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Cette Bretonne qui formait les résistants aux explosifs
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Par
Julien Joly/Le mensuel de Rennes
Spécialiste des explosifs, formée par les maîtres-espions britanniques, la Résistante bretonne Jeanne Bohec a été une des premières femmes à vivre une mission parachutée, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Notre série : Rennes, nid d'espions
De la Seconde guerre mondiale aux cyberattaques d’aujourd’hui, en passant par les menaces russes et chinoises, Rennes figure depuis 80 ans sur la carte des services secrets. Grâce au Mensuel de Rennes, découvrez neuf affaires d'espionnage véridiques qui sont liées à la capitale bretonne.
« Bonsoir Maman, bonsoir Papa, je sais qu’on ne s’est pas vu depuis quatre ans, mais je peux loger chez vous quelques jours ? Au fait, je suis une espionne, maintenant ». Non, ça ne colle pas… En ce soir de l’an 1944, à Rennes, sans doute Jeanne Bohec retourne-t-elle cent fois dans son esprit ce qu’elle dira en arrivant au domicile familial. Tout le monde la croit encore réfugiée au Royaume-Uni. Ses proches ignorent qu’elle travaille désormais pour le service de renseignement de la France libre. Et que, sous couverture, elle s’emploie à devenir un des pires cauchemars des nazis dans sa région natale. Non, décidément, quelle que soit la façon dont on tourne la chose, ses parents vont faire une drôle de tête.
Jeanne traverse le Champ-de-Mars, toute à ses pensées, quand une patrouille allemande surgit. « Papirrrs ! » Son cœur accélère. D’un air naturel, elle tend sa carte d’identité toute neuve. L’officier la dévisage : « Le couvre-feu est dans un quart d’heure. Allez-vous loin ? – Non, tout près, chez des amis… – Dépêchez-vous ! » Ouf. Jeanne presse le pas, s’arrête devant la droguerie de ses parents, 16 rue de l’Alma (à côté de l’actuelle poste). Elle toque. Son père ouvre. Se fige. « C’est Jeanne ! », crie-t-il. Après de longues embrassades, la voilà bonne pour raconter son incroyable aventure.
Un entraînement à l’anglaise
Tout commence en 1939. Jeanne sort du lycée et la France entre en guerre. Elle aurait voulu naître garçon pour être marin. À la place, elle dévore des livres sur les espionnes de la guerre de 14-18. Sur le front, les femmes sont surtout cantonnées au métier d’infirmière. Jeanne intègre une usine de poudre à Brest. Le 18 juin 1940, alors que le maréchal Pétain veut cesser les combats, elle refuse de travailler pour l’ennemi. « J’irai en Angleterre. Je trouverai un bateau ».
Ses amies la croient folle. Mais le soir, sur la rade illuminée par les incendies des dépôts d’essence, la Bretonne saute dans un navire, direction le Royaume-Uni. Une fois à Londres, elle grossit le flot des réfugiés. Découvre le pain de mie carré. Boit du thé en toute occasion. Vit au rythme des alertes aériennes.
En 1942, la jeune femme retrouve enfin un poste dans un laboratoire de chimie anglais. Sa mission : inventer des bombes artisanales à partir de produits en vente libre. Des techniques très utiles au BCRA, le service secret de la France libre. Ça lui donne une idée. « Au lieu d’enseigner nos petites recettes à quelques garçons ici à Londres, ne serait-il pas plus rationnel que j’aille moi-même faire la même chose en France ? » Recruter une femme… Le BCRA n’est pas très chaud. Jeanne insiste. Et obtient gain de cause.
Avant tout, elle doit subir un rigoureux entraînement d’espionne au fin fond de la campagne anglaise. Parcours du combattant, tests psychologiques, tir au pigeon sur des cibles en forme d’agents de la Gestapo… La jeune femme jongle entre les stylos explosifs, le code morse et les coups de manchette qui tuent en silence. « Nous avons des cours encore plus originaux : comment devenir un parfait cambrioleur. (Ils) nous étaient donnés par un sergent à l’accent cockney prononcé. Je le soupçonne fort d’avoir été un authentique cambrioleur extrait spécialement des geôles de Sa Majesté… »
Pilule de cyanure
Ses chefs lui montrent comment déjouer une filature, en sortant du métro au dernier moment, comme si elle s’était trompée de station. Elle qui n’a jamais volé endure huit jours de parachute – un système rudimentaire. « Si jamais il ne s’ouvre pas en vol, vous aurez le droit de revenir au magasin en chercher un autre », rigole l’instructeur.
