Seul 1 % de l’aide publique au développement va aux organisations féministes, constate l’AFD

"Seule 1 % de l'aide publique au développement va aux organisations féministes. Il y a une très forte demande de soutien et de financement de ces associations", rappelle Mar Merita Balt, experte des enjeux de genre et d’égalité femmes-hommes à l’Agence française de développement (AFD) [Riccardo Mayer/Shutterstock]

Mar Merita Blat est experte des enjeux de genre et d’égalité femmes-hommes à l’Agence française de développement (AFD). Lors d’un entretien avec EURACTIV, Mar Merita Blat est revenue sur le Fonds de soutien aux organisations féministes. Lancé le 15 juillet 2020, le fonds finance à hauteur de 120 millions d’euros des organisations féministes dans les pays du Sud.

Deux ans après le lancement du Fonds de soutien aux organisations féministes, quel premier bilan tirez-vous ?

Il est difficile de tirer un premier bilan exhaustif mais l’on constate que le fonds a réussi à atteindre des organisations féministes dans des pays où il n’est pas forcément évident de s’assumer en tant que tel. 60 % des organisations qui ont été financées dans les premiers appels à projet se déclarent elles-mêmes féministes.

Ensuite, nous avons réussi à atteindre des plus petites structures dont le budget annuel est de moins de 50 000 €. Elles fonctionnent la plupart du temps avec des bénévoles qui font un travail incroyable de plaidoyers et de mobilisation.

Seule 1 % de l’aide publique au développement va aux organisations féministes. Il y a une très forte demande de soutien et de financement de ces associations.

65% des projets du fonds se situent en Afrique. Quelles sont les grandes priorités du continent en matière de droit des femmes et de santé sexuelle ?

Le continent africain a une grande variété de situations en fonction des contextes et de pays. Si on doit citer les grandes priorités en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs, on peut commencer en mentionnant l’accès aux soins gynécologiques et obstétricaux. Sur ce volet-là, il y a un besoin d’infrastructures mais également d’avoir du personnel médical et paramédical suffisamment formé.

Il est aussi crucial d’avoir ce que l’on appelle des intrants, c’est-à-dire tous les moyens de contraception possibles et imaginables : le préservatif masculin, la pilule contraceptive féminine, le stérilet etc.

Ensuite, il y a tout ce qui est lié aux enjeux concernant la jeunesse et l’éducation. L’éducation complète à la sexualité est une priorité prise en compte par les associations. La déconstruction des stéréotypes de genre est aussi un enjeu absolument essentiel.

Enfin, l’accès à l’hygiène menstruelle, la lutte contre les mutilations génitales féminines,  la prévention des grossesses précoces, les mariages forcés, et la lutte contre toutes les violences basées sur le genre font bien entendu aussi partie des défis des associations.

Comment les associations fonctionnent-elles sur le terrain ? Sont-elles en contact direct avec les populations locales ?

De manière générale, les associations sont en contact direct avec les populations locales car elles font partie de la société civile. Sur les projets concernant le droit à disposer de son corps, le travail réalisé par les associations sur le terrain permet souvent d’instaurer un dialogue entre pairs pour déconstruire les stéréotypes liés au genre, avec par exemple des jeunes qui parlent à d’autres jeunes. C’est aussi extrêmement intéressant de travailler avec les leaders des communautés.

Par exemple, afin de lutter contre les mariages précoces et/ou forcés, poser la question de savoir si toutes les filles et tous les garçons doivent être absolument mariés avant 18 ans. Ou sinon   est-ce que l’on peut continuer avec des pratiques néfastes comme les mutilations génitales féminines ? A travers ces projets, notre but reste de réduire, voire éliminer totalement ces pratiques.

Comment les associations luttent contre les violences basées sur le genre ?

Les associations se concentrent soit sur la prévention des violences basées sur le genre, soit sur l’accueil des victimes ou des témoins de violences, dans des centres de soins dédiés par exemple. Il y a certaines associations qui font aussi tout un travail sur la masculinité et sur les auteurs de violences basées sur le genre.

Avec les associations nous sommes amenés à travailler dans des contextes de conflit, notamment dans quelques pays en Afrique mais aussi dans certains pays du Moyen Orient. D’ailleurs, cette situation se vit aussi en Europe puisqu’ aujourd’hui en Ukraine tout le travail autour des violences sexuelles est absolument essentiel.

Cela fait quinze ans que vous travaillez sur la thématique de l’égalité entre les femmes et les hommes. Constatez-vous une amélioration ?

Malgré tout le travail qui est fait par l’ensemble des militantes, des activistes et des différentes institutions, nous restons aujourd’hui dans un environnement particulièrement compliqué et conservateur. Toutes les avancées sont parfois très vite perdues.

Je pense notamment à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) aux Etats-Unis. On peut aussi parler de la situation par rapport à l’avortement au Sénégal est aussi particulièrement difficile. C’est un pays avec lequel nous avons l’habitude de travailler, mais pour lequel aujourd’hui cette thématique est un peu plus difficile.

Droit à l'avortement : l'Europe réagit à l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade

Alors que la Cour suprême des États-Unis a fait reculer les droits reproductifs des femmes dans tout le pays dans une décision qui a choqué le monde entier, les retombées ont suscité de nombreuses réactions en Europe.

Quelle est la situation au Sénégal ?

La législation vient d’être durcie. L’accès à l’IVG est totalement interdit. Aujourd’hui en Afrique, on constate que la plupart des pays s’engagent sur les sujets d’autonomisation économique (développement de l’entreprenariat féminin, lutte contre l’informalité féminine, travail sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, etc.), mais il y a moins d’ avancées comme celles que l’on a pu voir en Amérique latine où les législations sont plus ouvertes sur le sujet de l’avortement.

Comment expliquer qu’il y ait une progression en Amérique latine et que les choses n’avancent pas, voire régressent, en Afrique ?

C’est très difficile de l’expliquer en comparant entre eux les pays et les continents. Chaque pays a une situation totalement différente.

Les améliorations qu’il y a pu avoir, en Argentine ou au Chili notamment, ont été apportées par des changements de gouvernement et après des étapes particulièrement difficiles pour arriver à obtenir une autorisation complète de l’avortement. La mobilisation très importante de la société civile, et notamment des organisations féministes, pour obtenir ce droit a été cruciale dans ces pays.

Des changements de gouvernement peuvent remettre en question des droits très durement acquis.

Au-delà des changements de gouvernements, y-a-t-il d’autres facteurs qui font reculer les droits des femmes ?

Effectivement, il n’y a pas que ça. C’est une variable parmi tant d’autres. La montée des mouvements conservateurs est particulièrement importante, qu’ils soient politiques ou religieux, et de différents types de religions par ailleurs.

Ces mouvements s’accordent à dire que le droit à disposer de son corps, lorsqu’on est une femme ou une fille, est totalement remis en question et transnational.

Etes-vous optimiste sur la situation ?

Le bilan est très positif d’un point de vue de prise de parole. Je trouve que l’on parle aujourd’hui davantage de cette thématique qui est en passe de devenir de plus en plus politique.

Je pense au mouvement Metoo qui est un mouvement global sous ses différentes variables, variantes et chaque pays s’en est saisi à sa manière ce qui est très positif.

Cette libération de la parole permet de mettre en avant l’ensemble des sujets que nous avons abordés. Ce qui n’empêche en rien le fait que dans la réalité, cela reste extrêmement difficile. Sur tous les sujets dont on a parlé, dès qu’il y a des changements il est très facile de revenir en arrière.

Donc optimiste, mais toujours vigilante !

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