« L’objectif de l’excision, c’est de s’approprier le corps de la femme »

Dans « À nos corps excisés », documentaire coécrit avec la réalisatrice Anne Richard, Halimata Fofana livre un témoignage personnel sur ce dont elle fut victime à l’âge de 5 ans. Aujourd’hui, à 38 ans, elle se bat contre les mutilations sexuelles et appelle à ce que la parole se libère et que les représentations évoluent. Entretien.

Vous avez écrit un livre, « Mariama, l’écorchée vive », en 2015. Aujourd’hui, vous racontez votre histoire dans ce documentaire. Pourquoi avoir décidé de témoigner publiquement ?

J’ai voulu faire ce documentaire parce que je n’étais pas satisfaite de ce que je voyais à la télévision, de la manière dont le sujet était traité. J’ai donc pris mon bâton de pèlerin, un synopsis et j’ai ­démarché les sociétés de production à Paris. Je savais qu’en étant moi-même concernée, je pouvais aller beaucoup plus loin que quelqu’un d’extérieur.

Vous trouviez le traitement de ce sujet superficiel ?

Tout ce qui était autour de l’excision n’était pas expliqué : ni l’aspect psychique qui découle de cet acte, ni les raisons pour lesquelles les mères font exciser leurs filles. La préparation du documentaire a été longue ! Je travaille dessus depuis 2018, et j’ai trouvé une productrice en janvier 2019. Mais c’est seulement en 2020 qu’Anne (Richard, la réalisatrice – NDLR) est arrivée dans le projet. Il fallait alors qu’un lien de confiance se crée. J’appréhendais la manière dont les femmes noires sont présentées dans les médias français, je ne voulais pas tomber dans ce piège. Donc, j’étais très méfiante.

Aviez-vous déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet avec votre mère et votre famille ?

J’en avais déjà parlé avec ma mère, nous sommes très proches. Nous avions discuté des conséquences, mais rendre ces discussions publiques leur donne une nouvelle ampleur. Ma mère ne passe jamais dans les médias, je l’ai trouvée très courageuse de prendre la parole de la sorte.

Une part de vous en veut-elle à vos parents de vous avoir fait subir cet acte ?

Non, je ne vis pas avec la haine en moi, ça consume de l’intérieur. Mes parents ont fait ce qu’ils ont pu avec ce qu’ils avaient. Certes, ils ont fait de grosses erreurs, mais c’est complexe. Il fut un temps où j’étais en colère, ensuite j’ai compris. Quand vous n’avez pas été à l’école, c’est très compliqué de remettre en cause une éducation et des croyances, et c’est le cas de mes parents.

Pour quelles raisons l’excision est-elle pratiquée ?

C’est une question de croyances, justement. Comme le dit bien ma cousine dans le documentaire, l’objectif est de s’approprier le corps de la femme, d’exercer un contrôle absolu, mais il y a aussi la question de la virginité. Le point de départ, c’est la peur que la femme tombe enceinte en dehors du mariage, alors qu’il n’y a aucun lien entre les deux, parce que l’excision n’empêche pas de tomber enceinte.

Est-ce un tabou pour vous et votre famille ?

J’ai déjà écrit un livre à ce sujet, j’en ai un deuxième qui sort le 24 août (1), où je parle du mariage forcé et de l’excision, j’en parle publiquement et régulièrement. J’échange aussi librement avec ma mère, mon frère, la parole circule. Petit à petit, la parole se libère, même si ce n’est pas encore totalement fluide. Je ne pense pas qu’il faille brusquer les gens pour qu’ils parlent à tout prix, c’est important que ça vienne d’eux.

Avez-vous voulu faire ce film pour justement amener vos proches à aborder le sujet plus en profondeur ?

Je l’ai fait en partant du principe que faire des films, ce n’est pas réservé qu’à une partie de la population. Je voulais voir comment, à partir d’un traumatisme, je pouvais produire quelque chose et aussi mettre la lumière sur cette pratique, afin qu’elle diminue et, je l’espère, finisse par disparaître. L’objectif était de dire les choses telles que je les ressens, que je les ai vécues. Je voulais aussi toucher le plus de personnes possible. Je parle ici d’excision, mais avec l’inceste et le viol, il y a des problématiques qui se recoupent.

Vous êtes-vous déjà rapprochée d’associations qui accompagnent les victimes d’excision ?

Non, parce que je chéris ma liberté. Si j’ai pu m’en sortir, c’est grâce à la ­littérature : mes livres, ce documentaire, je travaille aussi sur un  seul en scène. J’ai conscience que je suis une ­petite pierre sur le chemin de certaines femmes, mais que ce sont elles ensuite qui vont faire tout le travail. Je dis souvent : le seul moyen de s’en sortir, c’est de s’accomplir dans sa vie parce que personne ne va venir vous sauver. Mon discours n’est pas celui des associations, j’en suis consciente. Mais, l’ayant vécue moi-même, dans ma chair, et ayant fait tout ce parcours, je sais. Chacune fait en fonction de sa personne, de son vécu. Mais ce sont elles qui sont courageuses et qui ­arrivent à faire quelque chose de leur vie, malgré tout ça. 

Entretien réalisé par Perrine Bontemps

(1) « À l’ombre de la cité Rimbaud », aux éditions du Rocher.

À nos corps excisés. Documentaire. Arte / Mercredi 27 juillet / 22 h 35

 

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