Jeanne n’a pas connu la France occupée ; on lui dit comment utiliser une carte de rationnement, commander un café… Mais aussi comment s’habiller à la mode du moment. Exit les compromettants vêtements anglais. On traque dans ses poches les détails qui trahissent en cas de fouille : tickets londoniens, shillings, traces de tabac britannique…
Elle heurte un soldat allemand. « Sorry ! », lâche-t-elle par inadvertance.
Le 29 février 1944, c’est le départ. Jeanne sangle son parachute et avale un dernier whisky. Brusquement, elle s’aperçoit qu’elle a oublié un truc… Sa pilule de cyanure, indispensable pour ne pas tomber vivante aux mains de l’ennemi ! Trop tard, l’appareil décolle. Lorsque la zone de largage approche, Jeanne passe les pieds dans la trappe qui perce le plancher de l’avion. Sous elle défile sa bonne vieille campagne de l’ouest. Le signal passe au vert : « Go ! » Elle s’élance, bien droite.
« Rateau » en vadrouille
Tout en bas, elle voit les feux de position de la Résistance, prévenue par radio. Après un accueil chaleureux arrosé de calva, Jeanne file à Paris pour se faire briefer par d’autres infiltrés. Leur manque de discipline la sidère. Certains codent des messages secrets sur un coin de table, en plein milieu d’un restaurant bourré d’Allemands. La Bretonne passera elle-même très près de la catastrophe. Prenant pour la première fois le métro, elle heurte un soldat. « Sorry ! », dit-elle par habitude… Avant de se mordre les lèvres.
Heureusement, le boche ne fait pas attention. De retour en Bretagne avec ses instructions, Jeanne doit rejoindre son premier élève artificier, à Pipriac. Comment y aller sans voiture ? Si seulement elle avait sa vieille bicyclette. « Elle devait se trouver chez mes parents à Rennes. J’avais aussi grande envie de les revoir ». Voilà pourquoi Jeanne brave le couvre-feu, ce soir de 1944, rue de l’Alma.
Pendant les mois qui suivent, « la plastiqueuse à bicyclette » parcourt les chemins pour dispenser son enseignement explosif. Quand elle en a marre, elle s’amuse à se faire prendre en stop par des Allemands qui ne se doutent de rien. À une occasion, elle dort même chez un soldat, qui lui apporte le petit-déjeuner.
Pas l’affaire d’une femme
En mai, la Résistance lance le « Plan Vert ». Objectif : immobiliser les renforts allemands avant le Débarquement. Jeanne et les autres combattants de l’ombre doivent faire sauter d’un coup toutes les voies ferrées du Morbihan. À la nuit tombée, la Bretonne s’infiltre sur la ligne Dinan-Questembert. « Avec l’aide de mes compagnons, je plaçais cinq ou six charges dans les aiguillages en les fixant avec du sparadrap, comme j’avais appris à le faire, de manière à produire le plus de dégâts possible. J’enfonçais les détonateurs profondément dans les explosifs et les reliais entre eux par du cordeau détonant ».
La déflagration ébranle la campagne endormie. Les Américains, qui n’accordaient pas trop de crédit aux Résistants, sont sidérés. Mais au lendemain du D-Day, malgré ses faits d’armes, Jeanne peine à prendre part aux combats. À Brest, celle qui a aidé à fournir des mitraillettes à toute la région se voit refuser le droit d’en porter une : « Ce n’est pas l’affaire d’une femme ». Et pourtant, combien de soldats alliés ses sabotages ont-ils sauvés sur les plages de Normandie ?
Les citations de ce texte sont extraites de La plastiqueuse à bicyclette, par Jeanne Bohec, Sextant éditions
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