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Luttes

« Guerre de l’eau » : la carte des bassines contestées en France

À l'ouest de la France, les projets de mégabassine sont concentrés au niveau de La Rochelle.

La bataille contre les mégabassines s’intensifie. Une carte recense désormais les lieux où ces projets de réserves d’eau sont contestés. Plus d’une centaine sont déjà référencées, notamment à l’est et ouest du pays.

« En cas de démarrage de tout nouveau chantier de mégabassines avec son ballet de tractopelles, nous appelons à se retrouver trois semaines plus tard, plus massivement que jamais pour manifester jusqu’au chantier et le mettre à l’arrêt. » Dans un appel signé par plus de trente collectifs et syndicats, dont Bassines non merci, les Soulèvements de la terre ou encore la CGT, les opposants aux bassines ont prévenu dès le début de l’été qu’ils se déplaceraient en nombre dès qu’il le faudrait.

Leur objectif est d’empêcher toute nouvelle construction de bassines, aussi appelées réserves de substitution. Ces dispositifs alimentés en pompant dans les nappes phréatiques sont destinés à l’irrigation de cultures intensives et décriés comme une forme « d’accaparement » de la ressource en eau.

Les Deux-Sèvres, où la Coop 79 projette depuis plusieurs années de construire seize mégabassines, pourraient bien être le lieu de cette imminente « manif de fin de chantier ». Après la mise en route, durant l’été, d’une première bassine à Mauzé-sur-le-Mignon, de nouveaux travaux pourraient débuter à Sainte-Soline. Et cela, dès début septembre, si l’on en croit un avis de marché public publié en juillet. « Nous sommes également très vigilants concernant les bassines en projet à Épannes, Prière, et dans la Vienne », précise Joaquim, du collectif Bassines non merci.

La Vendée et la région Auvergne-Rhône-Alpes sont les principales zones de concentration des projets de mégabassine. Capture d’écran carte mégabassines.

Pour informer les citoyens et organiser la résistance, les opposants aux bassines ont mis en ligne une carte participative des bassines existantes ou en préparation partout en France. « L’objectif de cette carte est à la fois de mener une veille sur l’avancement des projets et de fournir des données pour les personnes qui voudraient s’en saisir pour faire des recherches », explique Joaquim. Plus d’une centaine de réserves de substitution sont référencées sur la carte, ainsi que des retenues d’eau destinées à créer de la neige artificielle, dans les Alpes. Les bassines existantes sont représentées par des points bleu foncé et celles en projet en bleu clair, orange ou rouge, selon leur état d’avancement.

Les projets de mégabassines centralisés à l’est et ouest de la France. Capture d’écran carte mégabassines.

Est et ouest de la France

Comme en témoignent, sur la carte, les nombreux points bleus au-dessus de La Rochelle, c’est en Vendée que les premières mégabassines ont vu le jour, il y a une dizaine d’années. Pour leurs opposants, celles-ci ne doivent surtout pas servir d’exemple. « C’est la catastrophe. Contrairement à ce que tente de faire croire la chambre d’agriculture, le bilan n’est pas du tout positif. Il est important que cela se sache », estime David Briffaud, paysan-boulanger engagé dans le combat contre les réserves de substitution depuis plus de vingt ans. Selon lui, c’est tout le modèle de la production intensive, notamment de maïs, alimentée par les bassines, qui est à revoir.

S’appuyant sur un rapport de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, le militant rappelle que les objectifs de conversions en bio n’ont pas été atteints et que les bassines n’ont pas permis d’améliorer la qualité écologique de l’eau, qui demeure très mauvaise. Avec le collectif Vite 85 (Veille Information Transition Eau), ils estiment que les seuils piézométriques, pour lesquels les prélèvements dans la nappe sont autorisés pour alimenter les bassines, sont trop bas pour préserver les milieux naturels.

À la manifestation contre les mégabassines à Mauzé-sur-le-Mignon, 6 novembre 2021. © Corentin Fohlen/Reporterre

Résultat, récemment, la rivière d’Autize s’est trouvée asséchée sur plusieurs kilomètres, pendant plusieurs mois. De plus, des proliférations de cyanobactéries ont été observées dans les bassines. Ce modèle est pourtant défendu par le gouvernement, et les projets se multiplient partout en France, grâce à d’importants financements publics. Dernièrement, des projets de bassines ont été lancés près de Bourges. Elles sont bien plus petites que celles de l’ouest, mais fonctionnent sur le même principe. Le collectif Bassines non merci Berry a été créé en septembre 2021 pour s’y opposer.

Des mégabassines « désarmées »

La sécheresse record de cet été est venue conforter l’idée chez leurs opposants que les bassines sont une forme de « mal adaptation » au changement climatique. C’est d’ailleurs ce qu’ont estimé Valérie Masson-Delmotte, climatologue membre du Giec [1], et Jean-François Soussana, chercheur à l’Inrae [2], lors d’une intervention à l’Assemblée nationale en juillet. À terme, selon eux, il faudra de toute façon changer les systèmes de production pour réduire les besoins d’irrigation.

En attendant, tandis que les arrêtés de restriction d’eau se sont multipliés ces derniers mois, les gérants des bassines ont pu continuer à les remplir en pompant dans les nappes. « Dans quelques années, nous risquons de voir des villages en rupture d’approvisionnement en eau, tandis que des agriculteurs pourront continuer à irriguer, ce qui s’apparente à une véritable privatisation de la ressource », regrette Joaquim. Il observe que les agriculteurs ont besoin de pomper dans la nappe sur des périodes de plus en plus longues pour remplir leurs bassines. « On risque d’arriver à un moment où on ne pourra plus les alimenter. »

Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, lors du démontage de la pompe de la mégabassine de Mauzé-sur-le-Mignon, le 6 novembre 2021. © Yoan Jäger/Reporterre

La création de réserves de substitution pourrait toutefois devenir de plus en plus coûteuse, notamment en termes de sécurité, car certains opposants sont dans une démarche de désobéissance civile, visant à mettre « hors d’état de nuire » toutes les bassines. Plusieurs réserves ont ainsi été « désarmées » ces derniers mois. Lors d’une manifestation de plus de 3 000 personnes, en novembre, une bassine, à Cramchaban (Charente-Maritime), a été investie par les manifestants, et le démontage de sa pompe a été revendiqué par la Confédération paysanne. La bassine en question fait partie de cinq réserves jugées illégales en mai en raison du manque d’études sur leurs impacts potentiels sur l’environnement.

Mais les actions de « désarmement » peuvent aussi se dérouler plus discrètement. Par exemple le sabotage, en mars, de deux retenues dans la Vienne et les Deux-Sèvres, a été revendiqué par des militants se présentant comme le « comité exécutif de la direction régionale de protection de l’eau ». Début août, des « jardiniers, pêcheurs et amoureux des cours d’eau » ont annoncé avoir enlevé les bâches qui recouvraient deux bassines en Vendée. Une chose est certaine, une fois plus, le prochain rassemblement des anti-bassines risque d’avoir lieu sous haute surveillance.

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