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Société - Vie politique

Les féministes dénoncent « la misogynie » au Parlement libanais

La députée de la contestation Cynthia Zarazir annonce sur Twitter son intention de se munir d’une arme à feu, parce que l’hémicycle « n’est pas un endroit sûr pour les femmes ».

Les féministes dénoncent « la misogynie » au Parlement libanais

La députée Halimé Kaakour invitée à s’asseoir et à se taire par le président du Parlement Nabih Berry. Photo ANI

Lorsque le président de la Chambre, Nabih Berry, se permet d’intimer à une députée de la contestation fraîchement élue, Halimé Kaakour, docteure en droit public et professeure universitaire en droit et sciences politiques de surcroît, l’ordre tonitruant de s’asseoir et de se taire (« Assieds-toi et tais-toi! »), le manque de respect est flagrant à l’égard d’une collègue qui réclamait en toute légitimité un protocole transparent de vote des lois au Parlement, pour éviter les risques de fraude. Mieux encore. Lorsque le député Kabalan Kabalan, membre du groupe parlementaire de ce même président du Parlement, s’autorise à traiter une collègue de la contestation, Cynthia Zarazir, de « députée-cafard » dans un jeu de mots douteux déformant son nom (Zarazir est devenu « sarasir »), et qu’il réitère avec entêtement « cafard et demi », à la manière d’un enfant mal élevé, l’impolitesse relève de l’intimidation. Le tout dans un contexte où la députée fraîchement élue se plaint de harcèlement, pour avoir trouvé dans son bureau du Parlement des revues pornographiques et des préservatifs masculins, et pour avoir été signifiée qu’elle ne vaut pas plus qu’une balle (d’arme à feu), entre autres réflexions désobligeantes dont une bonne partie à caractère sexuel.

Une situation qui l’a poussée à annoncer dans un tweet son intention de se munir d’une arme à feu pour se rendre au Parlement, car « l’hémicycle n’est pas un lieu sûr pour les femmes ». « Les actes de harcèlement y sont monnaie courante envers les femmes, comme dans la société libanaise », a-t-elle révélé notamment. Le communiqué publié par le secrétariat du Parlement se défendant de telles pratiques n’y fera rien. Cynthia Zarazir n’a pas répondu à nos sollicitations, pas plus que Halimé Kaakour.

L’ignorance et l’inculture des députés

Au sein d’un hémicycle majoritairement masculin (8 femmes seulement pour 120 hommes), mis à part les protestations des féministes et de quelques nouveaux élus de la contestation populaire, nul n’a condamné les propos déplacés ou rappelé à l’ordre les responsables. Quant à la réponse de la députée Kaakour à M. Berry, dénonçant un comportement « patriarcal », elle a provoqué une levée de boucliers, le député Farid el-Khazen ayant compris à tort cette critique de la domination masculine comme « une insulte personnelle adressée au patriarche maronite ». Au grand dam des féministes qui se sont levées d’une voix contre « l’ignorance » et « l’inculture » du député concerné et de ceux qui l’ont soutenu.

Le machisme de la classe politique n’est pas chose récente au pays du Cèdre. Alors que la femme libanaise tente à grand-peine de se tailler une place au sein du pouvoir, pour intervenir dans les politiques publiques et les décisions sociétales, de tels comportements à l’égard de députées fraîchement élues n’ont pour objectif que de les ridiculiser et de rabaisser leur rôle politique. « Le harcèlement et les moqueries des hommes de pouvoir envers les députées sont dégradants. C’est de la misogynie », déplore Myriam Sfeir Murad, directrice de l’Institut arabe pour les femmes rattaché à la LAU. « En se comportant de la sorte, lorsqu’un sujet mis sur le tapis leur déplaît, les députés des partis traditionnels montrent leur intention d’attaquer les maillons faibles de la contestation, autrement dit les femmes », observe-t-elle. Hayat Mirshad, fondatrice de l’ONG féministe Sharika wa laken, constate pour sa part que la classe politique n’est pas habituée à travailler avec des femmes. « Construite sur une pensée patriarcale, elle utilise ce pouvoir pour minimiser le rôle de la femme en politique, et plus particulièrement la femme de la contestation, en l’attaquant sur son aspect physique, sa vie privée, son comportement, mais jamais politiquement », constate-t-elle, dénonçant « la violence contre les femmes en politique ».

Répondez-moi en politique !

