Les mécanismes qui permettent aujourd’hui la propagation des idées transphobes ne sont pas sans rappeler ceux des théories du complot, jouant sur la méconnaissance et la peur pour attiser la haine. Dans ce numéro de rentrée de la newsletter #Règle30 de Numerama, la journaliste Lucie Ronfaut décrypte ces rouages.

Commençons par le plus simple. Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes, ce qui se passe dans votre slip ne regarde que vous-même et (éventuellement) votre machine à laver. Par ailleurs, en France, depuis 2016, il n’est plus nécessaire de fournir des certificats médicaux pour faire changer son état civil. Voilà la base de la base, le strict minimum sur lequel nous allons devoir nous entendre, vous et moi. Car en dehors de cette newsletter, malheureusement, la transphobie fait rage. En témoigne l’ouragan de haine qui a suivi le partage d’une affiche du Planning Familial montrant des hommes enceints, à la fin du mois d’août. L’association, qui lutte depuis les années 50 pour le droit à la contraception et à l’avortement en France, a subi des attaques très violentes de l’extrême droite, de certains médias et (ça vous étonnera peut-être) de militants et militantes se prétendant féministes. Au sujet de cette affaire, vous pouvez lire ce communiqué du Planning familial, qui met bien les choses à plat.

Si je vous parle de tout ça, c’est déjà parce que la montée de la transphobie m’inquiète beaucoup. De la même manière que la droite et l’extrême droite ont agité l’épouvantail du « lobby LGBT » ou de la « théorie du genre » pendant le débat sur le mariage pour tous et toutes, la « question trans » est construite, in fine, pour contrôler nos corps et nos libertés, en réduisant la femme à ses éventuelles fonctions de reproduction. Tout le monde y perd ! Je ne souhaite pas trop parler à la place des premières personnes concernées, donc je vous recommande plutôt la lecture de cette tribune très claire du collectif Toutes Des Femmes, ou ce mini-documentaire sur les liens entre militant·es anti-trans et extrême droite, qui a tout intérêt à récupérer ce genre de discours.

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Cet article est extrait de notre newsletter hebdomadaire Règle30, éditée par Numerama. Il s’agit du numéro du 3 août 2022. Pour vous y inscrire gratuitement, c’est ici.

La transphobie est une théorie du complot.

La transphobie est une théorie du complot. Et comme toutes les théories du complot modernes (le déni du changement climatique, le grand remplacement, QAnon, etc), elle se propage en ligne. Au Royaume-Uni, l’explosion des idées transphobes est souvent attribuée à Mumsnet, un site et forum d’entraide entre mamans. Ce n’est pas forcément surprenant, nous explique cette longue enquête de la journaliste d’investigation Katie J.M. Baker. Les mères sont marginalisées de la société et subissent de nombreuses injustices médicales, économiques, etc. Elles peuvent être vulnérables, sujettes à des formes de radicalisation. « Plus je fréquentais Mumsnet, plus je me souvenais de mes précédentes enquêtes sur les hommes radicalisés par la ‘manosphère’, recrutés par des militants anti-féministes qui exploitent des peurs réelles en pointant du doigt des personnes marginalisées, plutôt que les faiblesses de notre société », raconte la journaliste. « Une fois intégrées dans ces communautés, ces personnes deviennent obsédées par un pseudo-sentiment de victimisation, et refusent de voir le monde autrement.»

Considérer la transphobie en ligne comme une théorie du complot ne réglera pas tous les problèmes. Mais c’est une étape importante pour lui retirer sa légitimité, rappeler sa dangerosité, dénoncer ses mensonges et sa proximité avec d’autres complots (par exemple l’antisémitisme ou les discours anti-vaccins). C’est se souvenir que les polémiques qui paraissent immenses, quand elles sont reprises et amplifiées par les médias traditionnels, sont généralement lancées par une poignée de militant·es, avec des conséquences terribles pour les personnes concernées (qui débordent jusque dans nos institutions). C’est s’armer contre un projet politique, dans un univers en ligne qui le rend viral, puisque favorisant l’outrage et la désinformation. Enfin, c’est un phénomène qui nous concerne tous et toutes, peu importe qui vous êtes. Parce que vous passez beaucoup de temps sur internet, comme vos ami·es, collègues, représentant·es politiques, et le reste du monde. Quand les théories masculinistes ont explosé en ligne, j’en ai discuté avec les hommes de mon entourage, inquiète qu’ils puissent être vulnérables à leurs discours. Il est temps, aussi, de parler de transphobie à nos proches.

