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Le grand invité Afrique

Guerre au Tigré: «On a une vraie politique de nettoyage ethnique»

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Plusieurs chercheurs ont publié récemment une tribune dans le journal français Le Monde qui alerte sur une campagne délibérée qui vise à affamer la population du Tigré en Éthiopie. Ces chercheurs parlent précisément d'une « politique de nettoyage ethnique marquée par des atrocités qui se poursuit à bas bruit dans le Tigré ». Mehdi Labzae, sociologue au Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales du Caire, est l'un des signataires de cette tribune. Il explique pourquoi ils ont décidé de tirer la sonnette d'alarme.

Des combattants des forces rebelles du Tigré en Éthiopie, juin 2021.
Des combattants des forces rebelles du Tigré en Éthiopie, juin 2021. © AFP / YASUYOSHI CHIBA
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RFI : Vous êtes plusieurs chercheurs à tirer la sonnette d’alarme sur ce que vous appelez une politique de nettoyage ethnique qui se poursuit à bas bruit dans le Tigré. Est-ce que vous avez des preuves de ces accusations ?

Mehdi Labzae : On réagissait notamment à un reportage diffusé par Arte qui montrait de nombreuses preuves, témoignages à l’appui, de la situation dans le Tigré il y a quelques mois, mais dont on a des raisons de penser qu’elle perdure dans beaucoup de campagnes du Tigré. Et le documentaire montrait bien comment les plus pauvres au Tigré étaient en première ligne, victimes de la famine qui sévit actuellement. Les organisations internationales, notamment l’ONU, ont émis depuis des signaux un peu contradictoires, en faisant beaucoup de communications sur le fait que le pire de la famine était évité, mais lorsqu’on regarde le montant de l’aide humanitaire qui arrive effectivement dans les campagnes du Tigré, on a des raisons de penser que ce n’est peut-être pas aussi sûr que ce qu’ils prétendent, et le gouvernement éthiopien contrôle encore de manière très étroite l’acheminent de l’aide humanitaire vers le Tigré.

Est-ce que ces atrocités sont l’apanage d’un seul camp ?

Mehdi Labzae : Comme dans toute guerre, il y a eu des exactions dans tous les camps. Cependant, en ce qui concerne l’ouest du Tigré par exemple, et donc ça ça a été très bien documenté dans un rapport qui est sorti au mois d’avril par Human Rights Watch et Amnesty International, et là on a une véritable politique de nettoyage ethnique qui concerne 700 000 personnes qui ont été expulsées et massacrées dans cette région, et ça c’est quelque chose qui a été mis en place par l’appareil d’État éthiopien, donc l’appareil d’État de la région Amara et l’appareil d’État du gouvernement fédéral.

Et pourtant, le gouvernement éthiopien assure avoir levé son blocus dans la région du Tigré ?

Mehdi Labzae : Oui, depuis le début de l’été il y a davantage de convois qui sont arrivés effectivement au Tigré. Ce qui nous parvient, c’est que l’aide humanitaire est essentiellement disponible dans les villes du Tigré et peine à gagner les campagnes, notamment par l’absence en quantité suffisante d’essence. Si après l’aide ne peut pas être distribuée en campagne, le blocus reste, de facto, insurmontable.

Dans ces conditions, est-ce que les négociations, sous l’égide de l’Union africaine, qui s’annoncent ont une chance de réussir ?

Mehdi Labzae : Les négociations sous l’égide de l’Union africaine sont plutôt mal parties en ce sens que l’émissaire de l’Union africaine, Olusegun Obasanjo, voulait qu’elles aient lieu à Arushaen Tanzanie mais le gouvernement régional du Tigré a très clairement fait savoir qu’il n’accepterait des négociations qu’à condition qu’elles ne se tiennent pas en Tanzanie mais au Kenya. Donc des négociations, oui, reste à voir le rôle que va jouer l’Union africaine dans ces négociations. Les deux camps restent arcboutés sur des questions essentielles, notamment les questions des zones qui ont été conquises par la région Amara au détriment du Tigré pendant la guerre, sur lesquelles pas plus tard que la semaine dernière le porte-parole du gouvernement du Tigré a dit que la pré-condition était le retour au statu quo ante,donc à partir de là on ne voit pas trop sur quoi vont porter les négociations.

Qu’est-ce qui devrait être fait, selon vous, pour mettre fin à cette guerre ?

Mehdi Labzae : Je ne vais pas revendiquer le fait de savoir ce qu’il faut qu’il soit fait, ce qu’on peut dire en termes de politique internationale et de diplomatie c’est qu’on observe que les bailleurs recommencent à financer très largement le régime d’Addis-Abeba.On a fait des calculs sur la base des annonces par le gouvernement éthiopien des derniers plans d’aide qui ont été signés avec la Banque mondiale. Depuis le mois d’avril, c’est plus d’un milliard et demi de dollars qui soit ont été signés, soit qui sont dans les tuyaux. Nous, ce qu’on pense toujours, c’est que c’est beaucoup trop tôt, que c’est un soutien avec très peu de conditionnalités à un régime qui, si ce n’est qu’il affame toujours une partie de sa population, du moins l’a affamée pendant plus d’un an.

Est-ce qu’un camp peut gagner aujourd’hui contre l’autre ?

Je ne suis pas du tout expert en questions militaires, mais ce que l’année et demie écoulée au minimum nous enseigne, c’est qu’aucune force n’a réussi à prendre définitivement le dessus militairement et que ce sont des centaines de milliers de personnes qui sont mortes entre temps, donc il me semblerait que militairement, on ne voit pas trop de sortie de conflit.

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