent les forêts de la Teste-de-Buch et de Landiras n’auraient certainement pas eu la même ampleur sans le réchauffement climatique. Depuis plusieurs semaines, les températures sont élevées en Gironde. Le 18 juin, alors qu’une première vague de chaleur s’abattait sur la France, le mercure est monté à 42 °C à la Teste-de-Buch et à 41 °C à Landiras. Autre conséquence du réchauffement climatique : les pluies ont été rares. « Depuis le mois de janvier, il y a 45 % de déficit en pluie à la Teste-de-Buch », avance Thierry Gauquelin, professeur émérite à Aix-Marseille Université et membre de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (IMBE).

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« Il y a une combinaison dans cette région à la fois de la canicule et de d’une sécheresse particulièrement importante », poursuit le scientifique. Des conditions météorologiques qui ont asséché les arbres. « Les feuilles ne contiennent que très peu d’eau », décrit encore le spécialiste. Les arbres et les sols secs sont alors un terreau favorable pour la propagation des flammes.

À Landiras, la fragilité des pins à perte de vue

Mais l'incendie proche de Landiras comporte probablement un autre facteur aggravant. « Il se propage dans le paysage classique des Landes de Gascogne », explique Thierry Gauquelin. Or celles-ci sont majoritairement composées de pins maritimes. Ces derniers représentent 85 % des 1,2 million d’hectares du massif des Landes de Gascogne. Or de l’avis de nombre d’écologues, les monocultures, c’est-à-dire les plantations d’arbres d’une seule espèce, favorisent l’expansion du brasier. Lorsque des arbres différents peuplent la forêt, certains font office de pare-feu. Plus encore, cela permet de conserver l’humidité des sols. Autre talon d’Achille des Landes face aux incendies : la continuité des plantations, les arbres s'enchaînant sur des kilomètres offrent un chemin continu aux flammes. « Dans le Sud-Est, par exemple, on a souvent des forêts entrecoupées de champs, de vignes, de plantations d’olivier… Cela peut arrêter les flammes », avance le spécialiste.

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« On ne peut pas affirmer que le feu aurait été moins intense avec une forêt mélangée : c’est probablement un facteur aggravant, mais nous n’en avons pas la preuve », tempère Thierry Gauquelin. En effet, si des travaux menés aux États-Unis vont dans ce sens, ils manquent en France. « On sait qu’il y a toujours de multiples causes à ce genre de catastrophes, mais quelle que soit la responsabilité des monocultures de pins, on sait que ce genre de plantations doit être revu pour rendre nos forêts plus résilientes face au réchauffement climatique », explique Thierry Gauquelin. Les monocultures sont par exemple bien plus fragiles face aux dégâts provoqués par des insectes ou champignons ravageurs, qui affaiblissent eux aussi les arbres, et comportent une biodiversité beaucoup moins riche que les forêts mélangées.

À la Teste-de-Buch, un flou juridique qui attise les tensions et les flammes

À la Teste, pas de monoculture. Cette forêt historique dont l’existence était déjà attestée à l’époque romaine abrite encore des arbres pluricentenaires. Des chênes y côtoient des pins, longtemps exploités pour leur résine. Mais cet espace, encore régi par des actes de propriété du Moyen-Âge, a hérité d’un fonctionnement juridique unique. 232 propriétaires privés se partagent des parcelles… mais ne peuvent pas exploiter le bois. Le droit de le prélever est réservé aux « usagers », autrement dit les habitants des communes voisines.

Et cela rend complexe la prévention du risque incendie dans le massif. Les tensions entre usagers et propriétaires sont récurrentes, rendant plus difficile la prise de décisions sur l’entretien de la forêt. En mai 2022, un rapport de mission interministérielle alertait précisément quant à la prévention du risque incendie : « La Forêt usagère constituant un massif forestier périurbain, à proximité des villes d’Arcachon et de la Teste-de-Buch, massif très fréquenté dans certaines zones par les touristes en été du fait de la proximité du grand site de la dune du Pilat, la problématique de la prévention des incendies de forêt ne peut pas être traitée à la légère. » Le document pointait notamment que des travaux pour élargir les pistes d’accès pour les véhicules de pompiers n’avaient pu avoir lieu, face à l’opposition devant la justice de l’Association de défense des droits en forêt usagère (Addufu) qui estimait que les coupes prévues ne respectaient pas les règles en vigueur. L’association appelait d’ailleurs à manifester le 13 juillet devant la sous-préfecture d’Arcachon.

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« Notre rapport pointe qu’il faut des travaux mais il y a des résistances, estime Bruno Cinotti ingénieur forestier et coauteur du rapport. Une association de défense des usagers s’est opposée à de nombreuses actions, parfois à juste titre, comme limiter les coupes à des fins commerciales, mais aussi aux coupes pour les pistes » pour la prévention des incendies. L’ingénieur affirme également que les proportions de bois récoltées étant insuffisantes, « le volume de bois sur pied ne cessait d’augmenter » dans la forêt. Conséquences : une masse importante de combustible et un accès difficile pour les pompiers. Une aubaine pour le feu qui a déjà ravagé 80 % de la forêt usagère de la Teste-de-Buch.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne