Pour faire réussir ses élèves, ce prof de Drancy s’appuie sur leurs parents. Et ça marche !

“En créant cette alliance parents-profs autour de la réussite des élèves, on sort de la solitude et nos forces sont décuplées.”

Publié le |Mis à jour le |Pour information, cet article a été écrit il y a 2 ans.

Alors que les élèves s’apprêtent à retrouver le chemin de l’école, les professeurs sont déjà sur le pont avec dans leurs cartables, l’espoir de faire la différence. C’est ce qui anime Jérémie Fontanieu depuis maintenant dix ans. Professeur de sciences économiques et sociales (SES) au lycée Eugène Delacroix de Drancy en Seine-Saint-Denis, il a mis au point avec David Benoît, l’un de ses collègues, une méthode éducative baptisée “Réconciliations”. L’objectif ? Collaborer avec les familles à la réussite des élèves. Un encadrement calibré qui semble faire des merveilles dans leurs classes puisque les deux professeurs ont enregistré 100 % de réussite au baccalauréat trois années de suite et la prouesse d’atteindre 0 % de décrochage scolaire l’année du premier confinement.

Dans son livre L’école de la réconciliation, un professeur à Drancy, publié aux éditions Les liens qui libèrent, Jérémie Fontanieu revient sur la genèse de cette méthode innovante et humaine dont l’objectif est de renouer le dialogue entre celles et ceux qui font l’école.

David Benoit et Jérémie Fontanieu / Photo : Jérémie Fontanieu

Dans notre système scolaire que les études internationales décrivent comme l’un des plus injustes d’Occident, tous sont victimes : les élèves perdent enthousiasme et joie d’apprendre, les parents développent frustration et méfiance à l’égard de l’institution, et les enseignants, malgré tout l’amour pour la profession et la bonne volonté dans l’accompagnement des jeunes chaque année, s’épuisent et subissent un mal-être croissant.

Jérémie Fontanieu, L’école de la réconciliation, un professeur à Drancy.

Pouvez-vous nous parler du projet “Réconciliations” ?

Le projet consiste à donner aux élèves beaucoup de confiance en eux et des méthodes de travail qui vont leur servir par la suite pour devenir autonomes. On voit des élèves qui arrivent en terminale, qui ont profondément intériorisé le mépris social, qui manquent de confiance en eux et sont persuadés qu’ils ne sont pas faits pour les études et qui renaissent complètement. L’expérience de la réussite les transcende. Ils sont tellement habitués à ne pas y arriver, à subir, que le fait de progresser, de comprendre, ouvre leurs horizons de façon extraordinaire.

Au fil de l’année, on voit ces élèves qui se cherchaient, s’enfermaient dans des postures adolescentes aliénantes, qui tout d’un coup brisent l’armure, deviennent sérieux, responsables et cessent de faire les choses pour les autres et apprennent à se dépasser pour retrouver leur dignité. C’est génial !

Vous avez réussi à rendre cool le fait d’être bon élève ?

C’est un peu ça. Grâce à cette collaboration avec les parents, les élèves qui passaient hier pour des fayots deviennent des modèles. Les adolescents cherchent tout à coup à rendre fières leurs familles. L’école n’est plus un lieu qu’ils subissent mais un outil pour s’affirmer et se dépasser.

Concrètement en quoi consiste votre méthode éducative ?

En septembre, une réunion lors des premiers jours de l’année scolaire permet de créer l’alliance entre parents et professeurs (ici en présence de Yamina Ben Omar, l’une des CPE du lycée Eugène Delacroix) / Photo : Jérémie Fontanieu

Le cœur de la méthode, c’est d’entrer en contact très tôt avec les familles, que ce soit par le biais d’une réunion ou d’un coup de fil. L’idée, c’est de dire : “il y a une nouvelle année scolaire qui commence, et la réussite scolaire de votre enfant dépend de lui, de ses efforts, de notre travail en tant que professeur, mais elle dépend aussi de vous car vous avez une influence différente de la nôtre. Est-ce que vous acceptez qu’on travaille ensemble ?

En créant cette alliance autour de la réussite des élèves, on sort de la solitude et nos forces sont décuplées. Quand les parents sont derrière nous, ça rend le temps en classe beaucoup plus serein. Après, chaque professeur adapte la méthode à sa manière en fonction de son caractère, de son public, de sa matière. Moi par exemple je suis assez strict, je fais des évaluations hebdomadaires sous forme de QCM et je sanctionne les retards avec des heures de colle… Mais ça dépend de chacun.

En quoi le dialogue entre parents et enseignants permet aux élèves de se surpasser ?