D’autres élues de la contestation en ont déjà pâti, comme Paula Yacoubian qui, outre des commentaires particulièrement scabreux sur sa vie personnelle, a été rappelée à l’ordre un jour par le président du Parlement, au terme d’une de ses interventions politiques. « Ton époux est notre ami, m’avait-il rappelé ce jour-là, raconte Mme Yacoubian à L’Orient-Le Jour. Une remarque alors jugée odieuse par un diplomate qui avait assisté à la scène. » En réponse aux nombreux commentaires sexistes à son égard, la députée a un jour répondu : « Mes organes reproducteurs ne sont l’affaire de personne. Je vous parle politique, répondez-moi en politique. »

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"Honteux" : Amnesty dénonce le sexisme de Nabih Berry et du Parlement

Si les élues de la contestation sont une cible facile pour les hommes de pouvoir libanais, c’est parce qu’elles ne bénéficient d’aucun soutien et que leurs idées avant-gardistes dérangent une classe politique sclérosée, incapable de réforme. Sauf que les députées membres de groupes parlementaires ne sont pas épargnées pour autant. On se souvient d’une Inaya Ezzeddine hors d’elle-même (députée chiite du courant Amal) qui avait claqué la porte de la séance d’une commission parlementaire mixte, le 7 octobre 2021, après avoir été chahutée par des confrères, dont certains de son propre groupe parlementaire, qui refusaient de débattre de la question des quotas féminins pour les législatives de mai 2022.

Le harcèlement à l’égard des femmes est de moins en moins toléré, désormais. Non seulement par une jeunesse qui milite pour le changement et l’égalité des genres et dénonce les lois communautaires discriminatoires envers les femmes, notamment liées au statut personnel. Mais aussi par une communauté internationale qui scrute les comportements d’une classe politique jugée responsable de l’effondrement de l’État. Réagissant à l’incident au sein de l’hémicycle, l’ONG Amnesty International a qualifié de « honteux » le sexisme du président de la Chambre et du Parlement dans son ensemble. « Il est honteux que les députées du Parlement libanais, en particulier celles qui critiquent les autorités, soient harcelées par leurs homologues masculins et par le président de la Chambre lui-même », a fustigé l’ONG à l’issue de la séance plénière chaotique du 26 juillet, appelant à « l’application de la loi criminalisant le harcèlement ».

Le double discours de Berry

Cette réaction vient au lendemain d’un communiqué de la Plateforme féministe de la société civile (une quarantaine d’associations et de personnalités locales) réclamant « un espace sûr et équitable pour les femmes dans la sphère publique » et un code de conduite au Parlement. « Il est vrai que le président du Parlement est connu pour son franc-parler avec ses collègues. Mais il ne peut pas traiter une nouvelle collègue comme s’il s’agissait d’une vieille connaissance. C’est à la fois de la violence, de l’insulte et du sexisme », commente Nada Anid, fondatrice de l’ONG féministe Madanyat qui vient de publier une étude sur la violence sexiste en politique.

Mais ce qui est encore plus répréhensible, c’est le double discours du président Berry. D’un côté, son sexisme affiché. De l’autre, son engagement pour une participation meilleure des femmes à la vie politique libanaise. Car « la veille de l’incident, il parrainait la Conférence nationale pour l’étude d’une loi sur les quotas féminins, organisée par l’association FiftyFifty. Avec pour objectif de l’appliquer aux législatives de 2026 », comme l’assure la cofondatrice de l’ONG, Joëlle Abou Farhat Rizkallah. « Ce qui s’est passé au Parlement est une catastrophe », regrette-t-elle, invitant « les parlementaires à réagir fermement et à adresser une lettre écrite au président Berry, lui-même impliqué dans l’affaire ». Autre conséquence de ces comportements machistes, les risques de contagion. Lorsqu’un président de la Chambre se permet de s’adresser de la sorte à une collègue, tout le monde se croit permis d’en faire autant. Le soir même de la séance législative, le directeur de l’agence publicitaire Saatchi et Saatchi, Élie Khoury, tenait des propos d’une vulgarité sans pareille à travers le média en ligne Sawt Beirut International à l’égard de la députée Halimé Kaakour, dont il ne partage pas la position sur le Hezbollah. « Elle doit changer ses sous-vêtements avant de parler », a-t-il dit, notamment, suscitant les rires gras du journaliste Walid Abboud.

Mais les féministes refusent de se taire. Elles promettent de montrer leur colère dimanche prochain, lors d’une manifestation contre la violence envers les femmes. Assurément, elles ne seront pas tendres envers les parlementaires libanais.