La revue de presse de la semaine (et de l’été)

En règle (1)

Cet été a été marqué par une actualité très tendue pour les droits reproductifs aux États-Unis, menacés par l’interdiction partielle de l’avortement dans plusieurs États américains. Dans un contexte de surveillance numérique toujours plus accru, les applications de suivi de règles ont vite été accusées de ne pas sécuriser suffisamment les données de leurs utilisateurs et utilisatrices. À raison, d’après la conclusion d’un rapport de la fondation Mozilla, qui a testé la confidentialité de 25 services du genre. Seule une application, Euki, s’en sort avec les félicitations de l’organisation. Plus de détails chez Numerama.
 

En règle (2)

Cela étant dit, comme je l’ai déjà écrit ici, nous aurions tort de nous focaliser uniquement sur les applications de menstrutech. Ainsi, en juin, Facebook a aidé une enquête de police dans le Nebraska dans une affaire d’avortement illégal, concernant une adolescente de 17 ans. C’est à lire également chez Numerama.
 

Tâte de mon indifférence

Vous avez peut-être vu passer le crâne luisant d’Andrew Tate dans vos fils d’actualité ces dernières semaines. Cet animateur de podcast s’est fait connaître pour ses opinions nauséabondes et ses vidéos violemment misogynes, conçues pour être partagées en masse par ses adorateurs comme par les personnes choquées, à juste titre, par ses diatribes. Autrement dit, c’est l’incel du moment, qui sera probablement remplacé par un autre dans quelques mois. Est-il possible, et est-il utile, de l’ignorer autant que possible ? C’est l’objet de cet édito publié chez The Vox (en anglais) que j’ai trouvé intéressant. Vous pouvez le lire par ici.
 

Anniversaire

Si vous suivez cette newsletter depuis quelque temps, vous devez savoir que je suis une fervente lectrice de fanfictions. J’ai donc été ravie de lire ce long article célébrant les 15 ans d’Archive Of Our Own, qui revient sur l’histoire tumultueuse de la principale plateforme en ligne dédiée aux fanfictions aujourd’hui. Parmi ses faits d’armes, AO3 (pour les intimes) a formé toute une génération de jeunes femmes au code, dans le seul but de construire un endroit entièrement dédié à leurs passions. Mais c’est aussi un lieu de tensions concernant des sujets très sérieux, comme l’avenir de la propriété intellectuelle en ligne, ou la place des personnes racisées dans la culture web. C’est à lire (en anglais) chez The Verge.

Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer

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Durant mes vacances, j’ai eu la chance de vivre une expérience que je n’avais pas vécue depuis longtemps : me faire bouffer par un livre. J’ai ouvert Tomorrow, and Tomorrow, and Tomorrow un matin, et je ne l’ai pas lâché jusqu’à en lire la dernière ligne. Ce très beau roman suit la vie de Sam et Sadie, deux camarades uni·es depuis l’enfance par leur passion pour les jeux vidéo dans les années 80. Ils s’éloignent puis se retrouvent, par hasard, à l’orée de leur vie d’adulte. Sam convainc alors Sadie de créer un jeu vidéo ensemble, sans expérience et avec beaucoup d’ambition.

Tomorrow, and Tomorrow, and Tomorrow (une référence à Macbeth) est un roman à tiroirs. Le jeu vidéo est un thème omniprésent — l’autrice est elle-même une fervente gameuse — mais aussi un prétexte pour aborder tout un tas d’expériences humaines et universelles : les privilèges, la difficulté de trouver son identité, le deuil, le racisme, le handicap, les relations abusives, la création artistique, grandir devant un ordinateur, notre relation au jeu, qu’il soit vidéo ou non. Surtout, c’est une magnifique histoire d’amitié. Pendant trente ans, Sam et Sadie se soutiennent, se déchirent, se portent vers le haut ou se font des coups bas, se réconcilient ou peut-être pas. Ce qui ne change jamais, c’est qu’ils jouent, et qu’ils s’aiment.

Tomorrow, and Tomorrow, and Tomorrow, de Gabrielle Zevin, éditions Knopf (en anglais)

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