On a les élèves qu’on a, ils ont l’âge qu’ils ont, et on ne va pas se mentir, l’adolescence n’est pas une période facile… Le travail avec les parents nous facilite grandement la tâche car il nous donne l’autorité nécessaire pour faire en sorte que les élèves arrêtent de faire des bêtises, qu’ils soient plus responsables et concentrés. Les pannes de réveil, les bavardages, le fait d’oublier ses affaires, de regarder son téléphone portable en classe ou de ne pas réviser sont des petits manquements qui, pris séparément ne sont pas graves, mais qui au final ont une incidence grave sur la réussite des élèves… et celle des professeurs.

En début de carrière, je préparais mes cours avec énormément de soin, comme beaucoup de professeurs, mais j’avais en face des élèves qui s’en foutaient. Cette indifférence, ce gâchis sont une énorme source de souffrance pour le corps enseignant. Finalement, ce sentiment d’impuissance, on le transmet aux parents et on est tous perdants dans l’histoire.

Le terme de “réconciliation” est un mot fort, ça sous-entend qu’il y avait une vraie rupture entre profs, parents et élèves ?

À chaque début du mois de juillet, une grande fête de fin d’année réunit les nouveaux bacheliers, leurs familles et les anciens élèves. Depuis 2012, le projet a touché près de 300 familles / Photo : Jérémie Fontanieu

Non, je ne dirais pas qu’il y avait une brouille, il y avait juste un immense malentendu. On ne se parlait pas assez. Dans la formation de prof on n’évoque jamais le rôle des familles par exemple. D’un point de vue politique, je dirais même qu’à la fin du XIXe siècle, l’école publique avec les lois Ferry s’est construite contre les familles, en particulier les familles des quartiers populaires. L’idée était d’arracher les enfants à leur condition grâce à cet ascenseur social qu’était l’enseignement obligatoire.

Le résultat, c’est que le dialogue semble rompu. On le voit par exemple quand on contacte les parents d’un enfant qui a fait une bêtise. Il n’est pas rare que ces derniers défendent leur enfant même à tort, juste parce qu’ils ont l’impression que leur modèle éducatif est remis en question… Du côté des professeurs aussi il peut y avoir des a priori sur les familles. C’est la définition du quiproquo. Alors qu’en travaillant ensemble, on se rend compte que malgré nos différences, on arrive à atteindre un objectif commun : la réussite des élèves.

Et comment les élèves vivent-ils cette alliance entre professeurs et parents ?

En début d’année, ils la perçoivent de façon hostile. Pour eux, être libre c’est faire ce que l’on veut. En les obligeant à bosser plus, ils nous considèrent comme liberticides. Mais peu à peu, en voyant leurs efforts récompensés, ils se rendent compte de ce qu’ils gagnent. Au départ, ce sentiment de satisfaction et de fierté, ils ne l’assument pas du tout, puis, les notes viennent objectiver ça. On les encourage, leurs parents aussi, et ça devient finalement un cercle vertueux. C’est ce que montre bien le film qu’on a tourné il y a deux ans et qui sortira cette année. On voit les élèves se métamorphoser et les parents confirment que la transformation a aussi lieu à la maison.

La “Réconciliation” a maintenant dépassé les frontières de Drancy et semble essaimer autour de vous…

Photo : Les liens qui libèrent

Oui ! Depuis que nous avons commencé à médiatiser notre méthode, des dizaines de professeurs à travers la France ont commencé à nous contacter pour appliquer ce modèle au sein de leur établissement. Aujourd’hui nous sommes une quarantaine. La profession est en difficulté car enseigner est un métier très difficile et on se rend compte que ces outils donnent beaucoup d’espoir.

Ce qui est intéressant, c’est que les profils sont très variés, que ce soit au niveau du statut ou des zones géographiques où ces professeurs exercent. Certains enseignent depuis des dizaines d’années et cherchent un nouveau souffle, d’autres sont tout jeunes et viennent juste d’avoir le concours ou bien sont en reconversion et s’apprêtent à rejoindre l’Education nationale ou sont contractuels. La moitié d’entre eux sont professeurs au lycée comme moi, mais il y a aussi des enseignants du primaire et du collège… Ce qui nous réunit c’est qu’on est tous animés par le même optimisme.

En attendant la sortie du documentaire retraçant le parcours des élèves du lycée Eugène Delacroix de Drancy, découvrez le livre de Jémérie Fontanieu L’école de la réconciliation, un professeur à Drancy, aux éditions Les liens qui libèrent. Et pour les enseignants et enseignantes qui souhaiteraient eux aussi rejoindre le mouvement, vous pouvez écrire à cette adresse [email protected].

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