Lorsque le président de la Chambre, Nabih Berry, se permet d’intimer à une députée de la contestation fraîchement élue, Halimé Kaakour, docteure en droit public et professeure universitaire en droit et sciences politiques de surcroît, l’ordre tonitruant de s’asseoir et de se taire (« Assieds-toi et tais-toi! »), le manque de respect est flagrant à l’égard d’une...

commentaires (12)

C’est la députée qui aurait dire au sinistre renard: écrases-toi !

LeRougeEtLeNoir

12 h 57, le 06 novembre 2022

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Commentaires (12)

  • C’est la députée qui aurait dire au sinistre renard: écrases-toi !

    LeRougeEtLeNoir

    12 h 57, le 06 novembre 2022

  • T3ebna c'est vrai. Mais vient à point à qui sait attendre.

    PPZZ58

    20 h 09, le 29 juillet 2022

  • T3ebna.

    PPZZ58

    20 h 07, le 29 juillet 2022

  • En voyant la photo de cet article et sa légende "La députée Halimé Kaakour invitée à s’asseoir et à se taire par le président du Parlement Nabih Berry." Je me demandais si sa collègue et coéquipière admirait toujours berry et le considérait toujours comme une source de leçons... la vie cruelle parfois

    Wlek Sanferlou

    14 h 44, le 29 juillet 2022

  • UNISSEZ-VOUS c’est votre et notre seul salut. Unissez-vous contre tous ces pourris qui se comportent comme les propriétaires de ce pays et de son peuple. Pourquoi ce message si simple a du mal à être intégré par les libanais en général pourtant il y a va de leur existence.

    Sissi zayyat

    12 h 21, le 29 juillet 2022

  • Mesdames, il ne faut pas leur en vouloir. Les insultes, intimidations de tout genre et menaces de mort sont leurs seules armes pour combattre l’intelligence, le patriotisme et l’ouverture d’esprits. Des libanais les appuient et ont revoté pour eux puisqu’ils correspondent à leur niveau intellectuel et leur degré de civilisation, eux qui les ont affamés et ne cessent de les humilier jour après jour. La preuve, rare sont les libanais qui descendent dans la rue pour récupérer leur dignité et retrouver leur indépendance allez savoir pourquoi. C’est un pays maudit à cause de la farandole de traîtres de tout bord qui l’occupent et le maltraitent avec une obéissance louche et honteuse qui ne s’est vue dans aucun autre pays et tous les temps. Voyez autour de vous les hâbleurs qui ne jurent que par leurs tortionnaires et les défendent encore au péril de leur existence.

    Sissi zayyat

    12 h 02, le 29 juillet 2022

  • Rien d’étonnant de la part d’un voyou indéboulonnable depuis presque 30 ans et de ses sbires! J’ai du mal à garder ma fierté d’être libanais

    Georges Breidy

    11 h 45, le 29 juillet 2022

  • Comment voulez-vous construire une nation moderne quand l’Elite politique majoritaire s’appuie sur les positions dogmatique et rétrograde des prédicateurs de la religion. Des positions qu’il classe plus importants que le développement, la civilisation, la science, l'éthique, la patrie, la paix, la construction de l’économie et des infrastructures, la justice élaboré pour un vivre harmonieusement ensemble, l’égalité des femmes avec les hommes et les droits individuels et collectifs.

    DAMMOUS Hanna

    10 h 14, le 29 juillet 2022

  • accuser les parlementaires de mysoginie ? ce n'est pas du nouveau, que ce soit provenant des Mps ou des males libanais en general. ce qui n'est pas acceptable est le manque d'ethique, l'impolitesse demontrees par des MPs, mais encore une fois, pas un scoop. les sbires qui maltraitent ces MPs feminines, ca l'est est. conseil: pour mieux etayer leurs accusations, les neo MPs, femmes ou hommes devraient apprendre a filmer et enregistrer toutes les errances ethiques de leurs collegues.

    Gaby SIOUFI

    08 h 23, le 29 juillet 2022

  • Ce n’est pas du féminisme mais de la dignité humaine. Courage à ces femmes députées pour clouer le bec à des hommes incultes et irrespectueux surtout à celui qui est sur le grand perchoir, l’indécrottable Berry.

    Karam Georges

    08 h 03, le 29 juillet 2022

  • On ne peut malheureusement s’attendre à mieux de ces soi-disant responsables qui ne sont responsables que d’une seule chose: nos malheurs. Inculture, machisme et vulgarité sont leurs principales caractéristiques.

    Jocelyne Hayeck

    07 h 36, le 29 juillet 2022

  • Qu attendez vous de ce vendeur de galette? ‏بيع كعك

    Robert Moumdjian

    00 h 35, le 29 juillet 2022

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