Le camping des Flots bleus, rendu célèbre par plusieurs films, symbolise l’été et la bonne humeur. Mais le 18 juillet dernier, les flammes ont réduit ce lieu de vacances en cendres, comme 21 000 hectares de forêt ravagés par les incendies en Gironde. Les images de joie et d’insouciance font place à la désolation, un spectacle qui marque les esprits.

Maureen, jeune Parisienne de 30 ans, a pris les récents événements « en pleine figure ». Son manque de sommeil, elle ne le doit pas aux températures caniculaires, mais à l’effet qu’ont les conséquences dramatiques du dérèglement climatique sur son psychisme. « C’est extrêmement stressant, témoigne-t-elle, j’ai arrêté d’écouter les informations pendant une semaine pour me calmer. »

Comme pour Maureen, la multiplication des menaces propres à la période estivale (canicules, incendies, pénuries d’eau, risques sur la santé), accentuées par le dérèglement climatique, génère de plus en plus d’angoisse et d’inquiétude chez la population. « Même si le réchauffement climatique a lieu toute l’année, l’été inquiète davantage, car le climat des autres saisons reste plus tempéré et plus vivable », souligne Alice Desbiolles, médecin spécialisée en santé publique et autrice d’un livre sur l’éco-anxiété (1).

Une tendance qui n’est pas près de s’inverser. Les épisodes de canicule seront de plus en plus fréquents et intenses dans les années à venir, jusqu’à devenir la norme : « L’été 2022 est potentiellement l’été le plus froid du reste de notre vie », ajoute Alice Desbiolles. Des records qui tourmentent Daniel, Nîmois de 49 ans : « Les températures ne sont plus jamais inférieures à 35 °C l’été ! Cette chaleur en permanence, ça tape sur le système… » Les périodes caniculaires augmentent ainsi les problèmes de santé mentale de 5 à 10 %, d’après Célie Massini, psychiatre et coautrice du livre Les Émotions du dérèglement climatique (2) : « On constate plus d’agressivité, de conflit, d’anxiété pendant ces périodes. »

Des conséquences « ici et maintenant »

Depuis quelques années, à l’approche de l’été, Daniel ressent désormais de « l’appréhension ». En vingt-trois ans à Nîmes, il a vu « le temps changer ». « L’absence de pluie dessèche la nature. Il y a deux semaines, 200 hectares sont encore partis en fumée à 15 kilomètres d’ici », et il a bien conscience que ça va être « de pire en pire ».

Cette réaction est due à la confrontation directe aux événements, selon la psychothérapeute Charline Schmerber, qui parle « d’empathie kilométrique ». Le commun des mortels, qui ne travaille pas sur les problématiques écologiques et qui est moins exposé aux conséquences du dérèglement climatique, n’en prend conscience que lorsqu’il est directement touché au quotidien, « comme c’est le cas cet été ». « Forcément, c’est différent quand c’est notre maison qui brûle. On est face à un point de bascule. Le dérèglement climatique qu’on pensait pour demain, ou pour ailleurs, il est finalement ici et maintenant », abonde Célie Massini.

Sabrina, Bretonne de 40 ans, n’était pas sensible à l’écologie, mais les incendies près de la dune du Pilat, lieu de vacances de son enfance, et dans sa région lui ont fait prendre conscience des enjeux climatiques. « Avant, je n’aimais pas l’été pour des raisons sociales, car c’est une saison un peu morte où tout s’arrête. Maintenant, je vais vraiment la redouter pour des raisons climatiques. » Même si elle était déjà consciente du réchauffement en cours, les récents événements ont marqué un tournant dans la vie de Maureen : « Maintenant, à la veille de chaque été, je vais me demander quelle catastrophe va nous tomber dessus. »

Éco-anxiété, solastalgie, des mots pour nos maux

Tout le monde est susceptible de ressentir de l’éco-anxiété, même si les CSP + représentent la majorité des patients, analyse Charline Schmerber. Depuis son enquête lancée à la suite de la canicule du 29 juin 2019, la psychothérapeute s’est spécialisée dans le traitement de cette pathologie contemporaine : « Je me suis aperçue que les canicules généraient des angoisses et des demandes de psychothérapie liées au dérèglement climatique, sans forcément d’antécédents psychiques. » La psychothérapeute précise que ce terme regroupe un panel émotionnel beaucoup plus large que l’inquiétude.

En plus de la tristesse, certains patients sont par exemple « solastalgiques » : « Ils comparent l’avant à maintenant avec une espèce de compassion pour les autres espèces vivantes. C’est une forme de nostalgie d’une biodiversité disparue. » Alice Desbiolles utilise également le terme de « nostalgie du froid », pour parler de ces personnes qui voient la neige et les glaciers disparaître au sommet des montagnes. Maureen fait part, elle, de son incompréhension et de sa colère : « Il faut qu’on se bouge, sinon on entre dans une spirale infernale. Ça m’énerve que l’on soit obligé d’avoir les problèmes en face, notamment avec l’été, pour agir. »

L’éco-anxiété, moteur d’action ?

Ce nombre de personnes en situation d’éco-anxiété tend à s’accroître en même temps que la hausse des températures chaque été. Charline Schmerber s’attend à accueillir de plus en plus de patients au fil des années. « J’ai vraiment l’impression qu’on passe un cap cette année, confirme de son côté Alice Desbiolles. Le sentiment que l’été sera une saison crainte et non plus souhaitée va concerner de plus en plus de monde, au risque d’inverser la tendance générale.»

L’éco-anxiété peut toutefois avoir un aspect « positif », selon Charline Schmerber, quand elle s’accompagne d’une prise de conscience, prélude à l’action. Avec des collègues, la psychothérapeute a mis en place le réseau des professionnels de l’accompagnement face à l’urgence écologique (Rafue), pour entendre et accompagner les patients : « Ce n’est pas parce qu’il y a cette réalité qu’il faut attendre et ne rien faire. Il faut leur dire que c’est légitime de s’inquiéter et se demander comment ils vont pouvoir vivre avec, à un degré acceptable. Il y a plein de manières de travailler sur les émotions et faire en sorte que l’éco-anxiété devienne un moteur pour l’action. »

-----------

« Le réchauffement climatique agit partout à la hausse et de manière inéluctable »

Hervé Le Treut, Climatologue

« Globalement, le réchauffement climatique agit partout à la hausse et de manière inéluctable. L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre depuis des décennies a pour conséquence des périodes de fortes chaleurs qui seront potentiellement plus fréquentes et plus longues dans les années à venir. Quand on regarde quarante ans en arrière, l’évolution est phénoménale. La tendance est à une forte croissance et il n’y a aucune raison que ça ne continue pas d’augmenter pendant encore de nombreuses années. Et il n’y aura pas de capacité à revenir en arrière avant un temps très long. »

(1) L’Éco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé, Fayard, 2020.

(2) Antoine Pelissolo et Célie Massini, Flammarion, 2021.