La Russie se retirera du programme de la Station spatiale internationale (ISS) après 2024, a annoncé mardi 26 juillet le nouveau chef de l’agence spatiale fédérale russe Roscosmos. Cette déclaration tonitruante mais pas complètement surprenante “mettrait fin à deux décennies de coopération spatiale post-guerre froide”, alors que Moscou et l’Occident s’affrontent indirectement en Ukraine, écrit le New York Times.

Les dirigeants de Roscosmos “menaçaient de se retirer de l’ISS depuis des mois”, rappelle le site d’information spécialisé Space.com, affirmant que les sanctions occidentales “détruiraient” la coopération à bord du laboratoire orbital. Mais bien que ces menaces aient été “nombreuses et incendiaires”, aucune ne fut aussi “définitive” que celle-ci : “Nous allons sans doute remplir toutes nos obligations à l’égard de nos partenaires, mais la décision de quitter la station après 2024 a été prise”, a déclaré au Kremlin l’actuel chef de Roscosmos, Iouri Borissov.

L’administrateur de la NASA, Bill Nelson, a répondu que l’agence américaine, “qui n’a reçu aucune notification d’aucun partenaire” était “engagée à poursuivre les opérations de la Station en toute sécurité jusqu’en 2030, et se coordonn[ait] avec [ses] partenaires”. L’astronaute à la retraite Scott Kelly, qui connaît bien l’ISS pour y avoir fait trois séjours, semblait croire à un coup de bluff. Il a ainsi répondu sur Twitter à Space.com qu’“à son humble avis, cette annonce est une fanfaronnade vague et sans résolution” et que la Russie essaierait de rester “aussi longtemps que possible” car cela “donne à Poutine la crédibilité dont il a besoin au niveau national et international”.

“Dépendants les uns des autres”

Quoique sobre, la position de Iouri Borissov reste dans la lignée de celles de son prédécesseur, le bouillonnant Dmitri Rogozine, dont le Washington Post relate une récente algarade avec Elon Musk sur Twitter, lors de laquelle il avait menacé de laisser s’écraser la Station spatiale : “Il serait possible qu’une structure de 500 tonnes tombe sur l’Inde ou la Chine. […] L’ISS ne survole pas la Russie, donc tous les risques sont pour vous. Êtes-vous prêt ? ”. Une déclaration à l’emporte-pièce qui, entre autres, a sans doute valu à l’ancien patron de Roscosmos d’être remercié le 15 juillet, mais qui confirme l’état d’esprit des Russes quant à leur rôle dans la collaboration internationale.

La station est conçue de sorte que ses partenaires soient “dépendants les uns des autres”, explique Jonathan Amos, le journaliste scientifique de la BBC. Le module russe de l’ISS “assure la propulsion et empêche la plate-forme de tomber sur Terre”, tandis que le module américain “fournit l’énergie”. Or “si cette capacité propulsive est retirée, les États-Unis et ses partenaires – l’Europe, le Japon et le Canada – devront trouver d’autres moyens de propulser régulièrement la station plus haut dans le ciel”. Amos imagine que “les cargos robotisés américains pourraient le faire”, mais cela resterait un défi.

Interviewée par NBC News, Cathleen Lewis, conservatrice au département d’histoire spatiale du National Air and Space Museum de la Smithsonian Institution, se demande quant à elle si les Russes “n’enverront plus de cosmonautes vers la station spatiale, ou [s’ils vont] carrément détacher et désorbiter leurs composants ? ”. La façon dont Moscou va gérer son retrait aura en tout cas de lourdes “conséquences logistiques pour la NASA et ses partenaires”.

Manque de moyens russes

Au moment où il annonçait le retrait russe de l’ISS, Iouri Borissov ajoutait que son agence allait désormais travailler à l’élaboration de sa propre station orbitale. “Mais Roscosmos manque d’argent pour le faire depuis des années”, note le New York Times. “Après le retrait des navettes spatiales américaines en 2011, la NASA a dû acheter des sièges sur les fusées Soyouz, fournissant un flux constant d’argent aux Russes”, explique le quotidien new-yorkais. Or “ces revenus se sont taris après que SpaceX a commencé à assurer le transport des astronautes de la NASA il y a deux ans”. Et avec les sanctions économiques, la Russie a encore “perdu des sources de revenus supplémentaires”, ainsi que l’accès à des technologies.

La Russie pourrait alors chercher à coopérer avec le programme spatial chinois, qui a lancé dimanche un module de laboratoire à ajouter à sa station spatiale “Tiangong”. Mais “la perspective de coopérer avec la Chine est une fiction”, déclare au New York Times le Dr Pavel Luzin, un analyste militaire et spatial russe. “Les Chinois ont considéré la Russie comme un partenaire potentiel jusqu’en 2012 et ont arrêté depuis. Aujourd’hui, la Russie ne peut rien offrir à la Chine dans l’espace”, tranche-t-il.

Ce retrait pourrait en fait se révéler une “aubaine” pour les États-Unis, conclut le site Axios. Collaborer avec les Russes dans l’espace était de plus en plus “difficile à vendre” sur le plan politique, après l’invasion de l’Ukraine. Et ce qui se profile à l’horizon, une fois l’ISS mise à la retraite d’ici une décennie tout au plus, c’est à nouveau la Lune comme “point focal de la lutte géopolitique dans l’espace”. Pour ce nouveau programme “Artemis”, la NASA collabore déjà avec plusieurs partenaires. Mais pas la Russie.