« Une honte et un déshonneur » : militants et politiques fustigent la venue de Mohammed Ben Salmane à l’Elysée

Emmanuel Macron et Mohammed Ben Salmane à Paris, le 10 avril 2018.

Emmanuel Macron et Mohammed Ben Salmane à Paris, le 10 avril 2018. NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Assassinat de Jamal Khashoggi, guerre au Yémen, militants emprisonnés en Arabie saoudite… L’invitation de Mohammed Ben Salmane à l’Elysée ce jeudi 28 juillet fait réagir.

La fin justifie-t-elle les moyens ? Le dicton s’adapte bien à la situation : la guerre de l’énergie déployée depuis le début du conflit en Ukraine a participé à remettre sur le devant de la scène les monarchies pétrolières, et notamment l’Arabie saoudite. En conséquence, après la visite de Joe Biden au royaume saoudien, c’est au tour d’Emmanuel Macron d’inviter à dîner ce jeudi 28 juillet Mohammed Ben Salmane. Une première visite pour le prince héritier en Europe depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Défenseurs des droits de l’Homme et écologistes sont vent debout contre ce voyage politique.

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« C’est un dictateur instable et marcher la main dans la main avec lui est une honte et un déshonneur », a dénoncé sur Franceinfo Abdullah Alaoudh, directeur pour la région du Golfe de l’organisation Democraty for the Arab World Now fondée par Jamal Khashoggi. Si le prince héritier du royaume saoudien est salué pour ses réformes, il est aussi vivement critiqué à cause de la répression menée contre les dissidents dans les milieux religieux, politiques, intellectuels, économiques et même au sein de la famille royale.

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« Nous pensons que MBS cherche à blanchir ses crimes. Il a soutenu les leaders de la guerre en Libye et ailleurs, et qui a arrêté tant d’activistes, de défenseurs pacifiques et d’humoristes en Arabie saoudite », ajoute Abdullah Alaoudh.

« Macron reçoit le bourreau de mon fiancé »

Le prince saoudien a toujours nié son implication dans le meurtre de Jamal Khashoggi en 2018. Pourtant, la CIA a publié un rapport accablant le chef de la monarchie pétrolière, le mettant à l’écart de la scène internationale. Mais à la faveur de la guerre en Ukraine, MBS semble revenir en grande pompe. Dans un message en français adressé à l’AFP, Hatice Cengiz, la fiancée de Jamal Khashoggi, s’est dite « scandalisée et outrée qu’Emmanuel Macron reçoive avec tous les honneurs le bourreau de [son] fiancé ». Deux ONG ont également profité du fait que Mohammed Ben Salmane soit sur le territoire hexagonal pour porter plainte pour complicité de torture et de disparition forcée.

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D’autres associations de défense des droits de l’Homme ont condamné fermement la venue de Mohammed Ben Salmane en France. « La LDH dénonce l’accueil sur le tapis rouge à l’Elysée réservé à Mohammed Ben Salmane pour son retour sur la scène internationale depuis l’assassinat qu’il avait lui-même commandité en 2018 du journaliste Jamal Khashoggi (selon un rapport de la CIA) », tweet la Ligue des Droits de l’Homme.

Amnesty internationale met l’accent sur la guerre au Yémen commencée en 2014, à laquelle l’Arabie saoudite participe en soutenant le gouvernement yéménite contre les rebelles houthis. « Le Royaume de Ryiad est l’un des principaux clients de la France en matière de ventes d’armes. Ces armes seraient utilisées contre des civils au Yémen », rappelle l’ONG sur Twitter, s’appuyant sur une enquête du média indépendant Disclose. Depuis le début du conflit, plus de 380 000 personnes ont été tuées, selon un rapport de l’ONU publié en novembre 2021.

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« Un coup dur pour les activistes saoudiens »

Pour la militante saoudienne Lina al-Hathloul, directrice de la communication à l’organisation de défense des droits humains ALQST, cette visite, juste après celle de Joe Biden en Arabie saoudite, « est un coup dur pour les activistes saoudiens ».

« Plutôt que de soutenir les victimes des violations systématiques des droits humains en Arabie saoudite, Macron préfère réhabiliter un prince héritier dont les abus ont été largement condamnés par la communauté internationale ; en acceptant de l’accueillir à l’Elysée, Macron lui accorde une légitimité non méritée, au risque de laisser le champ libre à de nouveaux abus. »

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Lina al-Hathloul est la sœur de la féministe Loujain al-Hathloul, icône de la défense des droits des femmes dans le royaume saoudien, qui a été emprisonnée pendant près de trois ans avant d’obtenir une libération conditionnelle en février 2021.

En France, quelques politiques s’insurgent également contre la venue de Mohammed Ben Salmane. Il « sanctionne de peine de mort l’homosexualité, donne aux femmes un statut de mineures, achète des armes à la France pour tuer les civils au Yémen, commandite le meurtre de Jamal Khashoggi, MAIS a du pétrole DONC est reçu à l’Elysée », épingle l’écoféministe Sandrine Rousseau.

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Un choix qui traduit une dépendance forte au pétrole

Outre les droits humains, la critique concerne également nos modes de consommation et le choix d’Emmanuel Macron de se tourner vers le pétrole du Golfe. « J’ai le sentiment qu’avec l’Arabie saoudite, malgré l’assassinat de Jamal Khashoggi, la situation des LGBT et des femmes dans ce pays, Emmanuel Macron est finalement contraint de sortir le tapis rouge parce que nous avons besoin de son pétrole. Finalement, la dépendance aux énergies fossiles fait que nous bradons notre diplomatie », confie le premier secrétaire de EELV, Julien Bayou, sur France-Inter ce jeudi matin.

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« Au menu du dîner entre Emmanuel Macron et MBS le corps démembré du journaliste Khashoggi ? Le chaos climatique ? La paix et les droits humains ? Le jour du dépassement ? Non ! Du pétrole et des armes ! L’exact opposé de ce qu’il faut faire ! », fustige l’ex-candidat des Verts à la présidentielle, Yannick Jadot.

Pour le gouvernement, la venue de Mohammed Ben Salmane ne semble pas incompatible avec le respect des droits de l’Homme. « Il ne s’agit pas de remettre en cause notre engagement en faveur des droits de l’Homme », déclare la Première ministre, Elisabeth Borne. L’Élysée a par ailleurs assuré qu’Emmanuel Macron « abordera la question des droits de l’Homme » ce jeudi soir avec le prince héritier saoudien.

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