Né en 1990, Ivan Safronov a été journaliste pour les prestigieux quotidiens moscovites Vedomosti et Kommersant, plutôt libéraux, avant de travailler brièvement, en 2020, aux côtés de Dmitri Rogozine, patron alors de l’agence spatiale russe Roscosmos.

Arrêté au mois de juillet de la même année par le FSB, les puissants services de sécurité intérieure de la Fédération de Russie, il a été accusé de “trahison d’État” pour avoir prétendument livré des informations classées secret-défense à l’Allemagne et à la République tchèque, et incarcéré dans la prison de haute sécurité de Lefortovo, près de Moscou. Deux ans plus tard, ce mardi 30 août, le procureur a requis une peine de vingt-quatre ans de prison dans le procès à huis clos qui se tient depuis le 5 mars dernier, en pleine guerre en Ukraine, dans la capitale russe.

“Me déclarer coupable, c’est admettre que le travail journalistique est un crime en Russie. Je ne serai jamais d’accord avec ça. C’est à vous de déterminer ce qu’il adviendra du journalisme dans notre pays”, a-t-il dit lors de sa dernière prise de parole au tribunal à l’adresse des juges, selon le service russe de la BBC, qui publie l’intégralité de son discours.

Cette peine – particulièrement lourde, même pour les standards russes en la matière – a mis en émoi la presse d’opposition russe. Le journal en ligne Meduza, basé en Lettonie et déclaré “agent de l’étranger” par la justice russe, rappelle que de telles peines ont été prononcées ces dernières années contre des tueurs en série et des terroristes.

Procès “inique”

Le site d’informations Proïekt a épluché l’acte d’accusation pour conclure que la plupart des informations que Safronov aurait prétendument livrées à l’Occident sont “disponibles sur Internet” – et notamment dans ses propres articles. Le journaliste lui-même estime que ces poursuites sont une mesure de rétorsion du FSB, qui lui aurait d’abord proposé, en vain, de révéler ses sources.

L’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières a qualifié son procès d’“inique”. Selon l’ONG basée à Paris, la véritable raison de l’acharnement de la justice russe contre lui serait ses révélations sur la vente de chasseurs Soukhoï Su-35 à l’Égypte en mars 2019, ainsi que sur l’accident du sous-marin top secret Locharik, qui a coûté la vie à quatorze marins, la même année.

Son ancien employeur, le quotidien économique Kommersant, raconte que, peu avant sa réquisition, le procureur aurait proposé de diviser la peine qu’il comptait réclamer par deux si Ivan Safronov admettait sa culpabilité. À quoi ce dernier aurait répondu que “l’honneur [lui était] plus cher que la liberté”. “Je ne peux pas admettre ma culpabilité pour un crime que je n’ai pas commis. Quant à en faire porter le chapeau à d’autres, comme on me l’a conseillé, cela contredit directement mon éducation et les principes de vie que mes parents et ma famille m’ont inculqués”, a-t-il encore dit comme dernières paroles devant le tribunal. Le verdict est attendu le 5 septembre.